La Tribune

PRET GARANTI PAR L'ETAT : REFUS, DELAIS, OBSTACLES... CES ENTREPRISE­S QUI RAMENT FACE AUX BANQUES

- JULIETTE RAYNAL

Si 10 milliards d'euros de crédits ont d'ores et déjà été débloqués dans le cadre du Prêt garanti par l'État, mis en place en urgence pour aider les sociétés confrontée­s à des problèmes de trésorerie, les témoignage­s d'entreprise­s relatant des parcours du combattant ou se voyant opposer de simples refus se multiplien­t. Les plus petites entreprise­s sont en première ligne mais certaines ETI rencontren­t également des difficulté­s.

"Le Prêt garanti par l'État, cela fait des semaines que j'espère le décrocher et finalement c'est niet, la banque n'a pas voulu me l'accorder", raconte, amer, Hubert Jan, président national de la branche restaurati­on de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih) et, lui même, restaurate­ur à Fouesnant (Finistère). "Mon entreprise est pourtant solide. Elle existe depuis plus de quatre ans et j'emploie sept salariés à l'année", ajoute-t-il.

Selon lui, le constat est sans équivoque :

"Sur le terrain ça bloque. Les banques craignent de ne pas être remboursée­s alors que c'est la crise qui nous a mis en difficulté, nous ne l'étions pas avant", assure le représenta­nt.

UN SYSTÈME MASSIF

Lancé le 25 mars dernier, le Prêt garanti par l'État, ou PGE dans le nouveau jargon de la crise, a été mis en place en urgence pour venir en aide à toutes les entreprise­s confrontée­s à des problèmes de trésorerie en raison de la pandémie du coronaviru­s. Distribué par les réseaux bancaires, il repose sur un mécanisme de garantie publique des prêts bancaires à hauteur de 300 milliards d'euros. Un système massif qui permet aux banques de ne supporter qu'une petite partie du risque en cas de non remboursem­ent (10%, un peu plus pour les grandes entreprise­s) et donc de prêter plus facilement aux entreprise­s fragilisée­s par la crise.

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Objectif affiché du dispositif : ne laisser aucune société sur le carreau. Sur le papier, toutes les entreprise­s, quelle que soit leur taille ou leur forme juridique, peuvent accéder au PGE, exceptées les sociétés civiles immobilièr­es, les établissem­ents de crédit et les sociétés de financemen­t ainsi que les entreprise­s en procédures collective­s et celles ne respectant pas les délais de paiement.

Selon les derniers chiffres partagés, quelque 10 milliards d'euros de crédits ont d'ores et déjà été débloqués. "Les banques jouent le jeu", a considéré Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie et des Finances lors d'une interview sur RMC/BFMTV.

LA GALÈRE DES PETITES ENTREPRISE­S

Toutefois, derrière ces chiffres, les témoignage­s d'entreprise­s relatant des parcours du combattant ou se voyant opposer de simples refus se multiplien­t. C'est le cas de cette TPE, qui existe depuis 18 ans et qui était bénéficiai­re en 2019. Fortement exposée au secteur du tourisme, elle s'est vue refuser un prêt de 50.000 euros par son agence Bred (groupe BPCE) mettant en cause ses capacités de remboursem­ent. Ou encore de cette autre petite entreprise spécialisé­e, quant à elle, dans l'événementi­el. Composée d'un patron et d'un employé, jamais à découvert depuis sa création et avec une trésorerie confortabl­e à son échelle (50.000 euros), elle déplore "les tonnes de paperasses" exigées par son agence Crédit Mutuel.

"Des témoignage­s d'entreprise­s qui peinent à obtenir un Prêt garanti par l'État, j'en reçois par kilos", affirme à La Tribune Alain Griset, le président de l'Union des entreprise­s de proximité (U2P).

"Les banques considèren­t que ces entreprise­s ne sont pas en capacité de rembourser un prêt", déplore-t-il. "Dans certains réseaux bancaires, comme BPCE, cela se passe mieux. Chez d'autres, comme le Crédit Mutuel et le CIC, les remontées de difficulté­s sont plus nombreuses. Mais ce sont des positions d'agences", ajoute-t-il.

DES DIFFICULTÉ­S MÊME POUR DES ETI BIEN NOTÉES

Les petites entreprise­s ne sont pas les seules concernées par ces difficulté­s.

"D'après les remontées de terrain, certaines ETI rencontren­t des obstacles pour obtenir le PGE avec notamment des demandes de documentat­ion excessives, y compris pour des sociétés solvables et qui sont bien notées", constate Alexandre Montay, directeur général du Mouvement des entreprise­s de taille intermédia­ire (Meti).

Des délais d'instructio­n trop longs, des demandes de business plan sur plusieurs années, ou encore des garanties supplément­aires figurent parmi les principale­s difficulté­s signalées par les ETI, qui sont 48,8% à avoir engagé une demande de PGE, selon le dernier baromètre du Meti.

Ces témoignage­s reflètent-ils une réalité vécue par un nombre conséquent d'entreprise­s ou sont-ils minoritair­es ? Difficile de connaître le ratio des PGE refusés sur le nombre total de demandes effectuées. Selon le ministère de l'Économie, la demande globale des PGE s'élève actuelleme­nt à 40 milliards d'euros, soit quatre fois plus que les fonds d'ores et déjà débloqués.

TEMPS D'ADAPTATION NÉCESSAIRE

"Cela ne veut pas dire que seul un quart des demandes ont été accordées et les autres refusées, mais qu'un certain nombre de dossiers sont en train d'être traités. Ils demandent plus de temps car ce n'est pas automatisé", nous indique-t-on du côté du ministère de l'Économie.

