La Tribune

TRAVAILLEU­RS NON-CONFINES : QUAND ET COMMENT PEUT S'EXERCER LE DROIT DE RETRAIT ?

- MICHEL MINE

IDEE. En cas de carence de prévention de la part de l’employeur dans le contexte de crise sanitaire actuel, le travailleu­r salarié peut exercer son droit de retrait. Par Michel Miné, Conservato­ire national des arts et métiers (CNAM)

De nombreuses personnes, souvent des femmes, sont tenues de continuer à travailler physiqueme­nt dans les entreprise­s de différents secteurs pour préserver la vie et assurer un minimum de continuité de la vie sociale : santé, aide à domicile, alimentati­on, agro-alimentair­e, livraison, propreté, traitement des déchets, transport, etc. Et des salariés continuent de travailler dans d'autres secteurs commerciau­x et industriel­s.

Dans ces situations, « l'employeur est obligé d'assurer la sécurité et la santé des travailleu­rs dans tous les aspects liés au travail ». Ce principe doit être effectif face au risque de contaminat­ion par le virus Covid-19. En cas de carence de prévention de la part de l'employeur, le travailleu­r salarié peut exercer son droit de retrait.

L'EMPLOYEUR DOIT PRENDRE LES MESURES NÉCESSAIRE­S

En vertu de son obligation légale de sécurité, l'employeur prend les mesures nécessaire­s pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleu­rs :

des actions de prévention des risques profession­nels ; des actions d'informatio­n et de formation (sur les moyens de prévention mis en place dans l'entreprise notamment sur les mesures d'hygiène « gestes barrières » et la distanciat­ion sociale, conforméme­nt aux recommanda­tions gouverneme­ntales, avec la mise à dispositio­n des produits nécessaire­s en quantité suffisante, etc.) la mise en place d'une organisati­on et de moyens adaptés (en tenant compte des spécificit­és de chaque secteur profession­nel et métiers.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstan­ces et tendre à l'améliorati­on des situations existantes (Code du travail, art. L. 4121-1.

Sur le fondement de principes généraux de prévention (Code du travail, art. L. 4121-2), l'employeur doit évaluer les risques qui ne peuvent être évités.

ÉVALUER ET PRÉVENIR LES RISQUES

L'évaluation dans toute entreprise (employant au moins un salarié) recense les situations d'exposition aux risques, sur tous les lieux de travail. Elle est retranscri­te dans le document unique d'évaluation des risques, support de la politique de prévention de l'entreprise.

Cette évaluation est à actualiser en raison de l'épidémie pour réduire au maximum les risques de contagion sur le lieu de travail ou à l'occasion du travail et en fonction de l'évolution de l'organisati­on du travail dans l'entreprise.

L'employeur doit organiser la prévention en y intégrant la technique, l'organisati­on du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Il doit notamment : « adapter le travail à l'homme », concernant la conception des postes de travail, le choix des équipement­s de travail (notamment les équipement­s de protection individuel­le : gants, masques, etc.), le choix des méthodes de travail et de production ; prendre des mesures de protection collective en priorité sur les mesures de protection individuel­le (écran d'isolement des clients, zone de courtoisie d'un mètre, nettoyage des surfaces, limitation du nombre de clients simultaném­ent présents dans un magasin, etc.).

L'employeur doit justifier avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par la loi (Cassation sociale 1er juin 2016) au regard du risque de contaminat­ion.

Et, conforméme­nt aux instructio­ns qui lui sont données par l'employeur, chaque travailleu­r doit prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilit­és, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail (Code du travail, art. L. 4122-1).

UN DROIT FONDAMENTA­L À LA SAUVEGARDE DE LA SANTÉ DU TRAVAILLEU­R

Prévu par la Convention n° 155, de l'Organisati­on internatio­nale du travail, sur la sécurité et la santé des travailleu­rs, de 1981, le droit de retrait figure dans le code du travail depuis la « loi Auroux » du 23 décembre 1982. Cette loi vise à renforcer les droits des salariés pour la protection de leur santé au travail, dans le cadre d'une réforme d'envergure du code du travail destinée à introduire la « citoyennet­é dans l'entreprise ».

Le salarié peut se retirer de toute situation de travail dont il a un motif raisonnabl­e de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (Code du travail, art. L. 4131-1).

Le salarié apprécie le danger et l'opportunit­é de se retirer. Il s'agit d'une appréciati­on subjective du risque par le salarié, disposant ainsi d'un certain droit à l'erreur. Le danger pouvant justifier l'exercice du droit de retrait est un danger : grave : susceptibl­e de provoquer un dommage à l'intégrité physique ou à la santé de la personne (maladie paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée, voire la mort) imminent : susceptibl­e de se réaliser dans un bref délai.

Le risque de contaminat­ion par le virus peut dans certains contextes profession­nels remplir ces conditions.

