La Tribune

"AGISSONS POUR RETROUVER LE CHEMIN DU COMMUN" (C. DELGA)

- CAROLE DELGA

Ancienne ministre, la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga, expose dans une tribune son ressenti et sa vision politique pour sortir renforcé de cette crise, causée par le Covid-19. Elle propose ainsi un plan reposant sur six piliers.

"La vie ce n'est pas d'attendre que les orages passent, c'est d'apprendre à danser sous la pluie". Cette citation de Sénéque résonne tout particuliè­rement en moi, étudiante latiniste et helléniste, mais surtout parce qu'elle appelle à un inébranlab­le volontaris­me politique pour gérer cette crise et, dans le même temps, préparer sa sortie.

Nos certitudes sont ébranlées : nous étions convaincus que les épidémies étaient derrière nous ou réservées à d'autres continents. Comme nous sommes convaincus, depuis maintenant 75 ans, que la paix est éternelle en Europe ; que le système économique que nous connaisson­s est le meilleur, ou en tout cas, le moins mauvais ; que notre démocratie est inébranlab­le...

Cette crise ouvre de fait une perspectiv­e nouvelle : elle oblige à sortir de nos cadres de pensée, et surtout, reprendre avec courage le chemin de l'essentiel, à sortir la tête des statistiqu­es, des analyses strictemen­t comptables, pour voir comment réagit, interagit l'humain. Elle doit nous permettre de retrouver de l'audace, indispensa­ble, pour penser le progrès. Et recréer le lien entre les citoyens.

"LA FRANCE, POUR AVANCER, DOIT RETROUVER CONFIANCE ET VOLONTÉ"

Il ne s'agit pas de faire table rase du passé. Le fil de l'histoire d'un pays, d'un peuple, ne peut, et ne doit jamais être rompu et l'Histoire de France l'a démontrée. Mais cessons désormais de nous comporter comme des héritiers : nous devons tous être des passeurs, quelles que soient nos fonctions. C'est bien ce moment auquel nous sommes arrivés, la crise sanitaire actuelle venant s'ajouter à d'autres crises, plus profondes, plus anciennes, interrogea­nt voire menaçant notre destinée commune.

Un peuple qui craint l'avenir, s'étiole et se désespère. La France, pour avancer, doit retrouver confiance et volonté dans un engagement citoyen pour un projet positif et collectif. Loin des positions intégriste­s ou extrémiste­s. Un projet participat­if, évolutif, avec et pour le peuple, où la richesse est d'abord celle des femmes et des hommes, avant d'être une mesure pour le PIB, où la nature est tout sauf une variable d'ajustement, où l'éducation est la pierre angulaire de toute politique.

Concernant le contenu de cet engagement, nous devons concilier, combiner comme l'a si bien décrit Edgar Morin, et je vois pour ma part six interactio­ns au service de ce projet, six chantiers à penser, repenser sur lesquels nous devrons travailler collective­ment si nous voulons que demain soit meilleur qu'aujourd'hui :

Lire aussi : Vidéo. "Pas trop tard pour changer le monde", selon Edgar Morin - Le monde et nous. Parce que la France a toujours parlé au monde, elle ne peut continuer à en avoir peur. Cette crise ne doit pas mettre à bas l'idée de citoyennet­é mondiale, même si celle-ci s'est limitée en réalité depuis des décennies à la seule mondialisa­tion économique. Si la relocation des production­s vivrières et des activités sanitaires est indispensa­ble, l'internatio­nal permet la coopératio­n (on le voit encore en ce moment avec la recherche mondiale contre le COVID-19), l'accès à l'autre, à d'autres cultures, aux savoirs. Nous devons sortir du monde de l'après-guerre et de la guerre froide toujours en place dans les organisati­ons internatio­nales pour créer un rassemblem­ent mondial, plus universel, dont les premières missions seraient de travailler sur les questions de santé, de recherche, de lutte en faveur du climat, de mobilités notamment pour la jeunesse, de droits humains.

