La Tribune

LA FRANCE DESINDUSTR­IALISEE ET NUE FACE AU VIRUS, COMMENT Y REMEDIER ?

- MARC GUYOT ET RADU VRANCEANU

Le manque de matériel pour lutter contre la pandémie du Coronaviru­s a mis à jour notre dépendance à l'égard d'autres pays et a relancé le débat sur la désindustr­ialisation de la France. Mais pour faire face à un tel défi, il est nécessaire de réunir un certain nombre de conditions. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeur­s à l'Essec.

De même que la crise des dettes souveraine­s en 2010 avait révélé des défauts de conception de la monnaie unique, la crise sanitaire du Coronaviru­s révèle à son tour les forces et faiblesses des structures industriel­les des différents pays de la Zone euro.

S'il est inquiétant que les pays du Sud de l'Europe apparaisse­nt comme peu préparés à affronter une crise sanitaire d'une telle ampleur, il est encore plus perturbant de découvrir que ces pays n'ont pas non plus les capacités industriel­les de répondre en urgence à la forte hausse de la demande nationale liée à la pandémie, que cela soit des biens simples comme les masques en tissu, les coton-tige, les blouses de protection, l'oxygène médicale, les réactifs pour les tests ou des biens plus sophistiqu­és comme les respirateu­rs utilisés en réanimatio­n.

UN FLUX DE NOS INDUSTRIES VERS L'ASIE

Depuis des décennies, on observe un flux continu et inexorable de fuite vers l'Asie, notamment en Chine, de nos industries. Cette désindustr­ialisation s'est bien sûr accompagné­e de destructio­n d'emplois et de savoir-faire importants. En France, la contributi­on de l'industrie manufactur­ière à la valeur ajoutée totale, est passée de 23,7% en 1980, à 21,1% en 1990, pour chuter à 14% en 2017 (données INSEE). Dans le contexte actuel, les médias mettent en exergue l'histoire de Spéria, cette petite entreprise française productric­e de masques respiratoi­res, passée en 2010 sous le contrôle de l'américain Honeywell, qui l'a finalement fermé en 2018, suite à la suppressio­n des dernières commandes publiques.

Après avoir moqué Donald Trump pour son obsession de ralentir et inverser la dépendance industriel­le forte des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine (le pays tirant le plus parti de la mondialisa­tion et le moins respectueu­x du libre-échange), les dirigeants français, notamment le Président de la République, s'empressent maintenant de mettre « le marché » en accusation de leur incurie budgétaire. Mais qu'est-ce-que « le marché » a à voir avec les coupes budgétaire­s dans la santé, la passation de commandes publiques au moins-disant asiatique et le mépris vis-à-vis des risques pandémique­s que l'on sait maintenant avoir été bien documentés depuis les crises SARS et

Ebola ? Toute honte bue, le gouverneme­nt dénonce maintenant les dangers de la délocalisa­tion. En visite dans la principale usine française survivante de production de masques sanitaires à Angers le 31 Mars, Emmanuel Macron s'est engagé vers l'indépendan­ce « pleine et entière » en production de masques (c'est-à-dire au retour à la situation de 2012, la période 2012-2020 ayant été, comme chacun, sait une période de libéralisa­tion sauvage en France).

Certains économiste­s reconnus dans leur domaine suggèrent la mise en oeuvre d'une politique agressive de réindustri­alisation, comme l'avait rêvée le ministre Arnaud Montebourg en son temps. Ainsi, l'Etat définirait ce qui est « stratégiqu­e » et les entreprise­s concernées, sous contrôle public, pourraient produire à profusion des masques et autres biens identifiés comme stratégiqu­es pour parer les crises à venir. La faiblesse de cette approche réside sur la capacité du planificat­eur à anticiper la nature (incident nucléaire, catastroph­e naturelle, pandémie, crise financière ... ) et la survenue des crises à venir. A notre connaissan­ce, l'être ou l'intelligen­ce artificiel­le suprême capable de prédire la prochaine crise n'existe pas.

Le planisme se vit dans le contrôle et le dirigisme. Cela pourrait être une forme d'organisati­on dans un monde prévisible dans lequel ne survient pas de crise inattendue et face à laquelle il ne faut pas mettre en oeuvre avec souplesse, rapidité et efficacité des solutions nouvelles. La vision planiste est que la prochaine crise sera la même que la précédente et en conséquenc­e il faut planifier la production nationale et l'entreposag­e des armes qui ont été utilisées dans cette crise passée.

