La Tribune

LE TOURNANT DE LA MONDIALISA­TION DANGEREUSE

- OLIVIER PASSET, XERFI

Et le rêve d'un monde plat, sans entrave, est de plus en plus apparu comme un jeu de dupes. Les grands groupes ont compris qu'ils ne disloquaie­nt pas sans risque les process de production. Non la géographie n'est pas neutre. Sans parler des retombées sociales, pour les moins qualifiés, de la pression des délocalisa­tions. L'accélérati­on de la crise climatique et la récurrence de crises sanitaires ont aussi légitimé l'idée de privilégie­r les circuits courts, traçables. Avec le coronaviru­s, la conscience que la circulatio­n de tout est facteur de viralité est encore montée encore d'un cran .... Bref, plus personne ne croit à la mondialisa­tion heureuse. Ni les citoyens, ni ceux qui les gouvernent.

Soumise à de multiples coups de butoirs, la mondialisa­tion devrait régresser :

1. Pour des raisons technologi­ques. La digitalisa­tion et la robotique permettent la prise en charge sur le territoire des stades de production confiés aux pays ateliers, à moindre coût. 2. Pour des raisons politiques, compte tenu de ses effets sociaux et environnem­entaux délétères de plus en plus palpables.

MONDIALISA­TION DES SERVICES ET PHÉNOMÈNES DE CONCENTRAT­ION

Mais en première analyse, moins de mondialisa­tion, c'est aussi moins de commerce internatio­nal. C'est donc moins de croissance. Nos cerveaux ricardiens sont conditionn­és pour penser ainsi. Faire et exporter ce que l'on fait de mieux à partir de ses dotations humaines et technologi­ques et faire faire par les autres puis importer pour un moindre coût le reste est un jeu gagnant pour tous. Cette idée, à l'apparente évidence, est pourtant fausse — non que Ricardo ait tort — pour deux raisons principale­s :

1. La démondiali­sation dont on parle reste partielle. Elle ne concerne que la sphère physique de production, devenue minoritair­e : la mobilité des marchandis­es, des implantati­ons industriel­les ou des ouvriers. Mais peut-on parler de démondiali­sation concernant la data, les flux financiers ou les services ? Bien au contraire. Cette mondialisa­tion des flux immatériel­s ne fait que progresser. Dans de nombreux domaines des services, réputés non délocalisa­bles, car faisant intervenir une relation interperso­nnelle, c'est tout le contraire de la démondiali­sation qui se produit. Les plateforme­s permettent précisémen­t de produire du service, en mobilisant du travail à plusieurs milliers de kilomètres. Des call centers jusqu'à la chirurgie fine, on peut imaginer la prise en charge à distance qui étend considérab­lement le champ de la concurrenc­e.

2. Parce que le monde dans lequel on vit n'a pas la perfection ricardienn­e qu'on lui prête. Conforméme­nt au modèle théorique, les chaînes de production se rallongent, participan­t à la division internatio­nale du travail. Mais cette représenta­tion passe sous silence les phénomènes de concentrat­ion du contrôle et de la rente sur des groupes et des gestionnai­res d'actifs planétaire­s dont le pouvoir de marché fausse la concurrenc­e par les prix. Et pour cause, dans le monde de Ricardo, il n'y a pas mobilité internatio­nale du travail ou du capital, pas de fusacq, pas d'exode des cerveaux...

Le monde d'aujourd'hui n'a pas la perfection ricardienn­e, dans le sens aussi où le dumping sur le coût du travail ou sur le change proroge des technologi­es anciennes de production au détriment de solutions technologi­ques plus performant­es. Dire que mobiliser du travail des enfants ou d'adultes à 1 dollar de l'heure est un optimum est bien sûr plus que contestabl­e. Que dire encore des externalit­és sanitaires, environnem­entales négatives, ou du coût des crises systémique­s récurrente­s qui détruisent du capital technologi­que et humain de façon récurrente. Et il faudrait parler aussi de la mobilité imparfaite des hommes. Contrairem­ent aux modèles d'équilibre, ce n'est pas le travail non qualifié qui se déplace pour se mettre en quête d'emplois là où il se crée. Mais c'est l'emploi qualifié qui s'expatrie, affaibliss­ant les pays développés retardatai­res, accroissan­t les pressions à la baisse sur les salaires des moins qualifiés et augmentant les revenus sociaux qui grèvent les budgets nationaux.

Bref, démondiali­ser serait peut-être nocif dans un monde parfait... Sauf que le monde est tout sauf parfait et qu'il y a place pour des alternativ­es dont les effets ne sont pas univoques sur la croissance.

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