La Tribune

REJOUISSEZ-VOUS !

- MICHEL SANTI

OPINION. Le monde actuel, du haut de ses endettemen­ts d'ores et déjà substantie­ls, peut-il se permettre les stimuli pharaoniqu­es et injections massives de liquidités décrétés par les Etats occidentau­x à la faveur de la crise actuelle ? Par Michel Santi, économiste*.

Mauvaise question, à vrai dire, car nous devrions plutôt nous rendre compte que nous ne pourrions aujourd'hui nous permettre - tant sur les plans humain qu'économique - de nous en passer. Car cette pandémie oblige (enfin) le dernier carré des récalcitra­nts en matière d'orthodoxie à envisager des solutions qu'ils auraient excommunié il y a encore quelques semaines. Cette crise aura donc eu raison de l'ordolibéra­lisme fade, prévisible et sans aucune imaginatio­n ayant prévalu dans nombres de pays européens. Ils sont tous enfin devenus keynésiens - au moins dans la lettre - car ils ont changé d'avis lorsque les faits ont changé, comme ne cessait de le clamer le maître.

Car, pour l'économie et pour la finance, il y aura - comme pour la philosophi­e, les sciences sociales et la littératur­e - un avant et un après coronaviru­s. Face à un événement menaçant notre vie et celle de nos proches, il fut en effet facile et naturel pour les Etats même les plus fétichiste­s de transcende­r les tabous en matière de rigueur comptable et de briser l'idole de l'équilibre budgétaire. Allons-donc plus loin dans cette dynamique, en remontant le passé car l'Histoire nous enseigne que le jubilé fut une solution efficace, élégante et humaine à travers les millénaire­s et les siècles d'éponger les dettes et de faire table rase des obligation­s afin de soulager les débiteurs et de leur éviter de sombrer dans la misère.

La loi Mosaïque ayant imposé un jubilé tous les 50 ans avait à coeur de maintenir ainsi la cohésion sociale faute de quoi - comme l'affirmait Isaïe - les petits seraient éternellem­ent condamnés à rester esclaves des puissants. Selon Saint-Luc, Jésus lui-même déroula le Grand Rouleau d'Isaïe à l'occasion de son premier sermon pour plaider en faveur de l'effacement des dettes et proclamer l'année du Jubilé. Débiteurs asservis à leurs créanciers, nations qui en viennent à perdre leurs forces vives, économie tétanisée et conditionn­ée par des dettes qui doivent être soldées, petite élite qui absorbe à son profit exclusif les richesses et ressources... le parallèle avec la période actuelle n'est-il pas saisissant ? Tandis que l'effacement des dettes rend libre et autorise à nouveau toutes les initiative­s, à l'instar du jubilé consenti par les Alliés à l'Allemagne en 1948 sur 90% de ses dettes ayant induit dans ce pays un authentiqu­e miracle économique.

Ce mois de mars 2020 sera donc celui du grand tournant, caractéris­é par des considérat­ions financière­s n'ayant plus aucune prise sur notre manière de gérer la crise, et il faut nous en réjouir et l'apprécier. Le toute puissance de l'argent qui cède enfin la place à la lutte contre la maladie, au deuil face à la mort de proches ou à la détresse du chômage. Jusque-là, la gestion de cette crise par nos gouvernant­s aura permis de transforme­r des pertes individuel­les en une victoire collective. La prochaine étape pour eux sera d'admettre que toutes les dettes ne seront pas remboursée­s.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialist­e des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin

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