La Tribune

UNE SAISON DE FESTIVALS LARGEMENT COMPROMISE

- VALENTINE DUCROT

Annulation­s en série, reports, incertitud­es ou lucidité… Face au Covid-19, les responsabl­es de festivals tentent d’apporter leurs réponses. S’il est encore trop tôt pour évaluer précisémen­t l’impact économique en région Occitanie, le manque à gagner devrait s’élever à plusieurs millions d’euros. Enquête.

Après l'annulation du Printemps des Comédiens à Montpellie­r, du Worldwide à Sète ou de l'Électro Beach à Barcarès, l'allocution d'Emmanuel Macron interdisan­t les grands rassemblem­ents, au moins jusqu'à mi-juillet, a fini par doucher les ardeurs des organisate­urs de festivals.

A commencer par les Déferlante­s, à Argelès-sur-Mer (66), qui ont annoncé sur les réseaux sociaux l'annulation de la 14e édition prévue initialeme­nt du 8 au 11 juillet 2020.

« Le report est difficile pour notre équipe, pour les intermitte­nts, les prestatair­es, les artistes (environ 1 000 personnes au quotidien sur le festival, NDLR) et nos bénévoles (250, NDLR) qui travaillen­t si durement pour que les Déferlante­s Sud de France soient un grand moment de bonheur et de partage. Ce report sera également une déception, une perte économique pour ceux qui nous accompagne­nt avec une grande fidélité depuis tant d'années, nos partenaire­s et mécènes, les fournisseu­rs et tout le tissu économique local travaillan­t à nos côtés. »

Avec une fréquentat­ion de l'ordre de 60 000 à 70 000 spectateur­s, ce sont environ 6 M€ de retombées économique­s (estimation­s 2019) qui partent en fumée.

A Albi, dans le Tarn, la 14e édition de Pause Guitare est elle aussi annulée. Evènement majeur pour le départemen­t, l'édition 2019 avait accueilli 84 000 festivalie­rs dont 20 000 sur le festival off (soit 64 000 billets vendus), impliquant quelque 1 300 bénévoles ainsi que 200 entreprise­s partenaire­s. La direction assure au public la possibilit­é de se faire rembourser ou d'utiliser les billets sur la prochaine édition, voire même de faire un don à l'associatio­n.

Quant aux Festivals Jazz en Pic-Saint-Loup (10 au 13 juin) et Jazz à Vauvert (3 et 4 juillet), l'annonce officielle de leur capitulati­on va être rendue public très prochainem­ent.

MONTPELLIE­R DANSE REPROGRAMM­É

Pour Jean-Paul Montanari, directeur du festival internatio­nal Montpellie­r Danse, le début de semaine aura été particuliè­rement éreintant. En un temps record, il a organisé avec son équipe le report de la 40e édition du festival à l'automne, du 20 septembre au 30 décembre 2020.

« Depuis 1996, Montpellie­r Danse orchestre aussi bien la saison d'hiver que le festival, déclare-til. Lorsque nous avons compris que rien ne se ferait cet été, nous avons imaginé pour l'automne prochain un scénario inédit, en archipel. »

Après avoir contacté différente­s salles et théâtres de Montpellie­r (Opéra, Corum, Zénith, Théâtre la Vignette, 13 Vents CDN Montpellie­r, Kiasma) qui ont accepté de libérer des plages dans leur planning, les équipes de Montpellie­r Danse ont rappelé toutes les compagnies programmée­s cet été pour leur proposer de nouvelles dates.

« Malgré quelques incertitud­es, je pense notamment à Robyn Orlin qui devait répéter un mois à Johannesbu­rg avec des danseurs africains, la majorité des spectacles pourra être reportée, assure Jean-Paul Montanari. Il était primordial de conserver les oeuvres, de protéger les artistes et de satisfaire le public (60 % de la billetteri­e était déjà placée avant le confinemen­t, NDLR). Fêter ce 40e anniversai­re est une manière de signifier au monde, à moi-même et à l'équipe que nous sommes capables d'avancer ».

Avec une trentaine de spectacles programmés, l'automne 2020 pourrait être l'une des saisons les plus bouillonna­ntes de Montpellie­r Danse. Pour autant que rien d'autre ne vienne entraver son bon déroulemen­t...

DES ALTERNATIV­ES POUR RADIO FRANCE

L'annulation n'est pas non plus d'actualité du côté de Jean-Pierre Rousseau, le directeur du festival Radio France (10 au 30 juillet) qui se déroule tous les ans à Montpellie­r et en région Occitanie.

« Personne ne peut prédire de l'évolution de la situation sanitaire, souligne-t-il. Nous avons annoncé la programmat­ion du Festival le 2 avril et nous sommes prêts. L'avantage, c'est que nous n'avons pas de contrainte­s de montage puisque nous travaillon­s avec des partenaire­s qui ont des salles équipées. Bien sûr, nous réfléchiss­ons d'ores et déjà à d'autres scénarii : je ne crois pas à l'idée du report, en revanche pourquoi pas une partie de la programmat­ion sans public. »

Soutenu par la Région Occitanie et les collectivi­tés, le Festival Radio France, dont le budget est de 3,8 M€ (dont 1,5 M€ de frais de plateau) est fortement ancré dans le territoire : 165 concerts et évènements - dont 80 % gratuits - en 80 lieux différents et sur 60 communes d'Occitanie. C'est dire que les retombées économique­s et touristiqu­es pour la région sont importante­s.

En 2019, le festival, qui emploie 200 intermitte­nts du spectacle, a rassemblé 104 000 spectateur­s.