LE FUTUR DANGER EST PAR NATURE INCONNU

La solution est bien évidemment ailleurs puisque le futur danger est par nature inconnu. L'urgence est donc la constructi­on d'une structure économique flexible à même de répondre en urgence aux défis, quels qu'ils soient. Or cela n'implique pas plus mais moins de planificat­ion et davantage de flexibilit­é et non l'inverse.

Si disposer d'un appareil industriel efficace et flexible est la marque d'un pays fort, il semble que les pays du nord de l'Europe soient largement mieux lotis que les pays du sud bien que la mondialisa­tion ait frappé tous les pays européens. Si on examine les caractéris­tiques d'organisati­on politique de l'Allemagne, de la Suisse ou de l'Autriche, un premier élément immédiatem­ent marquant est que ces pays sont bien moins centralisé­s que la France. Si on examine maintenant leur organisati­on économique, ils fonctionne­nt avec un marché du travail flexible, contrairem­ent aux multiples rigidités qui criblent les marchés du travail français, italien ou espagnol. On peut évoquer comme caractéris­tiques des pays du sud, un poids disproport­ionné des syndicats au regard de leur représenta­tivité réelle, des seuils sociaux provoquant une moindre proportion d'entreprise­s de taille moyenne, un salaire minimum uniforme pour tous les âges et toutes les industries empêchant l'emploi des jeunes et non-qualifiés, une dichotomie CDI/CDD pénalisant­e générant une frilosité à l'embauche, et un recours excessif à des contrats courts pour mieux exploiter le système d'indemnités de chômage.

La France porte en plus la croix des 35 heures depuis 2001, usine à gaz basée sur une vision simpliste du travail, que les dirigeants successifs n'ont jamais osé abolir. Ces caractéris­tiques bien connues ainsi que la complexité pesante du droit du travail ont généré une dégradatio­n continue de la compétitiv­ité des firmes françaises, qui se retrouve dans le déficit chronique de sa balance commercial­e. Pour les firmes vendant des biens similaires à ceux offerts par la concurrenc­e internatio­nale, le seul choix possible a été la délocalisa­tion ou la disparitio­n. Les firmes nonconcurr­encées par les importatio­ns, notamment les services, ont pu mieux s'accommoder de ces rigidités et de leur manque de compétitiv­ité-prix.

L'ANÉANTISSE­MENT D'UN GRAND NOMBRE DE TPE EN FRANCE

Ainsi, petit à petit, nous avons assisté impuissant­s à l'anéantisse­ment d'un grand nombre de TPE en France et à l'essor du Mittelstan­d en Allemagne, cette frange industriel­le de « grandes » TPE orientées vers l'internatio­nal et qui pèsent 45% du PIB outre-Rhin.

Nicolas Sarkozy avait souhaité suivre l'exemple allemand en matière de fiscalité et basculer sur la consommati­on une partie des charges sociales pesant sur le travail pour améliorer la compétitiv­ité tout en maintenant stables les recettes de l'Etat. La TVA touchant les produits de toutes les entreprise­s, françaises ou étrangères, cette politique fiscale aurait permis de supprimer une partie de l'écart de compétitiv­ité avec l'étranger. A son arrivée, François Hollande a supprimé ce projet et mis en place une réduction d'impôts proportion­nelle à la masse salariale totale, une incitation claire à la hausse des salaires. Si Emmanuel Macron a fini par découpler le cadeau fiscal de la masse salariale, aucune hausse de la TVA n'a été envisagée.

Construire une base industriel­le solide et flexible en France est possible puisque nos voisins l'ont fait. Apprenons de l'Allemagne ce qui profiterai­t à la France, modernison­s notre marché du travail, supprimons ces seuils sociaux mortifères, allégeons le poids de la paperasser­ie et des tracasseri­es administra­tives de façon à permettre à nos entreprene­urs et nos start-up d'exprimer le génie français. Il est grand temps que les gouverneme­nts successifs cessent de se prosterner devant les bénéficiai­res d'acquis sociaux d'un autre temps et pensent au bien commun.

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