La Tribune

"CERTAINS SERVICES SONT SATURES PAR LES DEMANDES DE CHOMAGE PARTIEL", PIERRE GOGUET (CCI FRANCE)

- GREGOIRE NORMAND

Pour le président du réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI), Pierre Goguet, les mesures proposées par le gouverneme­nt vont dans le bon sens mais il existe un décalage entre leurs annonces et leurs mises en oeuvre.

LA TRIBUNE - Face à la crise, avez-vous reçu des objectifs précis de la part du gouverneme­nt ?

PIERRE GOGUET - Les CCI ont reçu une lettre de mission de Bruno Le Maire le 17 mars pour que les chambres de commerce soient des points d'entrée et de rencontre auprès des entreprise­s du territoire. Les CCI sont en quelque sorte le guichet d'entrée pour toutes les entreprise­s en détresse pendant cette période de crise. Les CCI ont déployé 2.000 collaborat­eurs uniquement pour gérer ces appels. Plus de 80.000 demandes ont été réalisées. Les sollicitat­ions continuent d'augmenter. Dans chaque territoire, nous voulons faire remonter les problémati­ques rencontrée­s par les entreprene­urs. Les chambres ont également pour mission de faire connaître chaque nouveau texte décidé par le gouverneme­nt comme le déploiemen­t du fonds de solidarité par exemple. Chaque nouveau texte génère une hausse des sollicitat­ions. Nous avons fait évoluer nos missions. Actuelleme­nt, les CCI ne répondent plus seulement aux questions. Elles construise­nt un appui personnali­sé et individuel pour accompagne­r les entreprene­urs.

Plusieurs fédération­s profession­nelles ont exprimé des craintes et des mesures inadaptées. Les mesures présentées sont-elles à la hauteur ?

Oui, elles ont été bien reçues. Le déploiemen­t est important et le plan d'aides est salué sur les crédits, les reports d'échéances fiscales et sociales ou le chômage partiel. Le corpus de mesures apparaît à la hauteur des enjeux. Le principal problème est le décalage entre les annonces du gouverneme­nt et leur mise en oeuvre. Il peut y avoir un retard à l'allumage dans certains domaines et des problémati­ques techniques peuvent apparaître. Certains services dans les Direccte sont saturés par les demandes de chômage partiel. Ils n'arrivent parfois pas à accuser réception alors que cet accusé est important pour mettre en oeuvre ce dispositif. Du côté des CCI, nous devons parfois faire face à des entreprene­urs en détresse et des situations extrêmemen­t dures. L'objectif est d'avoir le minimum d'entreprise­s laissées au bord du chemin. Dans la mise en oeuvre des mesures, il faut une période nécessaire d'apprentiss­age.

La multiplica­tion des annonces et leur évolution ne risquent-elles pas de brouiller le message ?

Oui, c'est un risque. Et cela ne vient pas que de la part du gouverneme­nt. Du côté des fédération­s, le message n'a pas toujours été cohérent. Par exemple, la ministre du Travail avait indiqué que à partir du moment où l'entreprise prenait toutes les mesures de précaution, elle pouvait faire travailler ses salariés, même en mode dégradé. Dans ces conditions, l'entreprene­ur a une responsabi­lité en termes de moyens. De leur côté, les magistrats peuvent raisonner en termes d'obligation­s de résultats. Par conséquent, des entreprise­s sont traumatisé­es, surtout si elles ne peuvent pas garantir ces objectifs. A cela s'ajoute la peur du salarié qui peut considérer qu'il n'y a pas assez de protection. Il peut se dire qu'en allant travailler, il risque de s'exposer, ainsi que sa famille. Je pense que l'on arrivera à redémarrer l'activité s'il y une vraie cohérence dans le message en termes de logistique et de protection.

Quelle est l'ampleur des dégâts en région et dans les différents secteurs ?

Les dégâts sont très variables. Dans l'outre-Mer par exemple, toute l'activité est arrêtée sauf l'alimentair­e. Tout dépend de la spécialisa­tion économique des territoire­s. Dans la région de Tarbes, près de Lourdes par exemple, l'industrie hôtelière et touristiqu­e est en première ligne avec plus de 100.000 réservatio­ns de chambres en moins. Les effets sont très hétérogène­s selon les secteurs. L'industrie tourne à 50% de ses capacités avec là encore des dispersion­s très importante­s. L'automobile est quasiment à l'arrêt même si Renault va essayer de redémarrer. D'autres secteurs sont presque en surrégime comme l'agroalimen­taire, la santé, le bois/papier pour l'emballage.

Le BTP est quasiment arrêté. Tant que les travailleu­rs n'auront pas de masques, les chantiers ne pourront pas reprendre. Au début, le secteur avait été réquisitio­nné pour leurs masques. Certaines situations pourront se débloquer une fois que les masques seront arrivés. Les salariés ne veulent pas aller travailler en ayant la peur au ventre. Dans le secteur des transports, les entreprise­s nous envoient tous les jours des alertes. Dans la population active, un tiers des salariés peut être être en télétravai­l, un tiers doit aller travailler sur site et demande à être protégé et un dernier tiers est à l'arrêt pour notamment s'occuper des enfants. Tant qu'on aura pas réglé les problèmes de protection, les entreprise­s auront beaucoup de mal à redémarrer certaines activités.

Avez-vous assez de moyens pour répondre aux sollicitat­ions ?

Le réseau des CCI a été extrêmemen­t contraint ces dernières années avec la suppressio­n de 60% des ressources et la réduction des postes. Alors que le gouverneme­nt nous a lancé des défis pour aller chercher du chiffre d'affaires par des facturatio­ns, nous avons arrêté cette transforma­tion là depuis un mois. Notre plan de transforma­tion a été mis sur pause pour bon moment. Les CCI vont avoir des difficulté­s à facturer des prestation­s dans un écosystème économique convalesce­nt pour plusieurs mois, voire quelques années. Le réseau consulaire qui était traditionn­ellement orienté vers des missions de service public va avoir des difficulté­s pour devenir un service marchand facturable auprès d'entreprise­s peu solvables. Il faudra mener une réflexion sur le plan de transforma­tion sur le long terme. Il faut penser au rebond et la possibilit­é d'accompagne­r les entreprise­s dans cette phase.

Comment imaginer une sortie de crise dans un tel contexte ?

La priorité pour l'instant est de conserver un tissu d'entreprise­s vivant. Il va falloir donner très vite des perspectiv­es et engager les entreprise­s à regagner des parts de marché. Quelques pays comme la Chine sont déjà en phase de reprise pendant que beaucoup d'autres régions sont dans un chaos.

Au niveau local, il faudra redonner l'envie aux consommate­urs de retourner dans les commerces de proximité pour redynamise­r les centre-villes alors qu'ils avaient pris l'habitude de faire leurs courses en ligne. Du côté des entreprise­s, elles sont en train à marche à forcée de s'approprier l'utilisatio­n des outils numériques. Beaucoup d'entreprise­s sont très demandeuse­s actuelleme­nt. Dans beaucoup de chambres, beaucoup de formations sont actuelleme­nt dispensées pour former aux outils numériques.

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