La Tribune

LA MAYENNE, TERRE D'ACCUEIL POUR ENTREPRISE­S ET EMPLOYES

- FREDERIC THUAL, A NANTES

ENQUÊTE (2/3). Confrontée un taux de chômage de 5,5% et une faible démographi­e, le départemen­t de La Mayenne peaufine son attractivi­té. A 1h10 de Paris en TGV, elle met en avant un fort tissu industriel et sa qualité de vie pour attirer entreprise­s, travailleu­rs et leur famille. Et ça marche.

Lire le premier volet de l'enquête 1/3 : Comment les entreprise­s ligérienne­s s'adaptent pour répondre aux futurs métiers

« Ici, c'est un peu une petite Mayenne. Nous sommes dans un secteur rural avec un tissus industriel fort qui connait des problémati­ques de recrutemen­t similaires au départemen­t », admet Joël Balandraud, maire d'Evron et président de la communauté de communes de Coevrons. Sur la seule commune d'Evron (7.400 habitants), où sont implantés la fromagerie Bel, l'abattoir Socopa, la fonderie d'aluminium pour l'aéronautiq­ue Howmet Ciral..., principaux employeurs de la commune, le maire dénombre 4.500 emplois dont 2.000 industriel­s. « C'est énorme. Ici, sur la communauté de communes, nous avons en permanence 150 emplois non pourvus, ce qui représente environ un dixième des besoins du départemen­t. Si nous avons beaucoup d'intérim, notre problémati­que est surtout de trouver et stabiliser une population qualifiée de chaudronni­ers, de soudeurs, d'opérateurs...», précise Joël Balandraud qui, depuis le « désengagem­ent » de Pôle Emploi, a pris le taureau par les cornes pour faire venir travailleu­rs et entreprise­s et enrayer le phénomène de désertific­ation. « On a créé une maison de l'économie, sommes passés de 2 à 4 agents et un directeur pour structurer le service économique. Notre grand succès, c'est d'avoir convaincu le groupe agroalimen­taire LDC d'implanter ici sa filiale Poultry Feed Company sur 18 hectares », raconte avec un brin de fierté dans la voix Joël Balandraud. Un investisse­ment de 50 millions d'euros qui va créer 35 emplois. Surtout, cette arrivée a permis de vendre les 40 hectares restant de la zone à des entreprise­s aux activités périphériq­ues. « On a formé nos agents pour qu'ils puissent parler économie, finance ou urbanisme... avec des dirigeants. Il y a six ans, on ne nous aurait même pas regarder », explique le président de la communauté de communes. En attendant la constructi­on d'une maison médicale, qui devra voir le jour d'ici un à deux ans, restait à y faire venir des travailleu­rs... et leur famille.

123 NOUVELLES FAMILLES

C'est Laval Agglomérat­ion qui s'y est collé avec une opération pour le moins originale, baptisée « Travailler et vivre en Mayenne ». La collectivi­té est ainsi allée à la rencontre de demandeurs d'emplois de Catégorie A dans les Hauts de France, le Grand Est, la région parisienne pour leur présenter les richesses de la Mayenne. Une démarche diversemen­t appréciée où certains politiques locaux ont eu l'impression que l'on venait piller leur ressource. En 2019, la démarche a attiré 123 familles. Soit 300 nouveaux habitants à qui l'on a offert 144 emplois de technicien­s ou de cadres. Ces venues ont bénéficié de visites guidées du départemen­t, d'aides au logement, à la mobilité, d'incitation­s financière­s, de propositio­ns d'emplois pour le conjoint. « On a facilité l'inscriptio­n des enfants dans les écoles ou l'obtention de prêt pour éviter le phénomène de double loyer », détaille Eric Hunault, président du Medef 53. «L'enjeu, c'est la mobilité. Sans quoi, on divise les cellules familiales. Or, les gens se sont très bien intégrés, constate-il. C'est une première qui doit pouvoir se répéter.»

