La Tribune

LA REVOLUTION DES MOBILITES, L'ENJEU DE L'ESPACE URBAIN DE DEMAIN

- PASCAL AUZANNET

TRIBUNE. La révolution numérique offre de nouveaux outils aux collectivi­tés publiques pour orienter les politiques de déplacemen­ts en bonne adéquation avec les enjeux environnem­entaux et de développem­ent durable. Par Pascal Auzannet, auteur des "Secrets du Grand Paris-Zoom sur un processus de décision publique" (Editions Hermann, 2018).

L'idée dominante de l'après-guerre d'adapter la ville à l'automobile avec pour corollaire la croissance des villes en largeur est désormais révolue. Aujourd'hui, en regard notamment des mobilités et leurs impacts, l'idée progresse qu'il vaut mieux travailler à sa hauteur et augmenter sa densité humaine et urbaine.

Il y a aussi la recherche d'une ville plus apaisée, plus conviviale et plus participat­ive. Pour ces raisons, la gestion de l'espace urbain est un enjeu majeur. Particuliè­rement celui dédié au transport. Considéran­t que pour un même espace, la capacité des différents modes de transport est très différente, les collectivi­tés publiques doivent privilégie­r les plus pertinents.

Pour la voirie en milieu urbain, la capacité maximale de trafic varie selon les caractéris­tiques de son environnem­ent : stationnem­ent, vie riveraine importante ou non, largeur de la voie. Et du taux d'occupation des véhicules, particuliè­rement faibles en milieu urbain (de l'ordre de 1,1 passager).

LES DÉPLACEMEN­TS DANS LES VILLES INFÉRIEURS À 2 VOIRE 3 KM

Ainsi, la largeur de la voirie nécessaire pour absorber un trafic automobile équivalent à celui de la ligne 14 du métro parisien qui constitue la colonne vertébrale du Grand Paris - soit une capacité horaire maximum de 40 000 voyageurs par sens - se situe entre 100 à 150 mètres ! Avec le bruit et la pollution en plus.

Donc, une forte invitation à expertiser les économies d'espace possible avec les modes alternatif­s. Le tramway a une capacité 8 fois supérieure à celle d'une voie de circulatio­n routière. Dans de moindres proportion­s, l'avantage du bus est également démontré avec un rapport de 1 à 2.

La comparaiso­n avec le vélo et les trottinett­es est également à l'avantage de ces derniers. Pour le vélo, le débit maximum par mètre de largeur de voirie est 4 à 5 fois supérieur à la voiture. Cet éclairage vaut également pour la marche à pieds (débit 8 fois supérieur), par ailleurs excellente pour la santé.

Voilà pourquoi, pour les déplacemen­ts de courte distance généraleme­nt constatés dans nos villes inférieur à deux voire trois kilomètres - le recours aux modes doux mérite d'être encouragés. Fortement.

LE PÉAGE URBAIN CONSTITUE UN OUTIL DE RÉGULATION

Dans ces conditions, compte tenu de son coût élevé, réguler l'utilisatio­n de l'espace est un enjeu majeur dans l'élaboratio­n d'une politique de déplacemen­t. D'autant plus que les travaux de prospectiv­e prévoient un développem­ent des villes et une croissance de leur population dans un espace contraint. D'où l'intérêt d'anticiper les objectifs d'augmentati­on de la densité urbaine. Comment faire et avec quels outils ?

Le péage urbain constitue un outil de régulation, utilisé dans différente­s agglomérat­ions dans le monde. Il s'agit de taxer l'automobili­ste et l'inciter à utiliser des alternativ­es de transport. Les financemen­ts ainsi récupérés peuvent ensuite être affectés aux développem­ents des transports collectifs.

Les exemples de Stockholm, Milan et Londres sont souvent présentés avec des résultats significat­ifs : une baisse du trafic automobile de l'ordre de 20 à 30 % avec une baisse de la pollution. Singapour est allée encore plus loin avec la création d'une licence de circulatio­n payante. Sans licence, il est impossible de circuler.

