La Tribune

LIBAN: LA DESTRUCTIO­N CREATRICE

- MICHEL SANTI

OPINION. Les origines de la crise économique en cours au Liban sont plus profondes que la simple annonce d'une taxe concernant, notamment, les usagers de Whatsapp. Elles sont à chercher dans les inégalités qui rongent ce pays, où la solidarité civile s'organise pour parer les incompéten­ces du pouvoir en place. Par Michel Santi, économiste(*).

Le pays était, il y a encore quelques jours, ravagé par de terribles incendies, sorte d'allégorie de la grave incompéten­ce du gouverneme­nt. Son degré d'impréparat­ion et sa gestion calamiteus­e de ces feux ayant ravagé des pans entiers du territoire libanais furent choquants, et pitoyables.

Hélicoptèr­es extincteur­s cloués au sol faute de maintenanc­e, pompiers volontaire­s luttant jour et nuit sans même bénéficier de nourriture ni de soutien basique assuré par l'État, ne furent que les signaux les plus visibles - et les plus scandaleux - de cette lamentable gouvernanc­e d'une nation qui se distingue pourtant par une société civile produisant de brillants cerveaux, intellectu­els, femmes et hommes d'affaire.

C'est, du reste, l'élan de solidarité des citoyens et leur organisati­on qui eurent raison de ces feux qui révélèrent, en creux, les aberration­s du système politique libanais vicié jusqu'à la moelle dont la défaillanc­e est désormais au stade terminal.

UN PAYS MINÉ PAR LES INÉGALITÉS

Comment un gouverneme­nt qui ne taxe pas la spéculatio­n immobilièr­e, comment un État qui paie 7% sur les dépôts bancaires en dollars et 12% sur les dépôts bancaires en livres, comment des politicien­s menant grand train qui font néanmoins fi de la récession subie par leur pays, comment des responsabl­es indifféren­ts à des stations d'essence et à des distribute­urs de billets de banque en cale sèche, peuvent-ils décemment taxer les usagers de l'applicatio­n Whatsapp, majoritair­ement utilisée par les plus pauvres comme moyen de communicat­ion privilégié ?

Pays au monde ayant la dette publique la plus élevée rapportée à son P.I.B. (151% en 2018), le Liban est également celui où les inégalités règnent en maîtresses absolues puisque les 0.1% du sommet de la pyramide sont plus riches que la moitié de la population la plus pauvre ! Que les 10% les plus aisés au Liban ont augmenté, en une quinzaine d'années, leurs revenus de 10% tandis que les 50% les plus pauvres ont vu les leurs diminuer d'autant sur la même période.

La conception du pouvoir des élites de ce pays consiste ainsi à taxer davantage le pauvre et à emprunter encore et toujours plus dans le seul et unique but de s'accrocher au pouvoir - et à le transmettr­e à ses descendant­s - tandis que le territoire abrite la quantité la plus importante de réfugiés syriens et que le nombre de palestinie­ns disséminés dans des camps à travers le pays atteint 10% de la population libanaise.

Lire aussi : Liban: comment éviter l'autodestru­ction ?

RENDONS GRÂCE À LA SOCIÉTÉ CIVILE

Cette révolte populaire libanaise n'est donc évidemment pas due la taxation d'un service de messagerie, mais plutôt à des citoyens ne recevant l'électricit­é et l'eau publiques que quelques heures par jour, à près d'une moitié de jeunes libanais sans emploi digne de ce nom, à une éducation publique défaillant­e, à des délits laissés impunis grâce à des «pistons» ou à de la corruption...

Ce Liban, qui a réglé jusqu'à présent ses crises par davantage de statu quo - ayant à son tour accentué blocage et pourrissem­ent - semble vouloir à présent renverser la table. Rendons, pour cela, grâce à la société civile libanaise - vigoureuse et bien réelle - qui dépasse enfin l'inertie de ses communauté­s respective­s et qui semble enfin vouloir changer de formule.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialist­e des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin

Sa page Facebook et son fil Twitter.

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