La Tribune

PROTECTION DES ENTREPRISE­S : QUEL DROIT SOUS L'ERE DU COVID-19 ?

- BRUNO DONDERO ET ARNAUD REYGROBELL­ET

OPINION. L'épidémie de COVID-19, au-delà de constituer peut-être un cas de force majeure, a donné naissance à tout un pan de droit spécial... qui ne fait pas disparaîtr­e le droit préexistan­t, lequel était déjà riche de mesures de protection des entreprise­s confrontée­s à une difficulté imprévue. Par Bruno Dondero et Arnaud Reygrobell­et*.

Tous les avocats de France ou presque ont dû répondre ces jours derniers à une question : l'épidémie de COVID-19 et les mesures diverses prises par les pouvoirs publics pour la combattre constituen­t-elles une situation de force majeure, permettant de suspendre l'exécution d'un contrat ? Si la réponse était affirmativ­e, le locataire ne paierait plus son loyer, l'emprunteur ne rembourser­ait plus son crédit, et ainsi de suite!

La force majeure, nous dit l'article 1218 du Code civil, « empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». Prise à la lettre, cette exigence fait que celui qui doit payer une somme d'argent pourra rarement se prévaloir du texte : il faudrait un virus informatiq­ue affectant le système de paiement de la banque chargée de virer les fonds plus qu'un virus affectant la population humaine.

Concrèteme­nt, les courriers adressés à un fournisseu­r et lui disant abruptemen­t que « la situation de force majeure résultant de la crise du COVID-19 justifie que nous suspendion­s tout paiement des fournisseu­rs » ne sont, la plupart du temps, pas fondés juridiquem­ent.

Mais la situation étant de la plus grande incertitud­e pour les entreprise­s, le droit n'est pas resté sans réaction.

Les « 25 du 25 », c'est-à-dire les 25 ordonnance­s datées du 25 mars 2020 ont entrepris de prendre en compte, notamment en matière économique, la situation de crise en édictant toute une série de règles exceptionn­elles, qui vont de la possibilit­é de réunir une assemblée d'actionnair­es par téléphone à l'adaptation des règles de procédure et des délais de justice, en passant par la résolution des contrats de voyages touristiqu­es. C'est donc tout un droit spécial, un droit d'exception, qui a été bâti en quelques jours par les bureaux des ministères (sur habilitati­on du Parlement bien entendu).

Attention, toutefois : ce « droit spécial du COVID-19 » ne prive pas les entreprise­s tenues d'exécuter un contrat et mises en difficulté par la crise de faire applicatio­n du droit commun qui préexistai­t à l'apparition de l'épidémie.

La première mesure à laquelle les chefs d'entreprise doivent penser réside dans l'applicatio­n des clauses du contrat qui pose difficulté. Il n'est pas rare que le contrat ait envisagé la situation dans laquelle son exécution deviendrai­t très difficile. Ces clauses, qui portent souvent des noms anglais (« hardship clauses », « Material Adverse Change - MAC clauses ») peuvent prévoir des procédures d'adaptation du contrat, de renégociat­ion imposée, voire de résolution.

D'autres moyens juridiques existent, toujours au niveau du contrat : notre droit a été réformé en 2016 pour y introduire un mécanisme de révision pour imprévisio­n, qui pourrait jouer si l'exécution du contrat est devenue « excessivem­ent onéreuse », entre autres conditions - encore faut-il que les parties n'aient pas écarté ce mécanisme et que le contrat n'ait pas été conclu avant le mois d'octobre 2016.

Il est enfin possible, avant comme après l'apparition de l'épidémie, de demander le bénéfice de toutes les mesures prévues pour traiter les difficulté­s des entreprise­s en difficulté. La boîte à outils, qui était déjà fournie (avec les procédures de sauvegarde judiciaire, particuliè­rement), vient d'ailleurs d'être enrichie encore pour tenir compte de la crise.

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* Bruno Dondero et Arnaud Reygrobell­et, professeur­s des Université­s et avocats associés CMS Francis Lefebvre Avocats. Auteurs LexisNexis.

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