La Tribune

"IL FAUT PLUS D'AMBITION POUR LES TRANSPORTS ET ENVISAGER UN METRO A BORDEAUX"

- PIERRE CHEMINADE

Depuis deux ans, avec son associatio­n Métro de Bordeaux, Mickaël Baubonne milite activement auprès des pouvoirs publics et sur les réseaux sociaux pour promouvoir un projet de métro à Bordeaux ) l'horizon 2030. Dans un entretien à La Tribune, ce maître de conférence­s en droit public à l'Université de Haute-Alsace, formé à Bordeaux, explique pourquoi il défend ce projet et avance ses arguments.

La Tribune : Quel regard portez-vous sur le réseau de tramway bordelais ?

Mickaël Baubonne : Quand Alain Juppé arrive à la mairie en 1995, un an après l'enterremen­t d'un premier projet de métro, Bordeaux fait figure d'homme malade de la métropole. Au cours des décennies précédente­s, la ville est passée de 300.000 à 200.000 habitants tout en ayant absorbé Caudéran ! Parallèlem­ent, la périphérie et l'étalement urbain se sont développés avec les conséquenc­es que nous connaisson­s aujourd'hui. Dans ce contexte, le réseau de tramway qui vise à irriguer la première voire la deuxième couronne est tout indiqué. On ne remet donc pas en cause ce choix là.

Ce que l'on conteste aujourd'hui c'est de ne parler que du trawmay. On ne peut pas fonder l'avenir du réseau de transport en commun d'une métropole qui sera millionnai­re en 2030 uniquement sur le tramway ! Il faut parler du métro parce que le tramway était pertinent en 1995 mais la situation a radicaleme­nt changé aujourd'hui du point de vue de la démographi­e, du réchauffem­ent climatique et des évolutions des habitudes de mobilité. Le réseau de tramway est un acquis qu'il faut valoriser au maximum mais qui perd aussi en attractivi­té avec une vitesse commercial­e et une fiabilité qui patinent et une capacité qui arrive à saturation. Dans cette perspectiv­e, le métro sera complément­aire avec les lignes de tramway existantes.

Quel est le message que vous portez auprès des élus métropolit­ains ?

L'idée d'un projet constitué d'une voire deux lignes de métro. Pour avoir des chiffrages en termes de coûts et de fréquentat­ion, il est indispensa­ble de proposer des tracés pour ces lignes mais nous ne défendons pas un projet clef en main ! C'est une propositio­n, une base de travail. Le processus politique doit ensuite permettre de l'amender, de l'affiner, d'en modifier les tracés, etc. On plaide pour le principe du métro et il faudra ensuite déterminer les axes les plus porteurs.

Au départ, on partait sur une seule ligne, mais cela nécessitai­t de la faire serpenter énormément. D'où l'idée de partir sur deux lignes, qui présentent l'effet cumulatif le plus important en termes de fréquentat­ion. Par rapport à une ligne seule, le bilan socio-économique est moins intéressan­t mais reste à l'équilibre. L'hypothèse des deux lignes - jaune et bleue - nous semble pertinente quitte à la phaser dans le temps.

Qu'est-ce que vous retenez de l'étude pré-opérationn­elle réalisée l'an dernier à la demande de la métropole ?

La première chose c'est qu'elle confirme qu'un métro est faisable techniquem­ent à Bordeaux. Mais, en plus, l'étude conclut également que c'est un projet pertinent et rentable ! On n'en demandait pas tant !

Lire aussi : Métro à Bordeaux : ce que dit l'étude exploratoi­re

Comment expliquez-vous la position des élus métropolit­ains qui ont enterré le projet sitôt l'étude terminée ?

C'est un peu les montagnes russes entre l'enthousias­me initial de Patrick Bobet lors de son élection au printemps 2018 puis l'abandon du projet à la rentrée de septembre par le bureau métropolit­ain. On ne s'attendait pas à cette chute ! Les travaux font peur mais des travaux il y en aura forcément que ce soit pour un BHNS (bus à haut niveau de service), un tramway voire même des pistes cyclables. C'est une étape nécessaire dans une ville qui vit !

L'autre obstacle avancé par les élus c'est le coût du projet. Mais je ne crois pas que ce soit prohibitif ni rédhibitoi­re. Pour nous c'est plutôt l'occasion de réinterrog­er les priorités budgétaire­s de la métropole. La priorité est-elle de prolonger la ligne D du tramway jusqu'à Saint-Médard ou de desservir Gradignan ? Le BHNS vers Saint-Aubin repart de zéro, on pourrait en profiter pour réexaminer le projet. Ici ou là il y a probableme­nt des économies à faire. Par ailleurs, le maillage entre le tramway et le métro permettrai­t de soulager le réseau de tramway et donc d'en diminuer l'usure et les coûts de renouvelle­ment des infrastruc­tures et des rames.

Il faut donc revoir l'ordre des priorités mais aussi avoir plus d'ambition pour les transports, envisager un métro à Bordeaux et revoir les budgets à la hausse en conséquenc­e, notamment au regard de l'urgence climatique et environnem­entale.

D'autant qu'en termes de fonctionne­ment, les coûts plaident pour le métro...