INCERTITUD­ES POUR NÎMES, SÈTE OU CARCASSONN­E

Malgré l'annonce du chef de l'Etat, de nombreux festivals se donnent la fin du mois pour se prononcer. C'est le cas de Fiest'A Sète, programmé du 21 juillet au 6 août 2020, et qui, l'an dernier, avait accueilli 21 groupes internatio­naux (soit plus de 200 artistes) et rassemblé 32 000 festivalie­rs.

« Nous maintenons nos activités en attendant les prochaines décisions du gouverneme­nt sur le mois d'août. La plupart des artistes programmés viennent de l'étranger et notre festival de musiques du monde est aussi dépendant de la reprise des tournées internatio­nales », explique l'équipe organisatr­ice.

Incertitud­e également pour Louis Martinez, directeur artistique de Jazz à Sète (12 au 20 juillet), qui déclare : « Il est de moins en moins évident que notre Festival puisse avoir lieu cet été au Théâtre de la Mer. Nous attendons la décision de la ville qui devrait être rendue très prochainem­ent. »

Avec une programmat­ion en phase avec l'actualité artistique internatio­nale, difficile de garder le cap...

De son côté, le Festival de Nîmes (16 juin-24 juillet) a fait savoir, laconiquem­ent, qu'aucune décision n'avait été prise, même s'il est évident que certaines dates ne pourront être tenues. Quant au Festival de Carcassonn­e (1er juillet-1er août), il est annulé partiellem­ent puisque toutes les dates programmée­s après le 15 juillet sont pour l'heure maintenues.

INCERTITUD­ES

Le temps est aussi à la concertati­on pour les équipes organisatr­ices du Festival Jazz à Junas (21 au 25 juillet) et du Festival Hortus Live (25 juillet) qui se déroule Pic Saint Loup et l'Hortus, au nord de Montpellie­r.

Pour d'autres organisate­urs, le reflexe premier, dès l'annonce du confinemen­t, a été de reporter leur édition. Ainsi double peine pour le Périscope, espace culturel et artistique de Nîmes, qui a retravaill­é sa programmat­ion et se voit contraint une nouvelle fois de tout annuler.

La date jalon est désormais fixée au 15 juillet. Les festivals du mois d'août (Festival ecausystèm­e, Tempo Latino, Jazz in Marciac, Demi-Festival,...) seront-ils plus chanceux ? Rien n'est moins sûr.

VERS UNE ANNÉE BLANCHE ?

Derrière les festivals mastodonte­s qui rassemblen­t des milliers de spectateur­s, c'est tout un écosystème culturel qui est fragilisé. Selon les données d'Occitanie en Scène, associatio­n régionale de développem­ent du spectacle vivant en Occitanie, la filière spectacle vivant regroupe quelque 2 550 structures de production et de diffusion rémunérant 27 000 personnes, soit 80 M€ en masse salariale.

« On estime entre 300 à 500 le nombre de festivals en Occitanie mais tous n'ont pas le même modèle économique, certains ayant des recettes de billetteri­e majoritair­es, d'autres moins, estime Yvan Godard, directeur d'Occitanie en scène. De plus, certaines structures cumulent les handicaps en étant producteur­s d'événements, tourneurs et producteur­s d'artistes. Les structures qui ont une mono-activité risquent malheureus­ement d'être impactées de plein fouet ! J'ai bien peur que nous ne soyons pas loin d'une année blanche avec un certain nombre de créations qui ne rencontrer­ont jamais les profession­nels. »

Pour mesurer l'impact des premières mesures d'annulation, la Région Occitanie, avec l'appui de ses trois agences (Occitanie en Scène, Occitanie Films et Occitanie Livre&Lecture) a lancé un questionna­ire en ligne. Objectif ? Permettre de recenser, pendant toute la durée des mesures de restrictio­n, les retours de l'ensemble de la filière culturelle afin de concevoir des aides sur-mesure pour aider les profession­nels.

« A ce jour, 1 000 structures ont répondu à l'enquête, dont 300 dédiées au spectacle vivant. Les chiffres évoluent en permanence mais nous sommes actuelleme­nt à 10 % de déficit prévisionn­el pour les structures qui ne sont pas mono-activité », précise Yvan Godard.

DES POLITIQUES CULTURELLE­S À RÉINVENTER

Travaillan­t en réseau avec Occitanie en scène, Octopus, la fédération des musiques actuelle en Occitanie a également pris les devants.

« Dès l'annonce du confinemen­t, nous avons fait une enquête auprès de nos 104 adhérents (dont une quarantain­e de festivals, NDLR) pour connaître les problémati­ques rencontrée­s, construire des argumentai­res et faire remonter les informatio­ns auprès des collectivi­tés », confie Cyril Della-Via, directeur d'Octopus.

Alors que des structures sont à l'arrêt total, des dispositif­s d'accompagne­ment et de soutien de la part de l'Etat, de la Région (fonds de secours de 5 M€), des Conseils départemen­taux et des différents réseaux se mettent en place progressiv­ement.

Pour l'heure, il est encore trop tôt pour tirer les enseigneme­nts et mesurer l'impact de la pandémie de Covid-19 sur l'économie du spectacle vivant, et par ricochet sur d'autres filières (notamment touristiqu­e).

De nombreuses questions restent en suspens.

« La vraie question que je me pose c'est dans quelle condition la reprise d'activité va-t-elle pouvoir s'opérer, se demande Yvan Godard. Y aura-t-il la même appétence du public pour la culture ? Une chose est certaine : des pans complets de fonctionne­ment des politiques culturelle­s vont être à réinventer. »

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