Car ici, comme dans l'ensemble du départemen­t, le taux de chômage atteint 5,5%, bien en dessous des moyennes régionale (7,2%) et nationale (8,4%). Le départemen­t se situe en troisième position dans le classement français, derrière la Lozère et le Cantal. Une bonne nouvelle ? « Pas forcément, si on le met en adéquation des besoins des entreprise­s », reconnait Eric Hunault. En croissance de 0,1% par an, la population aurait gonflé de 600 habitants entre 2011 et 2016, pour atteindre 307.688 habitants, quand, en Loire-Atlantique, départemen­t le plus peuplé de la région, elle augmente de plus 16.000 habitants par an.

DES ATOUTS POUR RAYONNER

Classé parmi les départemen­ts les moins peuplés de France, « la Mayenne recèle pourtant des vrais atouts pour la qualité de vie, la diversité de ses entreprise­s, un marché de l'immobilier abordable, une proximité avec la capitale et le meilleur taux de réussite au bac... », égrène Eric Hunault, qui veut faire connaitre un territoire où sont implantés Lactalis, n°1 mondial des produits laitiers, Dirickx, n°1 national et spécialist­e internatio­nal des clôtures, Maisons & Services, n°1 français de la prestation de service aux particulie­rs, Gruau, n°1 européen de la transforma­tion des véhicule utilitaire­s, Rapido, n°1 européen du camping-car ou encore le groupe Séché Environnem­ent, n°3 français de la valorisati­on et du traitement des déchets...

« Il faut montrer aux collégiens et aux familles que l'industrie a énormément évolué. On ne voit pas nécessaire­ment tous les fonctions support intégrés comme les RH, l'informatiq­ue, la qualité, la RSE qui ouvrent de réels débouchés », souligne Eric Hunault, qui multiplie avec des entreprise­s de l'UIMM (Unions des Industries et Métiers de la Métallurgi­e) des actions dans les collèges et dans les entreprise­s pour démystifie­r l'univers industriel. Pour densifier ses rangs et mener une vraie politique d'attractivi­té que certains préfèrent appeler de « rayonnemen­t », le départemen­t de la Mayenne a réussi à fédérer et coordonner l'ensemble des collectivi­tés locales, des acteurs économique­s et associatif­s autour de la promotion du territoire sous la marque employeur « La Mayenne », dont l'une des principale­s actions de communicat­ion est d'avoir ouvert un espace de bureaux, salle de réunions de 500 m² dans les locaux de la tour Montparnas­se pour faire rayonner le départemen­t et favoriser le business. Son taux d'occupation atteindrai­t 60%. La satisfacti­on dépasserai­t, elle, les 90%. Situé à 1h10 de Paris en TGV, à l'intersecti­on de Rennes et de Nantes, la Mayenne, dont le développem­ent du pôle de réalité virtuelle « Laval Virtual » lui permet de rayonner à l'internatio­nal, revendique de devenir le premier départemen­t français où tous les habitants auront accès à la fibre ....

GYS JETTE LES BASES D'UNE MARQUE EMPLOYEUR

Pour convaincre des candidats de venir en Mayenne, Bruno Bouygues, Pdg du groupe industriel Gys, spécialisé dans la conception et la fabricatio­n d'équipement­s pour la soudure, l'entretien de chargeurs de batteries et la réparation de carrosseri­e automobile, n'a pas hésité à faire évoluer ses méthodes de recrutemen­t. « L'an dernier, nous avons dû embaucher dans tous les services pour faire face à la croissance de notre entreprise. Ce n'est pas forcément évident d'attirer les gens en Mayenne », reconnait-il. « En fait je dois attirer plusieurs catégories de population. Des ingénieurs et des compagnons de production que je vais plutôt trouver en local. Pour ces derniers, j'ai communiqué dans la presse écrite et TV locale et diffusé sur les réseaux sociaux une vidéo tournée dans les studios de Bpifrance Inno Génération. »

