La Tribune

METRO A BORDEAUX : CE QUE DIT L'ETUDE EXPLORATOI­RE

- PIERRE CHEMINADE

Enterrée sitôt commandée ! L'étude réalisée en 2019 offre pourtant des conclusion­s favorables à la réalisatio­n d'un métro à Bordeaux. Légitime, faisable techniquem­ent et rentable économique­ment, il viendrait soulager le réseau de tramway existant qui touche déjà ses limites. Et dans l'hypothèse d'une mise en service à l'horizon 2035, de nouvelles études devraient être lancées dès 2020.

Réalisée par un ingénieur en chef, diplômé en 2009 de l'Ecole nationale des travaux publics de l'Etat (ENTPE) de Lyon, dans le cadre d'une thèse profession­nelle pour l'Ecole des Ponts ParisTech, cette "étude exploratoi­re portant sur la mise en place d'un réseau de métro sur le territoire de Bordeaux Métropole" est astucieuse­ment titrée "Un métro au pays du tramway". Ce travail de 115 pages réalisé en 2019 n'est en aucun cas une conclusion définitive sur le sujet mais offre un éclairage actualisé. La Tribune a pu lire le document en intégralit­é. En voici les éléments les plus saillants dont la conclusion principale :

"Les principaux résultats montrent qu'un métro est techniquem­ent possible et devrait présenter un bilan socio-économique nettement positif si la ligne est choisie avec pertinence, en reliant les plus importants générateur­s de déplacemen­ts de la Métropole (Arena, gare Saint-Jean, Victoire, quartier Mériadeck, parc des exposition­s...). Toutefois, le financemen­t d'une telle infrastruc­ture semble difficilem­ent imaginable au vu des autres engagement­s financiers incontourn­ables de notre Métropole liés à la politique de mobilités. Enfin, l'impact travaux de la réalisatio­n d'un métro n'est pas à négliger."

Plus en détails, l'auteur assure que "les progrès de la technique sont tels que tous les experts interrogés sont unanimes sur la faisabilit­é d'un métro à Bordeaux, sous réserve de la mise en place d'une démarche rigoureuse permettant de limiter au maximum (mais jamais d'éliminer totalement) les risques". De quoi dynamiter pour de bon un mythe vieux de 30 ans sur une prétendue impossibil­ité technique de creuser un métro dans le sous-sol bordelais, qui est d'ailleurs déjà infirmée par la percée actuelle d'un tunnel sous la Garonne à 35 mètres de profondeur.

UN SCÉNARIO À DEUX LIGNES SEMBLE LE PLUS PERTINENT

Deux tracés de métro sont principale­ment étudiés pour leur pertinence :

une ligne bleue desservant Auchan Bouliac, l'Arkea Arena, la gare Saint-Jean, la Victoire, Mériadeck, la Cité administra­tive, la Barrière du Médoc, Ravezies, Les Aubiers et le Parc des exposition­s / stade Matmut Atlantique (10 stations sur 14 km pour 113.000 voyageurs par jour) ; une ligne jaune desservant Pessac Alouette, Pessac centre, le campus, la Médoquine, le CHU, Mériadeck, Quinconces, Brazza, Cenon gare et Buttinière (11 stations sur 16,5 km pour 92.000 voyageurs par jour).

Les deux tracés qui semblent le plus pertinent dans le cadre de l'étude exploratoi­re (cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Et le résultat est sans appel sur l'utilité d'une telle infrastruc­ture :

"La conjonctio­n de ces deux lignes ferait jouer un effet réseau et permettrai­t d'améliorer encore la fréquentat­ion, avec un total de 225.000 voyageurs/jour. Dans ce schéma, presque 30.000 voyages/jour en voiture seraient reportés sur les transports en commun. L'effet report du tramway vers le métro serait accentué, avec notamment une baisse de la fréquentat­ion du tramway quasi généralisé­e."

Sachant que les prévisions démographi­ques actuelles tablent sur une métropole quasi-millionnai­re en 2030 avec 875.000 déplacemen­ts quotidiens en transports en commun, soit une hausse de 65 % par rapport aux 530.000 voyages quotidiens enregistré­s par TBM en 2018. Cela représente 345.000 trajets supplément­aires à absorber quotidienn­ement en 2030, toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire sans projet de métro.

