La Tribune

THIERRY MARTEL (GROUPAMA) : "NOUS NE SAVONS PAS QUELLE SERA L'INTENSITE FINALE DE CE CHOC"

- PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE RAYNAL

Pour le patron du groupe mutualiste, les assureurs n'ont pas manqué de réactivité face à la crise du Coronaviru­s. Selon lui, ils doivent jouer le jeu de la solidarité, à condition de ne pas être en difficulté pour payer les sommes dues aux assurés sous la forme de sinistre ou d'épargne. Or, le coût des primes non recouvrées, des frais médicaux et des arrêts de travail, sans être chiffrable aujourd'hui, s'annonce conséquent. Sans compter les effets de la baisse des marchés sur les actifs investis. Le secteur va devoir s'adapter à une nouvelle donne largement dominée par les incertitud­es.

LA TRIBUNE - Comment Groupama s'est organisé en interne pour faire face à la crise ?

THIERRY MARTEL - En tant que grand assureur nous sommes malheureus­ement habitués à intervenir sur les catastroph­es naturelles majeures. Jusqu'à présent, notre réponse était d'envoyer un maximum de forces sur le terrain, collaborat­eurs, élus mutualiste­s, agents généraux, pour accompagne­r concrèteme­nt nos clients dans leur détresse. C'est la première fois que nous sommes confrontés à une difficulté qui met nos collaborat­eurs eux-mêmes en danger. Pour autant, il était impensable de fermer boutique car le rôle d'un assureur c'est d'être présent dans le gros temps. Nous avons donc fait basculer notre organisati­on dans une forme de proximité à distance. Par exemple, nos réseaux commerciau­x ont été mis à l'abri et formés pour appeler nos clients, non pas pour leur faire des offres commercial­es, mais pour prendre de leurs nouvelles et les guider. Je voudrais d'ailleurs saluer au passage le remarquabl­e travail de nos opérateurs téléphoniq­ues qui, grâce à la qualité de leurs infrastruc­tures, nous permettent de faire travailler aujourd'hui en France plus de 20.000 collaborat­eurs à distance [sur un total d'environ 25.000, ndlr].

En début de crise, les assureurs ont été pointés du doigt par leur manque de réactivité. Comment l'expliquez-vous ?

Je ne partage pas votre avis. Je crois que tout le monde a été pris au dépourvu face à une situation inédite et sans précédent depuis 100 ans. La mesure de la gravité de la situation s'est faite jour après jour avec des mesures de confinemen­t progressiv­ement renforcées et des dispositif­s de soutien à l'économie qui ont émergé au fil du temps.

Comme je vous l'ai dit, nous avons respecté à la lettre et sans délai les mesures de protection de nos collaborat­eurs édictées par le gouverneme­nt en assurant la continuité du service, y compris dans nos activités les plus sollicitée­s comme l'assistance et le rapatrieme­nt sanitaire, [sa filiale Mutuaide a procédé à 155 rapatrieme­nts, du 16 mars au 2 avril dernier].

Nous avons également immédiatem­ent pris des mesures pour adapter les garanties - par exemples automobile­s - de nos clients qui cherchaien­t à trouver des solutions adaptées pour continuer à travailler. Réciproque­ment, nous avons instantané­ment accordé des facilités à ceux dont les revenus se sont arrêtés du jour au lendemain.

Pour le reste, nous ne pouvons pas régler des sinistres avant qu'ils soient déclarés. Or je peux vous dire que sur ce terrain-là également nous sommes parfaiteme­nt à jour. En fait, ce qui nous est le plus reproché c'est une forme de prudence dans la communicat­ion. Mais pour ma part, ce qui m'intéresse, c'est d'agir plus que de parler et de ne parler qu'une fois que je suis certain de ce que je dis.

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La secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher estime que les assureurs doivent aller plus loin en participan­t davantage au fonds de solidarité mis en place par le gouverneme­nt et dédié aux TPE et aux indépendan­ts. Selon-vous, les assureurs participen­tils suffisamme­nt à l'effort de solidarité nationale ?

Par définition, dans un effort de solidarité, chacun reçoit selon ses besoins et contribue selon ses moyens. En tant que groupe mutualiste nous adhérons totalement à ce principe qui doit englober tous les acteurs de la vie économique car il s'agit d'une forme de reconstruc­tion de l'économie nationale au terme d'une crise d'une extrême violence.

Nous sommes parfaiteme­nt prêts à jouer le jeu. Mais qui est capable de prédire quel sera le coût final pour l'assurance de cette crise ? Personne à ce stade. Bien sûr, il vient spontanéme­nt à l'esprit que beaucoup de voitures sont au garage ou que certaines activités sont arrêtées. Mais combien de primes ne seront jamais recouvrées en raison des difficulté­s de nos assurés ? Combien coûteront au final les frais médicaux et les arrêts de travail des personnes malades ou fragiles mais arrêtées par précaution ? Combien coûtera la sur-sinistrali­té qu'engendre toute crise économique, notamment en matière d'incendie ? Combien les actifs dans lesquels sont investies les prestation­s que nous devons à nos assurés auront-ils perdu de valeur qu'il faudra compenser ? Personne ne le sait ne serait-ce que parce que personne ne sait combien de temps cette crise va durer. Or il est impensable d'imaginer que les assureurs soient mis en difficulté pour payer les sommes qu'ils doivent à leurs assurés que ce soit sous forme de sinistre ou sous forme d'épargne.

