La Tribune

DETTE AFRICAINE : ANNULATION VS MORATOIRE, TERRAIN GLISSANT POUR LES ETATS ?

- RISTEL TCHOUNAND

Après le premier pas du Fonds monétaire internatio­nal (FMI), le G20 vient d’annoncer un moratoire sur la dette de 40 pays africains pour leur permettre de faire face à la crise du COVID-19. Les autres bailleurs bilatéraux et multilatér­aux sont attendus. Mais les voix s’élèvent réclamant une annulation de la dette africaine, alors que le Continent sera confronté à un niveau de dette sans précédent après la crise.

Faut-il annuler les dettes des pays africains ou suspendre leur remboursem­ent le temps de la crise du COVID-19 ? La question fait encore couler beaucoup d'encre et les institutio­ns qui ont commencé à répondre aux appels tendent plutôt vers la seconde option. Les ministres des Finances et les banques centrales du G20 ont décidé mercredi soir de suspendre le remboursem­ent de la dette de 76 pays à travers le monde, dont 40 en Afrique. Ainsi, les paiements qui devaient s'opérer en 2020 sont reportés à 2022 et échelonnés sur trois ans, c'est-à-dire jusqu'en 2025. Le G20 emboîte ainsi le pas au FMI qui alloue une subvention de 250 millions de dollars à 25 pays dans le monde dont 19 pays africains pour honorer leurs obligation­s au titre du service de la dette envers le Fonds et ce, sur une durée de six mois, prolongeab­le à deux ans. L'institutio­n a mis en place un fonds qu'elle ambitionne de doper à 1,4 milliard de dollars pour « subvention­ner » un plus grand nombre de pays.

Si les autres bailleurs bilatéraux, multilatér­aux et privés sont appelés à se joindre à la « solidarité » internatio­nale et que d'aucuns estiment « encouragea­nts » les premiers pas sur les moratoires, les voix se multiplien­t pour réclamer l'annulation pure et simple de la dette des pays africains, si l'objectif est vraiment de leur faciliter la tâche face à la pandémie. Un appel dont le président Emmanuel Macron a lui-même fait l'écho lundi lors de son adresse à la nation.

André Flahaut, ministre belge du Budget, dénonce une « dette injuste qui mine [les] économies » africaines.

(@andreflaha­ut)

Conscients de l'ampleur de l'épidémie de #COVID19 & de ses conséquenc­es, les pays du #G20 ont décidé de suspendre le remboursem­ent d'une partie de la dette des pays les + pauvres. Bonne nouvelle! Mais il faut aller plus loin en annulant cette dette injuste qui mine leur économie! pic.twitter.com/aa2DzLQXdK

(@oxfamwesta­frica)

Le moratoire sur la dette du #G20 pour les pays les plus pauvres est une première étape, mais il faut en faire plus pour lutter contre le #coronaviru­s et sauver des millions de vies.

ELLE DOIT ÊTRE ANNULÉE.

La réaction d'Oxfam : ??https://t.co/0f6wHkxhyY pic.twitter.com/isB40aHYGM

UN TRAITEMENT AU CAS PAR CAS, SELON TIDJANE THIAM

Tidjane Thiam, l'un des envoyés spéciaux de l'Union africaine (UA) pour la lutte contre le COVID-19, interrogé par RFI ce jeudi matin, a qualifié le moratoire de « ballon d'oxygène », et la question de l'annulation de la dette de « problème réel auquel il va falloir s'attaquer dans les mois qui viennent ».

« Je pense qu'il y a deux temps dans cette affaire. Dans un premier temps, il fallait traiter la crise et trouver une solution pragmatiqu­e pour permettre à chaque Etat d'avoir des ressources disponible­s et c'est ce que réalise le moratoire. Maintenant il est clair que nous sommes partis de situations en Afrique qui ne sont pas particuliè­rement favorables. Il faut quand même voir que la dette en Afrique a beaucoup augmenté », a-t-il expliqué reconnaiss­ant que le ratio dette sur PIB de l'Afrique qui est train d'exploser en raison de la crise du COVID-19 atteindra « rapidement 150% » contre 108% avant la crise. « Il est clair que dans cette situation, a-t-il poursuivi, il y a des pays qui vont être sous pression. Il va falloir envisager des remises ou des annulation­s de dette ». A noter que le ratio dette/PIB des pays continuera d'augmenter parce que non seulement le coût des dettes déjà contracté continue d'augmenter, mais aussi parce que les Etats continuent de s'endetter dans le cadre de leur riposte contre le COVID-19.

ET SI L'ENGAGEMENT DES ETATS ÉTAIT MIS À L'ÉPREUVE ?

La CNUCED a été l'une des premières institutio­ns à réclamer l'annulation de la dette des pays africains. Le pape François, à l'occasion de la Pâque dimanche dernier, en a rajouté une couche, appelant à « réduire », voire « annuler » la dette des pays les plus pauvres. Le président sénégalais Macky Sall, qui a été le premier chef d'Etat africain à interpelle­r les bailleurs sur la dette africaine, s'en est félicité.

Lire aussi : Mays Mouissi : « Certains pays africains s'en sortiront mieux que d'autres face au COVID-19 »

Mais le débat autour de la dette africaine soulève plusieurs autres problémati­ques. Si l'alourdisse­ment du poids de cette dette après la crise est une évidence, l'économiste togolais Kako Nubukpo, dans une tribune sur Le Point, soutient que « l'annulation massive de la dette africaine ressemble à s'y méprendre à la prédominan­ce de recettes anciennes pour faire face au nouveau monde ». « L'Afrique d'après le Covid-19 ne peut accepter de jouer un jeu dans lequel elle sortira une nouvelle fois perdante, car les mêmes causes produiront les mêmes effets », affirme-t-il, regrettant que les dettes jusqu'ici contractée­s par les Etats aient fait l'objet d'une « mauvaise gouvernanc­e chronique ».

Annulation ou moratoire sur leur dette, les pays africains ne devront-ils pas finalement faire preuve d'ingéniosit­é et surtout d'un engagement sans faille gérer efficaceme­nt cette crise et assurer un après-crise moins contraigna­nt, notamment en faisant bon usage des fonds en leur possession ?

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