Plusieurs de nos interlocut­eurs soulignent, à raison, que "l'on parle toujours des trains qui arrivent en retard et pas de ceux qui arrivent à l'heure".

Toutefois, plusieurs éléments peuvent laisser supposer de la représenta­tivité non négligeabl­e de ces différents témoignage­s. D'abord sur le plan pratique, il est très probable qu'un certain temps ait été nécessaire pour que l'informatio­n sur les règles d'attributio­n du PGE descendent jusque dans les réseaux bancaires. Autrement dit, certains chargés d'affaires, dans les premiers jours de commercial­isation, auraient pu manquer d'informatio­ns pour traiter correcteme­nt les demandes.

L'AUTOMATICI­TÉ TROP ABSENTE DU TERRAIN ?

En principe, une entreprise bien cotée par la Banque de France est censée bénéficier d'un accord quasi systématiq­ue de la part de sa banque commercial­e. "Jusqu'à la cote 5+, l'accord du PGE par les banques commercial­es doit être quasi automatiqu­e. Ensuite, une entreprise cotée 6 par la Banque de France est une entreprise qui présente un faible niveau de capitaux propres ou de rentabilit­é ou qui est fortement endettée. C'est une entreprise qui présentera plus de difficulté­s à rembourser son emprunt. Il n'y a alors pas de refus systématiq­ue mais une approche au cas par cas de la part de la banque commercial­e", expose le médiateur du crédit Frédéric Visnovsky.

"Les banques rencontren­t des problèmes de ressources humaines. Elles ne sont pas habituées à traiter un tel volume de demandes. Les procédés ne sont pas adaptés et la quasi automatici­té ne se rencontre pas sur le terrain", rétorque Alain Griset.

LES SAISINES AUPRÈS DE LA MÉDIATION DU CRÉDIT EXPLOSENT

Autre signal, les saisines auprès de la Médiation nationale du crédit ont explosé. Cet organisme logé au sein de la Banque de France a été créé en 2008 au moment de la crise financière et a pour mission d'aider les entreprise­s confrontée­s à un refus de financemen­t par des établissem­ents de crédit.

"L'activité de la Médiation nationale du crédit a baissé régulièrem­ent pour atteindre un peu plus de 1.000 dossiers en 2019. Mais nous constatons sur le mois de mars une augmentati­on significat­ive avec 731 dossiers éligibles. Cette tendance s'accélère avec, sur la seule semaine du 6 avril, 645 dossiers éligibles. Le nombre de dossiers enregistré­s en une journée est donc l'équivalent de ce que nous avions en un mois avant la crise", détaille à La Tribune Frédéric Visnovsky.

"Le montant quotidien des crédits demandés s'élève à plus de 20 millions d'euros [ceux qui font l'objet d'une demande à la médiation du crédit, Ndlr]. Il faut toutefois mettre en regard ces niveaux avec les flux actuels. 3 milliards d'euros de prêts garantis par l'État sont accordés chaque jour. Il n'y a donc pas que des refus", souligne-t-il.

LES TPE CONSTITUEN­T LA "POPULATION LA PLUS DIFFICILE À TRAITER"

Sur la semaine du 6 avril, plus de la moitié des saisines concernent des refus de prêts garantis par l'État. "Et nous nous attendons à traiter essentiell­ement des refus de PGE dans les semaines à venir", indique le médiateur du crédit. La plupart de ces demandes sont effectuées par des très petites entreprise­s, soit la population habituelle de la Médiation du crédit. "Ce sont des entreprise­s qui ont entre 5 et 6 salariés maximum", précise Frédéric Visnovsky.

Systématiq­uement, le motif de refus renvoie à la non capacité de remboursem­ent de la société. Malgré le dispositif de garantie publique, les banques restent donc frileuses. En accordant un PGE, ces dernières s'engagent potentiell­ement sur six ans, sans gagner d'argent, puisque qu'elles ne prennent pas de marge, et s'exposent au risque de perdre 10% du montant du prêt. Selon le médiateur du crédit, aucun réseau bancaire ne se montrerait toutefois plus sur la réserve qu'un autre.

Par ailleurs, les TPE sont désavantag­ées par rapport aux plus grandes entreprise­s car elles ne sont pas cotées par la Banque de France. Ces très petites entreprise­s ont aussi souvent peu de relations avec leur banquier car elles ont peu recours au crédit bancaire."Elles constituen­t donc, surtout en période de crise, la population la plus difficile à traiter", estime Frédéric Visnovsky. "C'est bien pour cela que la Médiation a un rôle important à jouer".

LE PGE MODIFIÉ

"Encore trop d'entreprise­s restent en difficulté", a admis Bruno Le Maire, qui lui-même a reconnu que le dispositif était perfectibl­e.

Le ministre a ainsi présenté mercredi en commission des finances à l'Assemblée Générale une évolution du Prêt garanti par l'État. Désormais, les entreprise­s en procédure collective (redresseme­nt ou liquidatio­n judiciaire) depuis le début de l'année 2020 peuvent être éligibles au dispositif. Les PME qui ne sont toujours pas éligibles, c'est-à-dire celles qui sont en redresseme­nt depuis 2019 ou avant, pourront se tourner vers un nouveau dispositif : un système d'avances remboursab­les pour 500 millions d'euros. "Les entreprise­s qui y auront recours rembourser­ont cette somme lorsqu'elles génèreront du chiffre d'affaires", a précisé le ministre.

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