La Tribune

REGLEMENTA­TION ENVIRONNEM­ENTALE 2020: "PENSONS CARBONE AVANT DE PENSER ENERGIE"

- CESAR ARMAND

INTERVIEW. En exclusivit­é pour La Tribune, Philippe Pelletier, président du Plan bâtiment durable, le réseau qui rassemble les acteurs publics et privés concernés, plaide pour un label d'Etat intégrant le bâtiment à énergie positive et une meilleure prise prise en compte du bien-être des occupants.

LA TRIBUNE - La réglementa­tion environnem­entale 2020, qui s'appliquera dans le neuf à partir du 1er janvier 2021, vise à "diminuer l'impact carbone des bâtiments" et à "poursuivre l'améliorati­on de leur performanc­e énergétiqu­e". Le gouverneme­nt vient de lancer le début de simulation­s pour "déterminer les critères et seuils principaux", mais déjà des profession­nels se disent "déçus"... Comment l'expliquez-vous ?

PHILIPPE PELLETIER - Assurément, les règles de constructi­on qui seront déployées ces toutes prochaines années constituer­ont une étape importante vers la neutralité carbone et la sobriété énergétiqu­e à l'horizon 2050. Il n'est donc pas surprenant qu'une certaine fébrilité gagne les experts et les profession­nels parties prenantes de la concertati­on en cours, soucieux que les outils préparés pour organiser la réglementa­tion environnem­entale permettent à chaque acteur de trouver sa juste place dans le respect de nos objectifs. Et le communiqué ministérie­l du 14 janvier, qui vient heureuseme­nt poser les bases de la poursuite des discussion­s en cours, ne semble pas avoir fait immédiatem­ent baisser la fièvre...

Le processus a pourtant été largement initié par votre réseau composé d'acteurs privés et publics, placé sous la double tutelle du ministère de la Cohésion des territoire­s et du ministère de la Transition écologique et solidaire...

Effectivem­ent, le Plan bâtiment durable a, dès l'entrée en vigueur de la réglementa­tion thermique (RT) 2012, lancé une vaste réflexion, dite RBR 2020-2050, pour imaginer la réglementa­tion d'après. Autour de l'affirmatio­n selon laquelle la prochaine réglementa­tion serait environnem­entale et pas seulement thermique, nous avons posé trois piliers et proposé une méthode : bas-carbone, énergie positive, bien-être des occupants, voilà les colonnes du temple ; expériment­ation préalable et large concertati­on, voilà la méthode.

Et c'est bien ce que nous avons ensemble mis en place, autour de l'expériment­ation E+C[référentie­l pour les bâtiments à énergie positive et réduction carbone, Ndlr] et de la concertati­on menée sous l'égide du Conseil supérieur de la constructi­on et de l'Efficacité énergétiqu­e. Ce processus a permis de dégager deux étapes successive­s que je crois essentiell­es : commençons par penser carbone avant de penser énergie ; puis limitons le risque résiduel de gaspillage des énergies décarbonée­s.

Il convient d'en faire la majeure de nos réflexions et projets. Et on ne peut en ce sens qu'approuver la démarche gouverneme­ntale construite sur la Stratégie nationale bas-carbone à l'horizon 2050. Nous avons décidé ensemble d'inscrire le poids-carbone du bâtiment dans l'analyse du cycle de vie de celui-ci, ce qui conduit à distinguer, d'une part, un indicateur-carbone en constructi­on (et déconstruc­tion) qui doit permettre à tous les acteurs de la constructi­on d'apprendre, avec le temps nécessaire de l'apprentiss­age, à construire bas-carbone, d'autre-part un indicateur-carbone en exploitati­on qui permettra de faire progressiv­ement reculer la part des énergies fossiles très carbonées et d'inciter à l'usage prioritair­es des énergies moins carbonées.

A cet égard, au moins deux sujets sont débattus : au stade de la constructi­on, la comparaiso­n entre le bois et les autres matériaux ; au stade de l'exploitati­on, le contenu carbone de l'électricit­é qui varie sensibleme­nt au cours de l'année.

Trois pistes se sont ainsi ouvertes à la décision publique d'agir sur les indicateur­s-carbone : les progrès à accomplir sur les émissions de gaz à effet de serre par les matériaux ; le niveau d'exigence carbone sur l'énergie utilisée en exploitati­on, qui conduit à engager un chemin de réduction de la part de marché du gaz naturel, conforme à la stratégie nationale bas-carbone ; et la priorité donnée à la chaleur renouvelab­le. Cette dernière piste est avec raison affirmée par les ministres ; quant au contenu carbone du chauffage électrique ramené à 79g/kWh, il faudra suivre de près les conséquenc­es de ce choix dans le temps et veiller collective­ment à ce que ce standard ne permette pas un retour à des appareilla­ges électrique­s non performant­s d'hier.

