Mon déjeuner avec Emma Petiot
L’organisation de ce déjeuner aura été quelque peu décousue. Emma Petiot a eu peu de temps à elle ces dernières semaines, accaparée par le rush automnal de dépôt des demandes de financement des projets. La tête sortie de l’eau, elle donne rendez- vous chez Toï Toï, à dix minutes à pied de son labo, et où elle a l’habitude de déjeuner avec des collègues d’autres laboratoires. Une fois posée à la table haute de l’établissement proche de La Doua, Emma respire et avoue sans peine la satisfaction d’avoir accroché le wagon de ce projet ambitieux. « J’aime bien les choses compliquées ! Et ça, c’est une thématique qu’on a créée de zéro, qui n’existe nulle part dans le monde. Personne ne fait des tissus de grande taille en environnement régulé. C’est aussi pour ça que Sartorius nous a challengés là- dessus. Et c’est ça qui m’a séduite. Notre premier marché c’est la pharmacologie, mais on ne veut pas s’arrêter là, on veut réussir à faire des tissus plus grands, voire des organes, car c’est ça qui est dur à réaliser ! »
Le 3d. FAB, sous tutelle de l’université Lyon 1, de l’Insa, du CNRS, de la CPE, et de l’ICBMS ( Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires), gagne ainsi au fil des ans en taille et en ambition : désormais logé dans le bâtiment Axel’One de La Doua, il est passé de 60 à 120m ² , de 5 à 20collaborateurs en quatre ans. Tout en tentant de repousser les limites de la recherche en bio- impression, le labo créé par Christophe Marquette ne s’exonère pas de réfléchir à l’éthique de ses travaux. « On lance des réflexions pour savoir ce qui est souhaitable, possible à encadrer. Faire ça pourquoi, pour qui, comment ? Il y a des choses auxquelles je ne souhaite pas participer. Aujourd’hui, on fait des organes, si un jour on me demande de faire un être humain… » La recherche n’en est pas là, mais Emma plaide pour une plus grande communication et transparence des chercheurs avec le public, ce que d’ailleurs le labo tente de réaliser régulièrement lors de rencontres.
générale de l’armement, NDLR) qui nous a permis de faire des essais directement sur l’animal. Et maintenant nous allons réaliser la suite en ciblant vraiment la question de la robotique en chirurgie.
À quel point cela permet- il de faire croître la peau plus rapidement ?
Les tissus bio- imprimés standards, c’est 21 jours de culture au minimum pour arriver à un carré de peau d’un centimètre de côté. À partir de cela, on dispose de deux stratégies : soit on imprime sur le patient, cochon ou humain, et l’on imprime des disques de l’ordre de trois à quatre centimètres de diamètre. Soit on travaille sur des dimensions plus grandes, mais on a alors besoin de systèmes de culture appropriés pour les grandes tailles. C’est là qu’intervient le laboratoire commun.
Qu’est- ce que cela vous apporte de nouveau sur ce point ?
Cela ne peut pas se faire dans les outils de culture standards. Les incubateurs ne permettent que de maintenir la température. Le pH, l’alimentation en nutriments, on ne peut pas les gérer dans les outils traditionnels. Sartorius nous apporte donc des bioréacteurs : une cuve, en général cylindrique, avec un système d’agitation qui fait en sorte que le milieu de culture soit homogène. Elle permet de maintenir la température à 37°, et aux capteurs de mesurer le pH et l’oxygène. On peut ainsi donner un environnement précis aux cellules et placer le tissu dans les mêmes conditions que le corps. Donc, normalement, l’aider à aller plus vite dans sa croissance.
Suite à vos premières thèses sur la fabrication de peau, en était- on arrivé à en implanter sur un patient ?
On en a implanté sur les souris lors d’un test préclinique, principalement afin de réaliser des modèles pour des essais cosmétiques ou de toxicologie. Même si notre objectif final reste la médecine régénérative et réimplantée chez le patient pour tous les tissus, la première étape reste de faire des tissus fonctionnels afin de faire des tests.
Quels sont les objectifs à moyen et long terme de ce nouveau laboratoire ?
Faire de très grands tissus. On a démarré sur le centimètre carré, maintenant nous sommes plutôt sur la dizaine de centimètres carrés, et tentons de rendre fonctionnel un tissu à l’échelle d’un organe.
La peau est- elle le seul objectif ?
Quid des cartilages, des organes entiers… ?
La complexité de la peau, c’est qu’il y a trois couches, trois types de cellules. Mais on est capables de le faire. On travaille aussi sur des tissus vasculaires : vaisseaux, veines, aorte… Mais également sur les tissus conjonctifs, tissus de comblement, graisse, tissus de soutien vascularisés pour combler une surface qui a pu être endommagée. Et nous travaillons aussi sur du cartilage, sur de l’os… On essaie de voir si l’on peut reconstruire tous les types de tissus fonctionnels par bio- impression.
« Notre objectif final reste la médecine régénérative. »
Quand on pense impression 3D, on s’imagine un laser qui reconstitue une oreille en quelques secondes… Que sait- on faire, et qu’espère- t- on pouvoir faire un jour ? Des tissus fonctionnels de petite taille, on sait faire. Mais on a du mal à comprendre quand il y a plusieurs types de cellules, même si on arrive à les mettre ensemble pour qu’elles constituent un tissu fonctionnel. On ne sait pas faire la grande taille, à partir de 10 cm ³ . Ainsi, une oreille fonctionnelle, c’est compliqué : on arrive à faire du derme, du cartilage mais pas trop à faire les assemblages. Tout ce qui est vascularisation, nous parvenons à le créer, mais on ne le maîtrise pas entièrement pour l’instant.
L’impression 3D de peau procède- t- elle du même processus que celle d’un objet en plastique ?
Oui, ce sont aussi des couches que l’on travaille en micro- extrusion. Ce sont des filaments d’hydrogène, comme un gel, à l’intérieur duquel se trouvent les cellules. En les mettant dans des conditions de culture appropriées, elles reconstruisent un tissu complet à partir de cellules isolées.
Imaginons que vous parveniez à produire une oreille complète. Seriez- vous en mesure de l’implanter sur quelqu’un ?
Alors ça, c’est encore loin. On sortirait en plus du cadre réglementaire du médicament. Il va falloir d’ici là que l’on fasse approuver nos méthodologies et nos équipements. Nos collègues d’Healshape, une spin- off de notre labo sur des prothèses non vascularisées, sont encore en train de débroussailler les problèmes de réglementation… Mais quand on arrivera avec des produits vascularisés, ce sera l’affaire d’au moins dix ans !
Quelles sont les chances de parvenir à cela : reconstituer un organe, greffer un grand brûlé ? La peau a fait ses preuves, à l’horizon dix ans, ça sera faisable. Est- ce que ce sera de la peau imprimée en laboratoire implantée ensuite, ou bien directement imprimée sur les patients, ça je ne sais pas. Mais la question est aussi : « Est- ce que ça vaudra le coup financièrement ? » Par contre tous les organes complexes comme les reins, le coeur, le poumon… On en est loin, vraiment loin !