LE TEMPS D'UN MONDE FRACTURE
Après 60 ans d'unification, les fractures réapparaissent, en Amérique comme en Europe. Par Bruno Moschetto, Maître de Conférence en Sciences économiques à ESCP EUROPE Depuis 1945, date du constat prémonitoire de Paul Valéry sur la finitude du monde, celui-ci s'est terriblement unifié jusqu'à devenir monolithique. Mais en observant l'écorce terrestre de haut, l'on peut constater que celle-ci présente aujourd'hui des signes de fractures que l'on peut localiser de la périphérie au centre. A la périphérie tout d'abord. Certes,la libéralisation générale des échanges a accéléré l'unification de la surface du globe. Mais à la réflexion, cette libéralisation ne porte que sur trois composantes des échanges : les biens, les services et les capitaux et en aucune manière sur les hommes, en dépit de flux migratoires sévèrement contenus et de montants extraordinairement modestes. Donc la plénitude des trois premières composantes est annihilée par la quatrième qui neutralise l'ensemble. Cet état de fait pénalise un certain nombre de pays avancés, dont le nôtre, d'où l'apparition de déséquilibres, à la longue, insupportables.
UN PACTE COLONIAL À L'ENVERS
Comme les capitaux sortent librement des pays avancés excédentaires en épargne, à destination des pays émergents déficitaires en investissements, qui utilisent une main d'oeuvre à bas coûts salariaux et à protection sociale quasi nulle, l'équilibre des échanges résulte des importations des produits de consommation issus des entreprises ainsi délocalisées. De tels échanges déséquilibrés correspondent à une sorte de pacte colonial à l'envers, au titre duquel ce sont les pays colonisés qui vampirisent les pays colonisateurs du fait de la compétitivité insurmontable de leur prix de production à l'exportation. Le rééquilibre de ces échanges inégaux ne pourrait résulter que d'une immigration totalement libérée en provenance des pays émergents, dont l'Afrique. Ainsi, la population de l'Europe de 500 millions d'habitants devrait théoriquement passer à 2 500 000 et les prix s'y'uniformiseraient vers le bas . Autrement dit, la délocalisation à terme tuerait la délocalisation .