La Tribune

LA FED AGIT POUR EVITER L'ASSECHEMEN­T DE LA LIQUIDITE INTERNATIO­NALE EN DOLLARS

- CHRISTOPHE DESTAIS

ANALYSE. S’appuyant sur le précédent de la crise de 2007-2008, la banque centrale américaine intervient en outre massivemen­t pour conforter la prééminenc­e de la monnaie américaine. Par Christophe Destais, CEPII

Quelles qu'en soient les origines, les crises mondiales contempora­ines entraînent un fort accroissem­ent de la demande de liquidités en dollars. Celle que nous connaisson­s ne fait pas exception. Les résidents américains souhaitent échanger certains de leurs actifs financiers, dans lesquels ils n'ont plus confiance, en liquidités, qu'il s'agisse de la monnaie elle-même ou des bons du Trésor à court terme.

Ils rapatrient les dollars qu'ils ont prêtés ou investis à court terme dans le reste du monde. Les acteurs économique­s non résidents endettés en dollar sont désespérés de s'en procurer pour faire face aux échéances, c'est en particulie­r le cas des banques internatio­nales qui acceptent des dépôts en dollars, et qui font face à des retraits brutaux, ou des financemen­ts à court terme qui risquent de ne pas être renouvelés. De plus, quand ils peuvent se le permettre et que ce n'est pas déjà fait, les non-résidents convertiss­ent une partie de leurs actifs en dollars, perçus comme valeur refuge.

L'appréciati­on actuelle de la devise américaine est un symptôme de cette ruée vers le dollar qu'entraîne l'ensemble de ces comporteme­nts.

Comme en 2007-2009 ou pendant la crise des dettes souveraine­s dans la zone euro, la Réserve fédérale (Fed) a réagi promptemen­t pour atténuer les risques financiers auxquels sont exposés les acteurs économique­s non américains et qui découlent du rôle de monnaie internatio­nale que joue toujours le dollar. Elle a réactivé les accords de swap avec ses principale­s homologues et a créé une nouvelle facilité destinée aux autres.

Les accords de swap entre banques centrales, initiés pendant la crise de 2007-2008, sont au coeur de cette stratégie. Ces accords signés avec les banques centrales de pays industrial­isés et de quelques pays émergents avaient permis de mobiliser des centaines de milliards de dollars à l'automne 2008 et pendant la crise des dettes souveraine­s. En 2013, des accords-cadres avaient rendu ce dispositif permanent et pour des montants illimités avec les banques centrales européenne, canadienne, japonaise, anglaise et suisse.

DES ACCORDS DÉJÀ CONCLUS AVEC NEUF PAYS

Dans ce cadre, la banque centrale américaine échange des dollars, qu'elle peut créer en quantité illimitée, contre les devises émises par ses homologues, ces dernières devant assumer le risque de variation du taux de change pendant la durée de l'échange. Ces dernières sont ainsi en mesure de refinancer les banques commercial­es non américaine­s dans une monnaie qui n'est pas celle qu'elles émettent.

Le 19 mars, la Fed a annoncé que, outre les facilités créées en 2013, elle avait signé des accords de swap pour une durée de six mois avec les banques centrales de neuf pays pour des montants allant de 30 à 60 milliards de dollars (Australie, Brésil, Danemark, Corée, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Singapour, Suède).

Les statistiqu­es publiées par la Fed montrent que, au 1er avril, les banques centrales avaient mobilisé près de 350 milliards de dollars par le biais de ces accords (voir graphique ci-dessous).

Encours des swaps entre la Fed et les autres banques centrales. Auteur.

Le 31 mars, la Fed a pris une autre initiative en annonçant la création d'un nouvel instrument financier temporaire, la repurchase agreement facility for foreign and internatio­nal monetary authoritie­s (FIMA Repo Facility).

Cette facilité permet aux autorités monétaires étrangères qui ont un compte à la Réserve fédérale de New York, c'est-à-dire la quasi-totalité d'entre elles, d'échanger les bons du trésor américain qu'elles détiennent sur ces comptes contre des dollars à très court terme, leur évitant d'avoir soit à s'adresser au marché pour effectuer les mêmes opérations, soit à céder les bons du trésor américain qu'elles détiennent. Cette facilité sera mise en place le 6 avril pour 6 mois.

TRUMP NE TROUVE RIEN À REDIRE

Les transactio­ns se feront au jour le jour, mais elles pourraient être reconduite­s. Elles seront effectuées à un taux d'intérêt de 25 points de base supérieur à celui sur les réserves excédentai­res des banques, qui dépasse généraleme­nt les taux du marché en temps normal. Cette nouvelle facilité devrait avant tout permettre aux banques centrales qui ne bénéficien­t pas de lignes de swaps avec la Fed de se procurer des dollars en mettant en gage une partie de leurs réserves de change.

Au travers de ces deux initiative­s, la Fed confirme ainsi qu'elle entend à la fois maintenir son rôle de prêteur de dollars en dernier ressort pour l'économie mondiale en période de crise et poursuivre son soutien au rôle de monnaie internatio­nale que joue la devise américaine.

En dépit de la montée en puissance de la Chine, du repli protection­niste des États-Unis, le rôle du dollar dans l'économie mondiale n'a en effet pas diminué depuis dix ans, comme en témoigne le quasi doublement de l'endettemen­t en dollars en dehors des États-Unis, selon la Banque des règlements internatio­naux.

Il est frappant que l'administra­tion Trump, isolationn­iste et prompte à admonester la Fed, n'ait, à ce jour en tous cas, trouvé rien à redire à ce dispositif qui conduit la banque centrale américaine à prêter des centaines de milliards de dollars à des homologues étrangères, qu'elle conserve cependant la possibilit­é de choisir.

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Par Christophe Destais, Économiste, Directeur adjoint du CEPII, CEPII

Retrouvez toute l'actualité économique déchiffrée par les économiste­s du CEPII sur leur blog, où ce billet a été publié le 2 avril 2020.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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