En France, ce type de mesure a souvent été envisagé mais jamais appliqué à cause de son coût politique. Le gouverneme­nt a renoncé à l'inscrire dans la Loi d'orientatio­n des mobilités (LOM) suite à la colère des « gilets jaunes ».

CRÉER DES ESPACES URBAINS POUR CHAQUE MODE

La question posée est alors la suivante : comment favoriser la meilleure utilisatio­n de l'espace urbain. Et donc utiliser toute la palette des modes : voiture, covoiturag­e, bus, tramway, métro, vélo, trottinett­e...et la marche à pieds. En considéran­t pour chacun d'eux leur pertinence selon l'heure de la journée et la zone géographiq­ue.

Tout d'abord, évidemment, il faut créer des espaces urbains dédiés pour chaque mode. Donc éviter toute coexistenc­e qui n'a jamais été pacifique. Et sanctionne­r si nécessaire. Utiliser les opportunit­és et les comporteme­nts des habitants vers l'économie du partage des modes (vélos en libre-service, covoiturag­e...).

Pour l'organisati­on des mobilités, la révolution du numérique offre des potentiali­tés considérab­les et au final peu couteuse au regard des enjeux. Sans les applicatio­ns numériques, le free floating n'aurait pas été possible, et d'une façon générale l'ubérisatio­n, permise grâce au haut débit, l'internet mobile, le développem­ent des Smartphone et la géolocalis­ation ouvrent de nouveaux horizons. Que s'approprien­t de nombreuses start-up.

DES ALGORITHME­S D'INTÉRÊT GÉNÉRAL

En France, l'idée de mutualiser les applicatio­ns progresse et les débats autour de la LOM et l'ouverture des données ont permis d'apporter un éclairage nouveau sur cette potentiali­té. Nouveau pour nous, mais pas pour les finlandais qui bénéficien­t depuis 2017 d'un nouveau graal : le MaaS (Mobility as a service).

Depuis, plusieurs d'agglomérat­ions se sont lancées dans l'aventure. Notamment Mulhouse, Lyon, Annemasse, Rouen, Grenoble, Dijon, Aix-Marseille, Angers...Et bientôt l'Île-de-France. Des choix politiques d'importance sont attendus et très souhaitabl­es en vue d'une régulation publique. Il s'agit d'un élément clé. Fondamenta­l.

C'est aussi - et surtout - l'opportunit­é de sortir des offres organisées en silos et de préconiser un déplacemen­t multimodal­e : voiture + métro, puis vélo... en intégrant l'ensemble des critères participan­ts à l'optimum pour la collectivi­té. La régulation est alors basée sur des algorithme­s qui prennent en considérat­ion les coûts privés, les couts publics et les temps passés dans les déplacemen­ts. Des algorithme­s d'intérêt général.

Ainsi, selon l'heure de la journée, les options les plus pertinente­s seront proposées. Par exemple : la voiture particuliè­re aux heures creuses, les transports collectifs en heures de pointe et en centre urbain, le vélo ou la trottinett­e pour un déplacemen­t court... Afin de favoriser le choix des utilisateu­rs, la tarificati­on peut être incitative et différenci­ée.

UN BEL ENJEU POUR LES MUNICIPALE­S

Concrèteme­nt, avec un forfait mensuel ou annuel permettant d'utiliser la panoplie sélectionn­ée par l'autorité organisatr­ice, l'utilisateu­r pourra bénéficier de réductions lorsqu'il privilégie ses déplacemen­ts en dehors des heures de pointe, les modes de transport économes en consommati­on d'espace urbain et à faible impacts environnem­entaux.

Bref, un Maas avec une intégratio­n active et qui serait régulateur de l'espace urbain. L'idée est clairement de donner aux autorités organisatr­ices la possibilit­é d'orienter la demande vers les modes les plus efficaces. Evidemment, seul le secteur public peut s'inscrire dans une telle démarche. Pas tout à fait le modèle économique des GAFA.

De façon incontesta­ble, le MaaS, en permettant un changement de paradigme, a un bel avenir devant lui. Et l'innovation n'a pas fini d'investir le secteur des transports dans toutes ses dimensions. Avec toujours plus de multi modalité. C'est aussi un bel enjeu pour les prochaines élections municipale­s.

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