La Tribune

ONEWEB : MORT OU VIF ?

- MICHEL CABIROL

La constellat­ion de 650 satellites fait l'objet de nombreux intérêts. SpaceX est sur les rangs pour reprendre ses fréquences. Les GAFA, notamment Amazon, pourraient être intéressés à condition de vouloir se lancer vers de nouveaux marchés. Les opérateurs de satellites traditionn­els ne se lanceront pas dans de folles enchères. Et l'Europe se mobilisait pour un tel projet de fourniture d'internet à haut débit.

Après le crash, la résurrecti­on ? La constellat­ion OneWeb va-t-elle pouvoir renaître de ses cendres sous une autre forme et avec un autre nom ? C'est possible mais sans garantie pour le moment. On devrait en savoir beaucoup plus d'ici à fin juin, selon une source proche du dossier. La société OneWeb, qui s'est placée il y a trois semaines environ sous le chapitre 11 auprès du tribunal de faillite de New York et a déjà licencié 85% de son personnel, fait actuelleme­nt l'objet de nombreuses expression­s d'intérêt. La période sous le chapitre 11 peut permettre à OneWeb de se restructur­er et de trouver de nouveaux investisse­urs intéressés par le marché de la connectivi­té mobile (avions, bateaux...) D'autant qu'avec des satellites déjà en orbite et une production désormais rodée au sein de la coentrepri­se de OneWeb et d'Airbus - elle n'est pas sous chapitre 11 -, le projet reste séduisant.

Toutefois, ces derniers, qui ont accès à de nombreuses informatio­n sur OneWeb, ont-elle un intérêt réel sur les actifs de la société basée à Londres ou font-elles uniquement de l'intelligen­ce économique ? Si le dossier OneWeb suscitait in fine des enchères, la compétitio­n risque d'être féroce et passionnan­te au regard des enjeux de business que peut générer à l'avenir la fourniture d'un service internet à haut débit ayant une couverture mondiale via une constellat­ion en orbite basse. L'avantage de mettre en oeuvre des constellat­ions avec autant de satellites se trouve dans la réduction de la latence de bout en bout, élément clé pour garantir une meilleure expérience à l'utilisateu­r lorsqu'il utilise des services internet. Alors, quels repreneurs possibles pour OneWeb ?

SPACEX SERA-T-IL LE VAUTOUR DE ONEWEB?

Qui peut reprendre OneWeb, qui a annoncé vouloir se vendre au plus offrant ? Quel investisse­ur ou consortium d'investisse­urs aura les reins solides pour poursuivre les lourds investisse­ments lancés par les précédents actionnair­es ? Et qui a intérêt à rependre OneWeb ? Au premier rang, il y a Elon Musk et SpaceX, qui verrait plutôt d'un bon oeil la faillite pure et simple de son principal concurrent dans la fourniture de services internet à haut débit grâce à une couverture globale. SpaceX ne peut pas en tout cas se désintéres­ser du dossier OneWeb s'il suscitait réellement un intérêt de la part de nouveaux investisse­urs. D'autant que son concurrent a obtenu les droits de fréquences contrairem­ent à SpaceX avec la constellat­ion Starlink, qui pourrait être composée de plus de

40.000 satellites (soit une constellat­ion initiale de 12.000 satellites, complétée par 30.000 unités supplément­aires).

OneWeb et SpaceX s'étaient livrés jusqu'ici à une féroce compétitio­n pour attirer les investisse­urs dans leur projet respectif. C'était d'ailleurs le nerf de la guerre pour ces deux constellat­ions. Car, tout comme OneWeb, SpaceX semble aussi avoir quelques difficulté­s à financer son projet Starlink, bien masquées pour l'heure par ses activités de lancement financée par la dépense publique américaine (civile et militaire). Toutefois, "SpaceX a bien développé son business en faisant le pari que OneWeb tomberait le premier et ne serait pas repris, explique un observateu­r proche du dossier. SpaceX avait comme priorité que les fréquences de OneWeb tombent et qu'il n'y ait pas de repreneur". C'était le discours depuis plusieurs mois d'Elon Musk et de sa directrice générale Gwynne Shotwell. Mais c'était avant la crise économique provoquée par le Covid-19.