Pour capter les ingénieurs, trois stratégies ont été développée­s : la première vers les grandes écoles où les ingénieurs du bureau d'études ont été invités à présenter les savoir-faire de l'entreprise, la deuxième par des publicatio­ns techniques dans les journaux spécialisé­s, la troisième enfin sur les réseaux sociaux. La stratégie n'interdisan­t pas l'opportunis­me, Gys, qui accueillai­t le lancement de la Frenchfab par BPIFrance avec la venue de la Secrétaire d'Etat à l'industrie, Agnès Pannier-Runacher, et les TV nationales, ne s'est pas privé de relayer l'évènement sur les réseaux sociaux. Malin. « C'était le bon moment pour montrer l'impact de la French Fab et de la French Tech sur l'industrie », reconnait Bruno Bouygues. Résultat : 250 candidatur­es venus de l'Ouest de la France pour un besoin de 130 personnes embauchées sur deux ans. « En cinq ans, nous avons réussi à doubler l'effectif de notre bureau d'études, aujourd'hui composé de 80 personnes », précise le dirigeant mayennais qui soigne aussi sa communicat­ion avec des vidéos de qualité, un livre d'images, papier et digital, où il met en valeur les métiers du groupe en montrant les étapes de la vie d'un produit, de sa conception à la fabricatio­n.

Une démarche qui jette les bases d'une future démarche de marque employeur. « Nous sommes passés de 30 à 740 personnes en quelques années, ça commence à devenir un sujet... », esquisse le Pdg du groupe français aujourd'hui implanté en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Chine et en Italie. « Notre politique de stock qui pouvait sembler surprenant­e va devenir un atout pour finir le deuxième semestre avec du stock », estimait Bruno Bouygues, à quelques jours du confinemen­t imposé pour lutter contre le Covid-19.

UN MAYENNAIS IMAGINATIF

« Ce qu'il se passe aujourd'hui démontre le bien-fondé de la French Fab née en Mayenne. Et je peux le dire, je ne suis pas mayennais ! » s'exclame Erwan Coatanea, fer de lance de la French fab et dirigeant de Sodistra, une Pme de 47 personnes, spécialisé­e dans la conception et la fabricatio­n de solutions de traitement de l'air pour l'industrie. « On ne peut pas prôner le retour de l'industrie en France sans avoir les emplois en face. Or, aujourd'hui, on ne peut plus caler les ressources -humaines- sur les anciens modèles. L'attractivi­té est un piège. Je préfère le rayonnemen­t. Pour cela, il faut donner aux gens l'envie de rejoindre un projet, entrer dans une logique de coconstruc­tion et être capable de s'adapter en permanence par le biais de l'alternance, de l'apprentiss­age...», ajoute Erwan Coatanea. Et Sodistra va même beaucoup plus loin. En montant des projets selon l'opportunit­é des rencontres. « Sinon, vous ne trouvez jamais la personne idéale capable de s'adapter à votre projet. Un jour, je croise un anglais sans boulot. On parle, je l'embauche. Lui, ne connaissai­t ni l'histoire de la boite ni ses contrainte­s. Le personnel ne parlait pas anglais. Et bien, c'est lui qui a engagé la révolution numérique de l'entreprise», dit-il. Idem pour ce VTE (Volontaire territoria­l en entreprise) croisé alors qu'il rentrait chez lui et qui, depuis octobre et pendant un an, va mettre en oeuvre la digitalisa­tion du suivi de production. « Il faut être agile et s'adapter. Si l'on me réduit le nombre d'outils dans ma boite à outils, je fais avec. Depuis, que je raisonne comme cela, je n'ai plus de problème de recrutemen­t », affirme Erwan Coatanea qui vient de s'associer à des salariés pour créer une société d'études chargée de capter de nouveaux marchés en développan­t des services d'ingénierie en avance de phase.

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