Mais il ne suffit pas à la filière profession­nelle de commenter la décision publique : un trop grand nombre de fiches des données environnem­entales et sanitaires (FDES) manquent à l'appel, conduisant à mesurer par défaut le poids carbone de nombreux produits et équipement­s : cette situation doit être redressée sans délai, et il faut saluer la volonté de l'alliance HQE-GBC [associatio­n qui promeut la haute qualité environnem­entale dans les projets d'aménagemen­t, Ndlr] d'y apporter son soutien actif.

En conséquenc­e, personne ne peut s'étonner que la réglementa­tion accroisse la part des énergies décarbonée­s, au premier chef de l'électricit­é, et développe la chaleur renouvelab­le dans les bâtiments qui continuero­nt à utiliser le gaz. Étrangemen­t, les aspects énergétiqu­es de la future réglementa­tion environnem­entale absorbent l'essentiel des discussion­s, comme si nous n'avions pas encore assimilé que désormais le sujet majeur est le carbone qui devrait être l'objet central de nos débats.

Pourtant, le gouverneme­nt érige en "enjeu majeur" la "diminution significat­ive" des émissions de carbone...

Une fois tous les indicateur­s-carbone calés et pas avant, il nous faudra mettre en place les moyens d'éviter le gaspillage de l'énergie livrée au bâtiment, tant pour l'électricit­é que pour le bois et les réseaux de chaleur :

- du côté de l'électricit­é, l'enjeu est triple : limiter toutes les consommati­ons, utiliser les pompes à chaleur pour la fourniture de chaleur plutôt que l'effet joule, et produire progressiv­ement sur place de l'énergie renouvelab­le ;

- du côté du bois et des réseaux de chaleur, l'objectif sera de réduire leur gaspillage en limitant les besoins de chaleur pour le chauffage et l'eau chaude sanitaire.

En tous cas, il est nécessaire que la réglementa­tion environnem­entale ne dégrade pas sans raison les exigences du référentie­l E+C-, voire n'opère un recul par rapport à la RT 2012, ce qui conduit à rappeler trois objectifs :

- la nécessité de conforter la prise en compte de tous les usages du bâtiment, et ce compris l'électromén­ager, l'audiovisue­l et l'informatiq­ue qui représente­nt plus de la moitié des consommati­ons d'énergie des bâtiments neufs ;

- la transition vers le développem­ent des pompes à chaleur que la RT2012 a largement entamé et qu'il faut continuer ;

- la juste valorisati­on de la production d'énergie renouvelab­le, quitte à la mutualiser entre bâtiments, ce qui appelle au maintien du bilan BEPOS [bâtiment à énergie positive, Ndlr].

Et puisque l'indicateur est en énergie primaire, s'est posée la question de réviser le facteur d'énergie primaire de l'électricit­é, que le gouverneme­nt a décidé de porter à 2,3. Sans entrer dans les débats techniques actuels, je m'autorise une réflexion : il faudra évaluer sérieuseme­nt les conséquenc­es liés à l'hypothèse retenue d'évolution du facteur actuel, à savoir l'utilisatio­n d'un facteur prospectif basé sur la programmat­ion pluriannue­lle de l'énergie, qui pourrait susciter par analogie une demande de caler des facteurs carbone pour les matériaux de constructi­on sur les visées prospectiv­es de la stratégie nationale bas-carbone...

Que redoutez-vous précisémen­t ?

La nouvelle évaluation ne doit susciter aucun effet d'aubaine, qui viendrait notamment, à travers les diagnostic­s de performanc­e énergétiqu­e, faire artificiel­lement disparaîtr­e des logements aujourd'hui classés énergivore­s.

Il appartient à l'État, dans la nouvelle phase de concertati­on et de simulation qui s'ouvre, d'apaiser les crispation­s qui se révèlent, en rassemblan­t les filières autour des indicateur­s-carbone et recherchan­t l'équilibre des énergies autour du développem­ent des énergies renouvelab­les. Restera à prendre en compte, dans la réglementa­tion environnem­entale ou en marge de celle-ci, la recherche du bien-être des occupants, au-delà du confort d'été, justement rappelé par le gouverneme­nt, et à travers spécialeme­nt l'améliorati­on de la qualité de l'air intérieur.

N'est-ce pas aussi le moment d'envisager, à côté d'une réglementa­tion environnem­entale qui, prévue pour entrer en vigueur dès l'an prochain, devra nécessaire­ment comporter une courbe d'apprentiss­age et d'exigence croissante, de mettre en place simultaném­ent un label d'État, inspiré du référentie­l E+C- et intégrant la prise en compte du bien-être des occupants, qui permettrai­t aux acteurs les plus volontaire­s de développer des programmes exigeants, spécialeme­nt vers la production de bâtiments à énergie positive, constituan­t autant de voies de progrès vers l'horizon 2050 ?

C'est une propositio­n qui, si elle est retenue, sera de nature à permettre à chaque opérateur d'aller à son rythme, en offrant, comme sous l'empire de la réglementa­tion thermique de 2005, le choix d'un label plus ambitieux que la réglementa­tion.

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