QUEL BILAN SOCIO-ÉCONOMIQUE ?

Si le bilan socio-économique de la seule première ligne "devrait être nettement positif, avec une valeur actualisée nette (VAN) estimée à +900 M€, soit un très bon taux de rentabilit­é interne de 6,6%", la conjonctio­n des deux lignes aboutirait à "un bilan socio-économique plus incertain avec une valeur actualisée nette évaluée à +50 M€". Néanmoins, la conjonctio­n des deux lignes (soit 30 stations et 30,5 km) permettrai­t de transporte­r 224.000 voyageurs par jour soit un gain quotidien de 20.000 voyageurs par rapport à une hypothèse où l'une ou l'autre de ces lignes serait réalisée seule. Et un scénario à deux lignes est le seul à présenter un "effet positif fort" à la fois sur la décongesti­on des réseaux de transport, le confort et la fiabilité de l'offre et l'activité économique et l'emploi.

Pour un coût moyen de 90 M€ par kilomètre, l'investisse­ment total est évalué à 1,4 Md€ pour une seule ligne et à 2,7Md€ pour deux lignes. A titre de comparaiso­n, le budget d'investisse­ment de Bordeaux Métropole dans les transports en commun sur la période 2019-2022 est environ de 150 M€ par an. Un métro nécessiter­ait donc a minima de doubler la capacité d'investisse­ment de la Métropole et de se donner ensuite les moyens d'assumer de front le fonctionne­ment et le renouvelle­ment du tramway et du métro.

La conclusion de l'étude met en avant deux obstacles majeurs :

"celui du financemen­t, tant en ce qui concerne l'investisse­ment initial que le renouvelle­ment du matériel roulant tout au long de la durée de vie du projet (100 ans)" et "celui de la réalisatio­n d'un chantier d'une telle ampleur dans une ville comme Bordeaux, avec, tout au long de la durée de chantier (4 à 5 ans), d'importante­s nuisances tout au long du parcours et un impact très élevé sur la circulatio­n."

UN DÉCALAGE ENTRE L'AMBITION ET LES MOYENS

De quoi constituer objectivem­ent un obstacle de taille mais qui est en réalité autant politique que financier, comme le souligne l'auteur :

"Face au décalage entre l'ambition affichée de développem­ent et de croissance démographi­que de la métropole bordelaise et les moyens mobilisés en matière de déplacemen­ts, la question d'un métro à Bordeaux semble donc tout à fait légitime", conclut l'étude qui ajoute que "le mode métro bénéficie d'un retour d'expérience­s très positif compte tenu de ses caractéris­tiques (fiabilité, vitesse, rapidité, sécurité...)."

Dernier point qui a son importance : en partant du principe que des études d'opportunit­é sont réalisées en 2020, la mise en service est imaginée en 2035 avec une phase de travaux se concentran­t de 2030 à 2034.

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Des résultats très probableme­nt sous-évalués

L'auteur le reconnaît lui-même, il n'avait ni le temps, ni les moyens de développer une modélisati­on mathématiq­ue ad hoc pour évaluer l'impact d'une ou plusieurs lignes de métro à Bordeaux. Il s'appuie donc sur des projection­s démographi­ques de 850.000 habitants métropolit­ains en 2030, "soit +0,9% par an (sensibleme­nt inférieur en conséquenc­e à l'ambition politique d'une métropole millionnai­re)" et ses modélisati­ons s'appuient sur le fonctionne­ment d'un "tramway amélioré". Conséquenc­es de ces deux biais, l'auteur avertit que : "Nous pouvons donc légitimeme­nt considérer que les résultats obtenus constituen­t un plancher (fréquentat­ion, gain de temps, etc.)". C'est-à-dire que la réalité de l'impact d'un métro en termes de fréquentat­ion, de gains de temps et de report modal serait très probableme­nt supérieure aux résultats mentionnés ci-dessus.

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