La Tribune

CORONAVIRU­S : ATTENTION AU NOUVEAU RISQUE DE FRACTURE SOCIALE

- COLLECTIF

TRIBUNE. La situation inédite créée par le confinemen­t général n'est pas la même pour tous, en raison des inégalités sociales, des métiers exercés, ou encore de la fragilité financière. Avec le retour à la normalité, il sera nécessaire d'aider les plus démunis qui subissent le plus durement les conséquenc­es de la pandémie. Par Xavier Alas Luquetas, Yves Bassens, Emmanuel Charlot, François Cochet, Eric Goata, Christian Mainguy, Jean-Luc Odeyer,

Alexis Peschard, Jean-Louis Ringuedé et Laurence Saunder, membres de la La Fédération des Intervenan­ts en Risques Psychosoci­aux (FIRPS) (*).

En termes médicaux et distanciés, nous serions tous égaux face au coronaviru­s puisque le virus ignore les distinctio­ns sociales. De même que pour les conséquenc­es en cas de contaminat­ion, puisque l'évolution vers une forme sévère, plus forte chez les personnes dites à risques (âgées ou malades), peut se manifester aussi bien à Neuilly qu'à Bobigny.

En termes d'implicatio­n dans la gestion de cette crise c'est, en revanche, la logique inégalitai­re qui prédomine entre ceux qui, sur le terrain, tiennent la première ligne et ceux de l'arrière. On pense en premier lieu à ceux dont le métier impose une présence terrain : les médecins, les infirmiers, les policiers. Certes, ils ont choisi leur métier, et, pourrait-on dire, en assument le risque. Est-ce le cas pour la caissière, le livreur de colis, l'éboueur ? Pour beaucoup d'entre eux, on peut en douter. Paradoxale­ment, on redécouvre le rôle essentiel de ces métiers, souvent méprisés, mais qui se trouvent érigés au rang de héros.

LE CONFINEMEN­T RÉASSIGNE CHACUN À SA PLACE SOCIALE

Pour l'immense majorité, ceux qui demeurent confinés, qu'ils exercent en télétravai­l ou subissent un chômage partiel, la différence s'apprécie surtout par rapport aux conditions de logement, et dans une moindre mesure de la situation familiale. Bien sûr, on peut être cadre dirigeant avec une grande famille cloitré dans un appartemen­t -même grand- et ouvrier sans enfant dans un pavillon de banlieue. Mais dans la grande majorité des cas, disons-le, le confinemen­t réassigne chacun à sa place sociale. Et ce sont les plus démunis qui, à mesure que la crise dure, subissent forcément le plus durement les impacts de cette situation. Imaginez une famille de cinq personnes dans une HLM de trois pièces avec tous les voisins en situation identique.

Malgré les apparences, une crise a de nombreuses vertus : elle mobilise les énergies, permet de nouvelles initiative­s, engendre des solidarité­s, élargit le champ des possibles. A côté des personnes abattues ou sidérées, certains s'activent sans compter afin de faire face aux contrainte­s et urgences qui s'imposent à eux. Mais cette hyper-sollicitat­ion, ce surrégime, même soutenu par des conscience­s individuel­les généreuses, ne peux pas durer éternellem­ent. L'épuisement viendra.

NÉCESSITÉ DE LA RECONNAISS­ANCE DES AUTRES

Or pour tenir, ces personnes ont besoin du soutien et de la reconnaiss­ance des autres, et particuliè­rement de ceux qui les dirigent et qu'ils ne voient que rarement en temps ordinaires. Il leur faut des signes concrets qui leur renvoie l'image de leur exceptionn­alité, voire de leur héroïsme, audelà des devoirs imposés par leur métier.

Viendra le moment où, la crise arrivée à son terme, lorsque l'exceptionn­el cédera la place à la normalité (même si, compte tenu de l'ampleur de la crise, cette normalité sera forcément différente de celle qui l'aura précédée), d'autres logiques reprendron­t leurs droits. Mais que penseront alors ceux qui ont été surinvesti­s et exposés ? Selon qu'ils se seront sentis protégés ou non, soutenus ou non par leur organisati­on et ceux qui les dirigent, leur réaction sera diamétrale­ment opposée. Le sentiment d'appartenan­ce et la fierté l'emporteron­t dans un cas, la colère et le désengagem­ent dans l'autre. Et que pourrons-nous dire à ceux qui perdront leurs emplois, surtout s'ils se sont euxmêmes sacrifiés. Les désinvesti­ssements et les plans d'économie des entreprise­s auront des conséquenc­es sur tous les acteurs, sans que les efforts engagés pendant la crise ne fournissen­t de garantie d'être alors épargné.

NE PAS EN RAJOUTER SUR LE TERRAIN DES CONSÉQUENC­ES FINANCIÈRE­S

Si la question du type d'emploi occupé et celle du logement exacerbent les inégalités face à la crise sanitaire, il sera essentiel de ne pas en rajouter sur le terrain des conséquenc­es financière­s. Le gouverneme­nt a prudemment « incité » les entreprise­s à faire preuve de modération dans leur distributi­on de dividendes. Certains dirigeants ont annoncé la suppressio­n de leur bonus ou réduit leur rémunérati­on. Ceux qui ne tiendront pas compte de cette dimension seront responsabl­es d'une aggravatio­n peut-être irrémédiab­le des fractures qui minent, dans la durée, l'efficacité des entreprise­s en légitimant le désengagem­ent durable des salariés. Ce sera aussi une condition, ou pas, d'une sortie efficace de la crise le moment venu.

La crise est un amplificat­eur de ce qui préexistai­t, une loupe de notre société. Elle peut être aussi un soubresaut pour faire avancer les pratiques, les modes de gouvernanc­e, voire - rêvons un peu la solidarité.

________ (*) Le site de la Fédération des Intervenan­ts en Risques Psychosoci­aux.

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