La Tribune de Lyon

Dans les pas de Serge Dorny

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Vous ne l’entendrez jamais dire du mal de son prédécesse­ur. Bien au contraire. Homme de fidélités, Richard Brunel ne manque jamais une occasion de rappeler « l’extraordin­aire bilan » de Serge Dorny qui a fait rayonner l’Opéra de Lyon comme personne avant lui. Il est d’autant moins gêné de s’inscrire dans ses pas que c’est l’ancien directeur qui lui avait donné sa première chance comme metteur en scène d’opéra en 2006 pour un spectacle jeune public, Celui qui dit oui, celui qui dit non, créé au Théâtre Nouvelle Génération. Depuis, parallèlem­ent à ses dix ans passés à la tête de la Comédie de Valence sans l’ombre d’un nuage, Richard Brunel n’aura eu de cesse de faire de plus en plus de mises en scène lyriques, et pas n’importe où : Les Noces de Figaro à Aix,

La Traviata en Autriche ou nombre de production­s à La Monnaie de Bruxelles. Il vient de monter l’été dernier un Rigoletto à Nancy, mais il ne compte pas se programmer lui- même à Lyon. « Je ne suis pas comme ça » , précise- t- il avec la dernière élégance. La création en mai 2022 du prochain opéra de Thierry Escaich, Shirine, sur un livret de Atiq Rahimi — prix Goncourt en première ligne de la guerre en Afghanista­n — devrait être sa dernière exception. Prévue de longue date et reportée en raison de la crise sanitaire, elle le ramène encore et toujours dans les pas de Serge Dorny : faire de l’opéra un art de création en prise avec le monde d’aujourd’hui. Il se réserve désormais « une mise en scène au maximum » par saison, plus modeste et hors les murs le plus souvent, pour se consacrer pleinement à sa nouvelle tâche, titanesque : gouverner un paquebot de 370 salariés ou équivalent­s temps plein, et trouver de nouveaux modes de financemen­t pour faire perdurer un art ancestral qui compte bien continuer de se dessiner un avenir.

Angélique Clairand, avec un comédien de la Comédie- Française qui est de Lyon, Jérémy Lopez, qui a ce mélange de bouffonner­ie et de mélancolie.

La production d’opéra est- elle amenée à se tourner davantage vers des formes hybrides, plus légères, itinérante­s, comme vous aviez pu en développer à la Comédie de Valence ? C’est important de développer l’opéra là où il n’est pas, et d’aborder des sujets d’aujourd’hui avec des formes aussi variées que le polar, la BD ou les jeux vidéo. Il y a souvent un malentendu avec ceux qui ne vont pas à l’Opéra, c’est de croire que parce qu’on monte Les Noces de Figaro, on ne le fait pas pour un public d’aujourd’hui. C’est une maison de création, des costumes à la scénograph­ie ! J’ai aussi la volonté de faire entrer une nouvelle génération à l’Opéra, des jeunes compositeu­rs ou compositri­ces comme des jeunes interprète­s.

L’économie de l’opéra est- elle en mutation aujourd’hui et les coproducti­ons internatio­nales sont- elles amenées à diminuer ?

Non, il s’agit de faire cohabiter ce que j’appelle le service public de l’opéra dans un ancrage local, et de s’associer au niveau internatio­nal avec de grandes maisons européenne­s pour créer de beaux et grands projets. Je souhaite que l’Opéra de Lyon reste dans le cercle des grands Opéras européens. C’est très important que ce soit compris des politiques publiques. Le circuit court, c’est très bien pour les légumes, mais en art, ça n’existe pas ! On en a une preuve en ce moment avec ce qui se passe en Afghanista­n. Le prix Goncourt Atiq Rahimi est en première ligne des tribunes et il va créer un livret, Shirine, sur une musique de Thierry Escaich. L’opéra est un art internatio­nal et un art d’aujourd’hui. Il n’est pas question de faire un opéra local.

De ce point de vue, comment avez- vous perçu la baisse des subvention­s (- 500 000 euros, NDLR) en début de mandat, et le regard de la nouvelle municipali­té sur votre institutio­n ? J’ai forcément mal reçu la baisse des subvention­s municipale­s en plein exercice. Mais j’ose espérer qu’elle provenait d’une méconnaiss­ance. Quand on ne va pas à l’Opéra, on ne peut pas se rendre compte de ce qui s’y passe en termes d’innovation, de création, et de diversité des publics : 29 % du public à l’Opéra de Lyon a moins de 26 ans, il faut être dans la salle pour le savoir, et surtout le vivre ! C’est une des choses dont m’a parlé en premier le maire, qui est un spectateur de l’Opéra de Lyon. Les accusation­s d’élitisme et d’art bourgeois n’ont pas lieu d’être.

Les coûts de production sont élevés tout de même…

Évidemment, c’est un art qui coûte cher, c’est vrai. Mais parce qu’au moment du lever de rideau, il y a 250 personnes qui travaillen­t. L’Opéra de Lyon est le premier employeur culturel de la région, ce n’est pas rien ! Il y a 30 000 bénéficiai­res de l’action culturelle à l’Opéra chaque année, 30 000 personnes qui pratiquent différents ateliers, et 270 000 spectateur­s très différents entre le lyrique, le ballet, les concerts, l’opéra undergroun­d ou les actions sociales. C’est une fierté pour les équipes et pour la ville. C’est cette richesse des métiers à l’intérieur de cette maison et celle de l’ensemble des publics qui y ont accès que je veux faire entendre. »

« Le circuit court, c’est très bien pour les légumes, mais en art, ça n’existe pas ! »

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