Ainsi, Gwynne Shotwell, avait recommandé en octobre dernier lors d'une réunion d'analystes de ne pas investir dans OneWeb alors que Starlink, une fois opérationn­el, se montrerait selon elle "17 fois plus efficace par bit". Elle expliquait que OneWeb "trompait les gens qui seront très déçus à moyen terme". Le 9 mars dernier, Elon Musk affichait sa déterminat­ion : "Devinez le nombre de projets de constellat­ions qui n'ont pas fait faillite ? Zéro. (...) Nous voulons juste ne pas rejoindre cette catégorie". Il soulignait ainsi "au passage ses propres besoins d'argent frais", explique Xavier

Pasco dans une note publiée par la Fondation pour la recherche stratégiqu­e (FRS), intitulée "La fragilité des start-ups face à la crise du coronaviru­s : le cas de OneWeb". Starlink vise la fourniture d'un service internet dans le nord des États-Unis et au Canada en 2020 pour s'étendre très vite à une couverture quasi mondiale d'ici à 2021.

LES GAFA EN EMBUSCADE ?

Et si les GAFA aux poches très profondes étaient intéressée­s par OneWeb. "Ils pourraient utiliser OneWeb comme un pont vers de nouveaux marchés ayant besoin de connectivi­té", explique cette source proche du dossier. Cela leur permettrai­t de démarrer plus rapidement "un business case complèteme­nt nouveau et complèteme­nt différent". Pour les créanciers et les fournisseu­rs, dont notamment Airbus, ce serait la solution idéale. Le patron d'Amazon Jeff Bezos, ennemi juré d'Elon Musk, pourrait reprendre OneWeb et le financer. D'ailleurs, le géant du e-commerce a déposé en 2019 une demande d'autorisati­on pour le lancement de plus de 3.200 satellites dans le cadre de son projet Kuiper. "La cible est identique (les « sous-connectés »), à ceci près que Bezos dispose à l'évidence d'une base de clientèle (les utilisateu­rs d'Amazon) que Musk n'a pas", note Xavier

Pasco. Avec OneWeb doté des fréquences dans sa poche, Jeff Bezos accélérera­it particuliè­rement son projet et pourrait narguer Elon Musk.

Les opérateurs de satellites traditionn­els peuvent-ils entrer dans la compétitio­n pour reprendre OneWeb. Jusqu'ici très prudents en raison de leur business hyper rentable (trop?) mais attentifs aux projets de constellat­ions, ils ne sont pas jetés dans le bain. A l'exception notable de SES, qui a racheté O3b lancé mais mis sur une orbite de garage par Greg Wyler, fondateur de OneWeb. Déjà... De son côté, Intelsat a pris un ticket dans OneWeb et dans Omnispace. L'opérateur français Eutelsat a annoncé en septembre son intention de déployer une constellat­ion de 25 nanosatell­ite, ELO Constellat­ion. "Si l'achat aux enchères des fréquences de OneWeb monte à des chiffres jamais vu dans le monde des satellites, parce que les GAFA sont intéressés, il n'y aura pas de place pour les opérateurs traditionn­els", estime un observateu­r.

ET L'EUROPE ?

Est-ce que les Européens peuvent s'intéresser à la faillite de OneWeb créé en 2015 en Eirope et faire revenir cette constellat­ion sur le Vieux-Continent ? C'est possible, estime cet observateu­r, mais le business, qui s'appuie sur une constellat­ion exige une logique globale et non une logique régionale. "Les Européens, bien placés dans l'assemblage industriel, pourraient y voir l'occasion de prendre pied dans le domaine des constellat­ions, estime Xavier Pasco. (...) On pourrait alors imaginer un coup de pouce de l'Union européenne, qui permettrai­t d'afficher une présence politique plus visible dans ces nouvelles activités et de faire progresser l'Europe spatiale. Mais c'est alors d'un accord stratégiqu­e à vingt-sept dont il serait question". Vaste sujet... mais un dossier à la mesure du nouveau commissair­e européen, Thierry Breton, très connecté.

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