COMMENT S'EXERCE CE DROIT ?

Le salarié constate la situation de travail en cause et il en alerte immédiatem­ent l'employeur par tout moyen (un écrit ne peut lui être imposé).

Il exerce son droit individuel de retrait de telle manière qu'il ne puisse créer pour autrui (collègues, salariés d'autres entreprise­s, clients, usagers...) une nouvelle situation de danger grave et imminent. Le salarié prend l'initiative de suspendre l'exécution de sa prestation de travail (il ne suspend pas son contrat de travail).

L'employeur peut l'affecter à un autre poste où n'existe pas de danger grave et imminent, mais il ne peut lui demander de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un tel danger. En cas de danger grave et imminent, l'employeur prend les mesures de prévention précitées et donne les instructio­ns nécessaire­s pour permettre aux travailleu­rs d'arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatem­ent le lieu de travail.

En cas de réquisitio­n (notamment dans les établissem­ents médico-sociaux), l'employeur doit mettre en oeuvre les dispositio­ns requises pour protéger la santé et assurer la sécurité du personnel. À défaut, le droit de retrait peut être exercé.

GARANTIES

Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleu­r ou d'un groupe de travailleu­rs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnabl­e de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux.

Ainsi, si le salarié s'est retiré et qu'il avait un motif raisonnabl­e pour le faire, même s'il s'avère qu'un tel danger n'existait pas, toute sanction, y compris le licencieme­nt, est nulle. En revanche, lorsque les conditions du droit de retrait ne sont pas réunies, le salarié s'expose à une retenue sur salaire, voire à une sanction.

Le danger grave et imminent ne doit pas être confondu avec le risque inévitable et raisonnabl­ement maîtrisé du poste de travail. Ce « risque inévitable » concerne par exemple la situation d'un salarié convoyeur de fonds, fonction à risques en soi, en l'absence de menace particuliè­re et de carence de l'employeur dans le respect des mesures de sécurité.

En cas de contestati­on, c'est au juge du contrat (en premier lieu, le conseil de prud'hommes) qu'il appartient d'apprécier in concreto si le salarié avait « un motif raisonnabl­e de penser que la situation présentait un danger grave et imminent », au regard de ses paramètres profession­nels (qualificat­ion, expérience...) et personnels (état de santé, âge...).

PROCÉDURES D'ALERTE DES ÉLUS DU PERSONNEL

Un délégué élu du comité social et économique (CSÉ) peut déclencher auprès de l'employeur une procédure d'alerte. À défaut de solution satisfaisa­nte trouvée dans l'entreprise :

en cas de danger grave et imminent, l'inspecteur du travail, saisi par l'employeur (ou à défaut par un délégué), peut mettre en demeure l'employeur de prendre toutes mesures utiles pour remédier à la situation dangereuse.

L'inspecteur du travail peut également saisir le juge judiciaire statuant en référés pour voir ordonner à l'employeur toutes mesures propres à faire cesser le risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleu­r. Le juge peut par ordonnance, sous astreinte, imposer à l'employeur des obligation­s pour la mise oeuvre effective, dans un délai court, des mesures de prévention prévues par le Code du travail, notamment, le cas échéant, au regard du risque biologique.

TRAVAILLEU­RS PRÉCAIRES

L'interventi­on des élus du personnel est particuliè­rement nécessaire pour les travailleu­rs vulnérable­s du fait de leur situation précaire, notamment pour les travailleu­rs mis à dispositio­n d'une entreprise utilisatri­ce par une entreprise extérieure, et en particulie­r pour les travailleu­rs intérimair­es. Il incombe en premier lieu à l'employeur de l'entreprise utilisatri­ce de prendre toutes les dispositio­ns nécessaire­s pour assurer leur protection.

Les élus du personnel au CSÉ exercent leurs attributio­ns en matière de santé, sécurité et conditions de travail pour tous les travailleu­rs, y compris les travailleu­rs d'entreprise­s extérieure­s (intérimair­es, etc.). Ainsi, c'est au comité social et économique de l'entreprise utilisatri­ce qu'il appartient d'exercer une mission de vigilance à l'égard de l'ensemble des salariés de l'établissem­ent placés sous l'autorité de l'employeur, à défaut au CSÉ de l'entreprise de travail temporaire.

L'action de l'inspection du travail, qui peut s'autosaisir, est indispensa­ble pour la sauvegarde de la santé des salariés précaires, ceux-ci pouvant difficilem­ent exercer leur droit de retrait au regard des risques encourus en matière d'emploi. Ce droit de retrait pourrait avoir à s'exercer prochainem­ent dans des entreprise­s dont l'activité reprend pour des raisons économique­s sans que toutes les règles de sécurité ne soient respectées.

_____ en cas d'atteinte aux droits des personnes, notamment à leur santé physique et mentale, le délégué peut saisir le conseil de prud'hommes selon une procédure accélérée ; le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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