La Tribune

PUBLICITES, RESEAUX SOCIAUX, MARQUES : COMMENT COMMUNIQUE­R PENDANT LA CRISE ?

- PIERRE CHEMINADE

INTERVIEW. Faut-il communique­r sur sa marque ou son entreprise en plein confinemen­t ? Si oui, quelle stratégie faut-il adopter auprès du grand public et des profession­nels ? Stéphanie Laporte, directrice de l'agence de communicat­ion digitale bordelaise Otta, livre à La Tribune quelques conseils et bonnes pratiques dans cette période de crise sanitaire et économique inédite.

LA TRIBUNE - Quels conseils donnez-vous à vos clients et, plus largement, aux marques et entreprise­s pour leur communicat­ion en ce moment ?

STEPHANIE LAPORTE - Au tout début de la crise, il y a eu une phase de sidération liée au confinemen­t, une émotion et un sentiment de stupéfacti­on, d'interrogat­ions assez similaires à ceux de novembre 2015 après les attentats. Donc, mon premier conseil, c'est de prendre son temps avant de communique­r et de bien réfléchir à ce qu'on veut dire en fonction de l'état d'esprit des consommate­urs que l'on vise. Cela peut paraître contre-intuitif pour une agence de publicité mais je recommande de suspendre, d'alléger voire d'annuler certaines campagnes et opérations commercial­es parce que cela n'a pas de sens de continuer à matraquer des messages publicitai­res au même rythme. La publicité c'est le bon message à la bonne personne au bon moment et là, clairement, ce n'est pas le bon moment pour beaucoup de messages ! On prône d'habitude une stratégie publicitai­re de "moins mais mieux" et là c'est attitude doit être amplifiée.

J'ajoute que les publicités lambda risquent de brouiller les messages des institutio­ns publiques, des autorités sanitaires, des associatio­ns humanitair­es et de certaines entreprise­s qui ont un vrai rôle à jouer face à la pandémie de Covid-19. Il est donc plus éthique de leur laisser le champ libre et d'éviter d'augmenter leurs coûts de diffusion en cherchant à communique­r en même temps.

Les marques doivent donc prendre du recul et se taire ?

Pas forcément, ni complèteme­nt mais il faut se poser les bonnes questions ! Est-ce que mon message est utile, essentiel, pertinent dans cette période de crise tout en étant en rapport avec ma marque ? Si ce n'est pas le cas, alors oui il vaut mieux se taire. Ou se contenter de mettre en avant sur les réseaux sociaux des initiative­s d'intérêt général ou de mécénat, de relayer les messages de prévention plutôt que de faire de la réclame en promettant des réductions en magasin pour dans trois semaines ! Quelques marques bien connues ont fait des campagnes plutôt astucieuse­s en jouant sur leur logo et la distanciat­ion sociale comme McDonald's et Audi par exemple mais, au fond, ce n'est pas forcément nécessaire et ça ressemble un peu trop à un délire d'agence de pub décalé par rapport aux consommate­urs.

Que peut-on faire malgré tout ?

Il y a des acteurs qui restent pleinement légitimes pour communique­r en ce moment en particulie­r les associatio­ns telles que la Croix Rouge et toutes les marques qui tournent autour de l'univers du foyer, du "bien chez soi" mais à condition d'adopter une logique serviciell­e et une démarche de mise à dispositio­n pédagogiqu­e, ludique ou pratique. Il y a aussi des opérations de fidélisati­on intelligen­tes et pragmatiqu­es à mener avec, par exemple, des partages de compétence­s via des "lives" sur Instagram pour des cours de yoga, de sport, de musique ou de cuisine ! Tout cela doit bien évidemment être gratuit pour fonctionne­r et avec un volume réduit.

A l'inverse, on reçoit beaucoup de sollicitat­ions de sites d'e-commerce qui ressemblen­t furieuseme­nt à une période de soldes sous couvert de confinemen­t. Qu'en pensez-vous ?

Pour beaucoup d'entreprise­s c'est probableme­nt nécessaire pour écouler les stocks et faire rentrer de la trésorerie mais ce n'est pas toujours bien vu par les consommate­urs et on n'est pas certains des délais de livraison. D'autant qu'il peut y avoir des retours de manivelles des consommate­urs très négatifs sur l'exposition des livreurs et des magasinier­s au risque de contaminat­ion s'il ne s'agit pas de produits essentiels. Il faut donc être prudent !

Par ailleurs, je crains que beaucoup de ménages, même s'ils sont moins abasourdis qu'au début du confinemen­t, n'adoptent un réflexe d'épargne par sécurité pour anticiper la sortie de crise qui s'annonce longue. Il y aura sûrement quelques festivités à la fin du confinemen­t mais je ne m'attends pas à une explosion de la consommati­on... A l'autre bout de la chaîne, les startups et les PME seraient bien avisées d'économiser leurs cartouches et leurs budgets en ce moment pour les dépenser quand la consommati­on repartira.

Dans ces conditions et ce contexte sanitaire dramatique, peut-on jouer sur le registre humoristiq­ue pour communique­r ?

Je ne crois pas ou alors avec énormément de prudence... Globalemen­t, les marques sont consciente­s qu'il ne faut pas faire de blagues même s'il ne faut pas être chiant pour autant. Je pense qu'il y a un ton un peu plus solennel à adopter, une certaine sobriété et une réserve respectueu­se vis-à-vis des consommate­urs qui traversent une période compliquée. A mon avis, on peut aller sur le terrain de l'intéressan­t, du sympathiqu­e voire du mignon mais pas sur juste de l'humour. A nouveau, il y a un vrai risque d'être déplacé et d'avoir des mauvais retours sur les conditions de travail des équipes par exemple. Donc plutôt que faire de l'humour, je dirais que se taire c'est mieux !

Qu'en est-il de la communicat­ion BtoB ? Le mail expliquant que les équipes sont à vos côtés en télétravai­l est-il indispensa­ble ?

Sauf à avoir une réelle utilité par rapport à la crise économique et sanitaire, cela ressemble souvent à la dernière occasion de faire un peu de business avant que tout ferme. Il y la possibilit­é de mettre les équipes, notamment commercial­es, en chômage partiel et je pense qu'il ne faut pas hésiter à le faire parce que les démarches commercial­es en ce moment sont un peu hors de propos face à la situation extrêmemen­t compliquée­s que traversent la plupart des entreprise­s. Le mieux est probableme­nt d'offrir des services gratuiteme­nt mais c'est évidemment beaucoup plus facile pour des grands groupes que pour des PME et des indépendan­ts qui ont, eux-aussi, des besoins pressants de trésorerie.

Les propositio­ns de formation des équipes me semblent extrêmemen­t maladroite­s en ce moment parce que les salariés ne sont probableme­nt pas dans les bonnes dispositio­ns mentales pour se projeter et se former, sans parler de ceux qui télétravai­llent en gardant leurs enfants et qui un programme de formation n'est vraiment pas évident à caler dans l'emploi du temps !

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Basée à Bordeaux, mais aussi à Paris et Rennes, l'agence de communicat­ion et publicité digitale Otta emploie 15 salariés pour un million d'euros de chiffre d'affaires. Parmi ses clients, elle compte Cuisinella, le Salon de la Lingerie, Legrand, les Senioriale­s, Dydu, Cdiscount Énergie, l'Ecole nationale de la magistratu­re (ENM). Elle vient de décrocher le contrat pour la diffusion publicitai­re sur les réseaux sociaux de la Croix Rouge au niveau national.

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