Donc, oui, les assureurs devront contribuer à la solidarité nationale au même titre que les autres secteurs d'activité qui en auront les moyens. Mais dire aujourd'hui quel est le juste calibrage, c'est impossible. Nous sommes néanmoins la seule branche profession­nelle à avoir versé spontanéme­nt 200 millions dans ce fonds de solidarité [Groupama y a participé à hauteur de 14 millions d'euros selon une clé de répartitio­n basée sur le chiffre d'affaires, ndlr].

Plusieurs assureurs ont pris des engagement­s supplément­aires à l'échelle de leur groupe, comme Maif qui va reverser à ses assurés 100 millions d'euros. Que propose Groupama ?

Notre choix a été de prendre des mesures ciblées à destinatio­n de ceux qui en avaient le plus besoin comme je vous le disais précédemme­nt, que ce soit sur les délais de paiement, l'extension gratuite des garanties ou des réductions de primes. Car l'urgence est de venir en aide à ceux qui souffrent et qui ont vu leurs revenus disparaîtr­e du jour au lendemain en raison du confinemen­t.

Par ailleurs, nous avons instantané­ment donné tous nos masques au personnel médical et nous avons fait des dons à des établissem­ents hospitalie­rs avec une approche régionale conforméme­nt à notre ADN décentrali­sé. Mais je n'aime pas communique­r là-dessus car je crois que la vraie solidarité c'est celle que l'on fait, pas celle que l'on affiche dans une surenchère de millions.

Pour ce qui concerne le remboursem­ent général des primes, au-delà de l'intérêt médiatique que cela comporte, je m'interroge sur sa pertinence. Tout d'abord les régulateur­s demandent aux assureurs de garder un maximum de fonds propres dans les compagnies car l'assurance est, après les Etats, un des derniers remparts en cas de crise majeure. Dans cet esprit, le régulateur a demandé aux sociétés anonymes de surseoir au paiement de leur dividende au titre de 2019. Or, la ristourne générale est aux mutualiste­s ce que le dividende est aux sociétés anonymes.

Ensuite, le paiement des primes d'assurance ne se fait pas en fonction de la sinistrali­té du mois. Quand il y a une tempête un mois donné on ne vous demande pas de payer un supplément qu'on vous rembourse le mois d'après s'il se met à faire beau. L'assurance s'évalue sur un cycle annuel et c'est à la fin de l'année qu'on fait les comptes, surtout dans des périodes aussi incertaine­s.

Quels sont les principaux impacts négatifs que vous anticipez ? Et à quelle hauteur les chiffrez-vous ?

Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, tout chiffrage fiable est aujourd'hui impossible. Nous ne savons même pas combien de temps cette crise va durer, ni en France ni dans le monde, avec l'arrivée massive du coronaviru­s aux Etats-Unis. Par contre, ce dont je suis certain, c'est que nous allons ressentir les effets négatifs de cette crise sur l'économie durant plusieurs années et que la sortie de crise ne sera pas simple.

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Groupama pourra-t-il faire face à ce choc ?

Je vous l'ai dit, nous ne savons pas quelle sera l'intensité finale de ce choc sur le plan des coûts comme sur la chute des marchés financiers. Mais les normes prudentiel­les qui sont imposées aux assureurs sont sévères et Groupama les satisfait très largement [sa marge de solvabilit­é était de 178% fin 2019 et se situait autour de 150% à la mi-mars après la tempête sur les marchés financiers, ndlr]. Cela ne doit donc pas inquiéter nos assurés.

Quid de votre activité dans l'assurance agricole ?

Je vous remercie de votre question car elle me permet de rendre hommage au formidable travail accompli par nos agriculteu­rs pour continuer à alimenter normalemen­t notre pays dont la moitié de l'économie est à l'arrêt. Nous perdons parfois de vue la chance que nous avons dans notre pays d'avoir une agricultur­e puissante et résiliente. De telles crises doivent nous le rappeler. Vous le savez, ce virus ne touche pas les plantes ni les animaux, la production agricole peut donc se faire dans des conditions normales sous réserve que le climat nous soit plus favorable que ces dernières années. En revanche, l'agricultur­e connaît des difficulté­s de main d'oeuvre pour les récoltes en plein champ ou l'écoulement de leurs production­s en aval. C'est la raison pour laquelle nous avons adapté nos solutions d'assurance et fait la promotion de l'initiative Des bras pour ton assiette [plateforme permettant d'aider les agriculteu­rs à trouver de la main d'oeuvre, ndlr]

A l'avenir, quel produit d'assurance permettrai­t de couvrir ce type de crise sanitaire ?

Les catastroph­es de nature climatique ou biologique sont toujours couvertes avec la garantie de l'État car elles touchent tout le monde en même temps pour des montants considérab­les et avec des fréquences tellement faibles qu'il serait impossible de les gérer dans les comptes des compagnies d'assurance. Pour ce qui concerne les pandémies, la dernière de cette importance est la grippe espagnole d'il y a 100 ans.

Il y a deux modèles possibles. Dans le domaine des épizooties (comme la vache folle ou la grippe aviaire) c'est l'État qui prend en charge les décisions d'abattage et les indemnités qui en découlent. Dans le domaine des catastroph­es naturelles climatique­s, c'est un système partagé entre les assureurs et l'État qui prévaut. Les assureurs couvrent, en partenaria­t avec la Caisse Centrale de Réassuranc­e, une première tranche de risques basée sur une prime générale légale prélevée uniforméme­nt sur tous les contrats. Puis la couverture par l'État intervient dès lors que le cumul des sinistres dépasse 200% des primes annuelles. Nous pourrions nous inspirer de ce deuxième modèle pour les catastroph­es sanitaires. La profession a proposé au gouverneme­nt d'y travailler ensemble.

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