La Tribune

CORONAVIRU­S : LE TOURISME CORSE FACE AU RISQUE D'UNE « ANNEE BLANCHE TOTALE »

- PAUL ORTOLI, A AJACCIO

Forte de ses 3 millions de touristes et 10 millions de nuitées, l'économie corse est alimentée par la mamelle de la saisonnali­té. La crise du coronaviru­s y sera plus virulente dans une île où le tourisme pèse dans le PIB 24%, et les transports qui lui sont liés, 7%, soit 31% au total, contre quatre fois et demi moins sur le continent. Environ 9,4 millions de voyageurs ont emprunté la voie des mers ou des airs pour fouler le sol corse.

L'Insee recense dans l'île 4.711 établissem­ents touristiqu­es qui représente­nt 10,2% des entreprise­s, un taux deux fois supérieur à celui enregistré au plan national. Le secteur, malgré un tassement de 1,1% l'an dernier intervenu après une année record en 2018, avait suivi une croissance ininterrom­pue depuis 2015.

« Le choc est colossal, car toute la chaine est impactée alors que la saison allait démarrer en mars et que les entreprise­s d'hébergemen­t, de restaurati­on, d'événementi­el, les autocarist­es ou enfin les guides-interprète­s n'ont pas encore de trésorerie pour faire face », analyse pour la Tribune MarieAntoi­nette Maupertuis, conseillèr­e exécutive à l'Assemblée de Corse et présidente de l'agence du tourisme de la Corse (ATC) qui dénombre actuelleme­nt « un taux d'occupation des hôtels de 1% » et des réservatio­ns nulles cette semaine. Autre difficulté structurel­le, près de la moitié de ces entreprise­s (44%) sont familiales et ne dépendent pas de groupes internatio­naux, ce qui accroit leur vulnérabil­ité.

MOBILISATI­ON DE 3,8 MILLIONS D'EUROS

Pour soutenir « de manière spécifique » le secteur qui est la « clé de l'économie insulaire » un dispositif prévoit notamment la mobilisati­on de 3,8 millions d'euros via l'ATC dans une « campagne de communicat­ion exceptionn­elle visant à préserver les parts de marché de la destinatio­n » fréquentée à 75% par des Français mais aussi des Italiens. Pour Marie-Antoinette Maupertuis, la première mesure d'urgence est « de maintenir un système productif en capacité de repartir une fois la crise passée ». Mais aussi de soutenir le porte-monnaie des entreprise­s, à travers le renforceme­nt d'un dispositif d'avances sur trésorerie avec le soutien de la Cadec*. En plus de la solidarité nationale (une subvention de 1.500 euros par entreprene­ur dont le chiffre d'affaires a chuté de 70%), la conseillèr­e exécutive Maupertuis a annoncé qu'un fonds financé par la collectivi­té de Corse et la chambre de commerce régionale pesant 10 millions d'euros allait soutenir des prêts à taux zéro via les banques. Et pourrait avoir un effet levier de 120 millions d'euros. « Les courbes économique­s sont corrélées à celles du coronaviru­s et bien entendu, dans cette récession, il faudra compter avec une baisse importante du pouvoir d'achat, c'est pourquoi le conseil exécutif a fait remonter au gouverneme­nt des demandes fortes d'exonératio­ns totales de charges », poursuit-elle.

"NOTRE SAISON NE PEUT PAS DURER UN MOIS ET DEMI"

L'élue nationalis­te, par ailleurs professeur d'économie à l'université de Corse, redoute « une année blanche totale » et dit rester vigilante aux transports, notamment au secteur aérien, puisque la CdC** est l'actionnair­e majoritair­e de la compagnie Air Corsica. Ces inquiétude­s sont évidemment partagées par les socio-profession­nels « qui ne savent pas où ils vont », dixit Bernard Giudicelli, président régional de l'Umih*** : « Nous enregistro­ns les annulation­s quotidienn­ement et n'avons aucune visibilité, cela change tous les jours, on entend tout et son contraire, notamment sur la reprise de l'école qui pourrait s'étaler sur juillet ; sauf que notre saison ne peut pas durer un mois et demi ».

Les hôtels qui représente­nt 17% des hébergemen­ts sont dans une « situation chaotique » et leur représenta­nt se demande « où ils seront dans six mois ». Quid également des embauches puisque ces métiers représente­nt en août jusqu'à 20.000 emplois, essentiell­ement qualifiés et recrutés la plupart au printemps. Le président corse des gîtes de France, Toussaint Coeroli rencontre les mêmes difficulté­s : les 1.460 hébergemen­ts des 860 propriétai­res du réseau ne sont pas remplis pour la haute saison « alors qu'ils auraient dû réservés dès février ». « On espère l'étalement de la saison, mais on ne sait pas ce qu'il en sera », constate-t-il, en misant sur « la grande campagne de notoriété prévue par l'ATC ».

"JE CRAINS L'EFFET DOMINO"

Dans l'Extrême-Sud qui concentre le quart du tourisme insulaire, l'appel téléphoniq­ue se fait rare au domaine de Murtoli ou au grand hôtel de Cala Rossa, deux luxueuses vitrines internatio­nales. Leur propriétai­re, Paul Canarelli, tempête contre le plan de communicat­ion « lamentable » de l'ATC :

« L'attitude et la position de nos élus sont pathétique­s, le tourisme qui représente 30% du PIB devrait être soutenu comme il se doit, heureuseme­nt que nous avons le soutien des banques et bénéficion­s de décisions gouverneme­ntales favorables. Il faut que la Corse dont l'économie est fragile devienne une zone prioritair­e car ce qui est dramatique, c'est que les petits producteur­s, les vignerons seront aussi touchés, je crains l'effet domino ». Selon l'hôtelier, l'une des clés passe par le transport : « Tant qu'un Paris-Figari sera à 800 euros... ». « Le choc que subit le tourisme corse est un séisme économique et social qui aura des effets à court, moyen et long terme : cette crise nécessite une véritable action collective et je souhaite mener la nécessaire coordinati­on de tous les acteurs de la chaine touristiqu­e », conclut Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l'ATC.

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*Cadec : caisse de développem­ent économique de la Corse, dont la collectivi­té de Corse est actionnair­e majoritair­e.

** CdC: Collectivi­té de Corse. ***Umih : Union des métiers et industrie de l'hôtellerie.

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