DU PAIN SUR LA PLANCHE
À Charpey, dans la Drôme, Daniel Béguelin, 35 ans, est pleinement dévoué à son métier de boulanger depuis qu’il a repris l’affaire familiale, Au pain vivant, dans une forme de don de soi, une éthique ancrée profondément dans la famille. Son pain est un produit haut de gamme, sain, nutritif et respectueux de la santé de ses clients. C'est le manque de pain qui a provoqué la Révolution française. Le pain qui en d'autres temps était l'aliment central, sacralisé. Un pain que l'on gardait précieusement, ou que l'on partageait et qui pouvait sauver une vie dans les années tragiques. Mais aussi provoquer la mort en cas de mauvaise récolte. Le pain comme le symbole d'un don du ciel, ainsi que le blé, ingrédient essentiel dont la culture remonterait à 10 000 ans. À cette échelle, cela fait peu de temps que l'homme se permet des transformations drastiques sur le vivant avec des objectifs majeurs sur toute la chaîne de production : la rentabilité, le profit et surtout un temps minimum d'investissement. Et malgré une consommation de pain en baisse, car l'aliment, industrialisé, maltraité, est déprécié, paradoxalement, la "boulange" provoque des vocations lumineuses ici et là, des rédemptions presque métaphysiques, des guérisons soudaines, des engagements passionnés. Et le moulin d'Alphonse Daudet reprend parfois du service. Imaginons un métier où les mains ont un effet sur la matière qu'elles façonnent et font vibrer comme un corps. Au XXe siècle qui est le nôtre, imaginons un métier qui dépende du temps : pluie ou soleil, alors que la fermentation y est assujettie.