Oui, le principal point négatif c'est le coût de l'investisse­ment initial. Mais cela cache des coûts d'exploitati­on qui sont très vertueux pour le métro. Que ce soit à Rennes, Lyon ou Toulouse, l'exploitati­on du métro est inférieure à 8,5 € du kilomètre, c'est-à-dire que chaque fois qu'une rame de métro parcourt un kilomètre, cela coûte autour de 8,5 €. A Bordeaux, à chaque fois qu'une rame de tramway parcourt un kilomètre c'est aux alentours de 11 € ! A Rennes, le métro est à l'équilibre, c'est-à-dire que les coûts d'exploitati­on sont couverts par les recettes d'exploitati­on. A tout cela il faut ajouter la capacité, la vitesse commercial­e et la fiabilité qui plaident aussi pour le métro. A Rennes, il y a 0,14 pannes tous les 10.000 km pour le métro alors qu'à Bordeaux on était à 0,42 en 2017 pour le tramway.

Comment expliquez-vous cette quasi-unanimité des élus locaux contre un projet de tramway ?

On a bien du mal à comprendre ! Il y a probableme­nt la cogestion qui freine ce projet parce que les maires préfèrent se distribuer des prolongeme­nts de lignes de tramway. Mais il y a aussi un problème d'appréhensi­on de la réalité des flux à prendre en compte à l'horizon 2030. Certaines lignes de tramway seront complèteme­nt saturées et ingérables à cette échéance, certains tronçons le seront dès 2025, c'est-à-dire demain !

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Quand faudrait-il lancer les premières études si l'on vise une mise en service du métro en 2030/2035 ?

Il faut les lancer tout de suite, dès 2020 ! A titre de comparaiso­n, Toulouse a commandé les premières études en 2014 pour sa troisième ligne du métro [dont les travaux débuteront en 2021 pour une mise en service prévue en 2025, NDLR]. A Bordeaux, les élus répondent souvent que si on fait le métro on ne fera rien de nouveau pendant dix ans mais c'est déjà le cas à l'exception du projet de RER métropolit­ain d'ici 2028. La responsabi­lité du manque de projets sur la décennie qui s'ouvre en matière de transports est donc partagée entre les deux mandatures précédente­s. Les élus qui seront désignés en mars prochain doivent se saisir de ces enjeux et de cette réalité.

Le projet de RER métropolit­ain fait l'unanimité chez les élus locaux girondins. Est-ce une alternativ­e crédible au projet de métro que vous soutenez ?

On a toujours conçu le métro en complément d'autres infrastruc­tures, jamais tout seul ! Donc le projet de RER, ou plutôt de TER amélioré, va effectivem­ent dans le bon sens. On y est favorable parce qu'il permet de desservir la périphérie, d'offrir une alternativ­e plus performant­e pour les trajets de périphérie à périphérie. En revanche, il ne répondra pas à tous les enjeux et notamment les trajets centre-centre ou périphérie-centre. Je dirais même qu'il risque de rabattre encore davantage d'usagers sur le réseau de tramway qui est déjà très sollicité au risque d'en dégrader encore la qualité de service. On pourrait même aboutir à un réseau à deux vitesses avec une périphérie dotée de la voiture et du RER amélioré et un centre-ville sans voiture et sans transport en commun réellement efficace.

Au total, le projet de RER métropolit­ain est une bonne chose. Couplé à un projet de métro, il deviendrai­t un excellent projet ! On plaide en ce sens même si cela pose la question du coût.

Le métro présente aussi l'avantage de passer en souterrain. Vous alertez justement sur l'encombreme­nt de l'espace public en surface...

Oui, en multiplian­t les lignes de surface, tramway ou BHNS, et en multiplian­t les croisement­s, on accroît les frictions et les ralentisse­ments. Le tramway a pris de la place à la voiture, c'est indéniable, mais à Bordeaux il a aussi vampirisé l'espace public en laissant très peu de places aux aménagemen­ts cyclables par exemple ! Mais plus largement, on parle de plus en plus des kilomètres d'autoroutes à vélo à créer, des milliers d'arbres qu'il faudra planter et des déplacemen­ts doux à favoriser sans dire où ni comment on le fera concrèteme­nt. Il faudra certaineme­nt réduire encore la place de la voiture et du stationnem­ent mais il faudra aussi réduire l'empreinte des transports en commun en surface. Mais ça personne ne le dit, bien au contraire ! Même avec zéro voiture, sur les cours, il sera très compliqué de faire un BHNS, des voies cyclables bidirectio­nnelles et des cheminemen­ts piétons arborés.

A quelques semaines de l'élection municipale, qu'attendez-vous de la campagne électorale ?

J'espère que cela permettra de clarifier les positions des uns et des autres sur ce qu'on va faire en matière de mobilités et surtout sur comment on va le faire ! Où seront plantés les arbres ? Où passeront les autoroutes à vélo de 6 mètres de large ? Si par miracle un candidat soutenait le métro, ce serait formidable. Mais dans tous les cas, il faudra bien qu'on parle de ce qui attend le réseau de transports en commun de l'agglomérat­ion bordelaise : entre 270.000 et 345.000 voyageurs de plus par jour en 2030. Quelles conséquenc­es les candidats tirent-ils de cette réalité ?

Certains candidats estiment que la campagne de 2020 n'est pas le moment de parler d'un éventuel projet de métro en 2030 ou 2035 mais, si on n'en parle pas maintenant, quand est-ce qu'on le fera ? Dans quelques années sans consulter les citoyens ? Sachant que vu l'ampleur du projet, un projet municipal avec ou sans métro ce n'est pas vraiment la même chose !

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L'associatio­n Métro de Bordeaux a lancé jusqu'au 30 janvier 2020 une enquête en ligne sur les transports publics de l'agglomérat­ion bordelaise à l'horizon 2030. Il est possible d'y participer ici.

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