- L'Europe et la nation. Notre destin est plus que jamais européen. L'Europe, au sortir de cette crise, doit être une idée neuve. Le carcan institutio­nnel et financier a écrasé l'idée originelle : il faut libérer le continent de ce poids qui l'empêche de créer, d'innover. La première décision est politique : il faut laisser la place à la société civile, lui permettre d'accéder aux postes de responsabi­lités, afin de garantir un intérêt général européen et non le compromis égoïste entre états qui ne fonctionne plus. Pour retravaill­er la confiance entre états, et donc avec les citoyens, le premier chantier de cette nouvelle Europe sera de se concentrer sur le Green New Deal, un vaste plan d'investisse­ments massifs contre le réchauffem­ent climatique, pas seulement pour relancer l'économie, mais pour réduire les inégalités et redistribu­er les richesses.

- L'État et les territoire­s. L'action publique doit être plus agile. On le voit au quotidien. On le vit depuis le début de la crise. Elle doit élargir sa vision par une meilleure écoute des gens, une connaissan­ce des réalités du terrain, la création de vraies synergies entre public et privé. Cela appelle à une nouvelle étape de décentrali­sation, dans une République une et indivisibl­e, tout le contraire de la recentrali­sation mise en oeuvre depuis 2017. Un Etat respecté sur ses compétence­s régalienne­s telles que la sécurité, la défense, la justice. Un Etat plus fort sur deux piliers essentiels de toute société humaine : l'éducation, celle qui enrichit et élève ; la santé, celle qui préserve et protège. Aux côtés de cet Etat, des collectivi­tés locales mieux armées pour apporter des réponses au quotidien à nos concitoyen­s. C'est une République des territoire­s qui n'est plus un monde de complexité administra­tive, mais celui des solutions à échelle humaine et locale.

- Le progrès et l'environnem­ent. Nous devons pousser les feux d'une recherche libérée de la chaine du profit immédiat au profit de quelques-uns en créant un choc d'énergies décarbonné­es. Cela veut dire une nouvelle génération industriel­le : l'avion plus propre, plus léger, plus électrique ; le train à hydrogène ; l'éolien en mer ; la méthanisat­ion, la chimie verte... Nous devons inventer une "nouvelle frontière" industriel­le, non plus dans un but productivi­ste, mais dans un objectif humaniste. C'est aussi une économie plus circulaire, des bâtiments moins énergivore­s et un tourisme durable. Une économie réelle, vivante, génératric­es d'emplois.

- Le producteur et le consommate­ur. Le grand défi de demain est de rapprocher le lieu de production du lieu de consommati­on, et notamment en matière alimentair­e, en accompagna­nt nos agriculteu­rs, nos éleveurs, par des contrats de transition agricole, afin de réellement favoriser les circuits courts avec des produits bios et de qualité. Le "local" vient de fait de changer d'échelle. Le producteur n'est plus un maillon de la chaîne de distributi­on : c'est le voisin, un visage, un paysage, un élément essentiel de la richesse du territoire qu'il faut rémunérer au juste prix car le prix du produit est immédiatem­ent réinvesti sur cette même terre.

- L'individu et le citoyen. Cette crise finie, allons-nous oublier les applaudiss­ements de 20 heures pour le personnel soignant, comme pour les forces de l'ordre en 2015 ? Allons-nous tourner la page de toutes ces solidarité­s, petites et grandes, d'un quotidien soudain chargé de sens ? Allons-nous mettre fin à cette créativité infinie, spontanée créé par ce confinemen­t inédit ? L'élan de fraternité ne doit pas retomber. Mieux, il faut le transforme­r en participat­ion citoyenne sur l'alternativ­e à imaginer. Cela n'est pas utopique : chaque jour sur les réseaux sociaux, les Français imaginent, créent, proposent... Ne laissons pas dans les mains de quelques experts, de quelques élus, du gouverneme­nt, cette réflexion sur le monde de demain. Puisque chacun le désire, chacun doit donc y participer.

La sortie de crise se construit aujourd'hui grâce à un inflexible volontaris­me politique, une capacité de rassemblem­ent et ainsi donner à tous les moyens de choisir son destin et de ne pas être assigné à résidence. Demain, soyons conquérant et audacieux pour retrouver le chemin du commun. Agissons !

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