La Tribune

COVID-19 : RESISTER AU DOGME DE LA CROISSANCE, LES ENSEIGNEME­NTS DES INITIATIVE­S SOLIDAIRES

- ERIC DACHEUX ET DANIEL GOUJON

Le capitalism­e a besoin de croître pour survivre. Pourtant l'idée d'une croissance infinie sur une planète finie est intellectu­ellement absurde, elle est aussi anthropolo­giquement suicidaire : détruire notre planète, c'est nous détruire avancent Eric Dacheux, professeur en informatio­n et communicat­ion à l'Université Clermont Auvergne et Daniel Goujon, maître de conférence­s en sciences économique­s à l'Université Jean Monnet (Saint-Étienne).

L'activité humaine et la destructio­n de la biodiversi­té sont très probableme­nt responsabl­es de l'apparition des nouveaux virus comme le coronaviru­s. Ainsi, la pandémie du Covid-19 joue un rôle de révélateur de l'épuisement de notre modèle de croissance. Les pourvoyeur­s du dogme de la croissance, sont amenés, à l'image du président Emmanuel Macron lors de son discours du 19 mars, à "interroger notre mode de développem­ent".

Cette préoccupat­ion, nouvelle pour beaucoup, est depuis longtemps celle de nombreux citoyens qui s'organisent collective­ment pour mettre en place des réponses concrètes aux impasses du capitalism­e. Ces réponses, qui prennent la forme d' initiative­s solidaires locales nous laissent à penser que le monde d'après existe déjà. Pour l'esquisser, il est possible de s'inspirer des expériment­ations citoyennes qui, par leurs pratiques, entendent s'opposer à la marchandis­ation du monde, à l'accroissem­ent des inégalités et à l'épuisement de la biodiversi­té induits par le mode de croissance actuel.

CONTRE LA MARCHANDIS­ATION DE LA NATURE ET DU VIVANT, LES INITIATIVE­S SOLIDAIRES DÉPLOIENT DE NOMBREUSES ACTIVITÉS CONCRÈTES.

Ces initiative­s peuvent être purement défensives comme le fauchage des champs OGM ou la création d'une ZAD (Zone à défendre) pour empêcher la transforma­tion d'un système écologique en aéroport.

Elles peuvent être également plus pérennes en explorant des voies économique­s alternativ­es à l'exemple des circuits courts producteur­s/consommate­urs. Ce n'est pas le marché qui fixe la rencontre entre l'offre et la demande, mais des consommate­urs qui discutent de la qualité et des prix avec leur producteur (souvent biologique) dans le cadre d'une AMAP (Associatio­n pour la promotion d'une agricultur­e paysanne par exemple).

Une "résistance créative" contre la marchandis­ation du vivant est aussi au programme de nombreuses associatio­ns. Un exemple nous semble particuliè­rement représenta­tif : celui de France ADOT, fédération nationale des Associatio­ns pour le Don d'Organes et de Tissus humains. Elle a été créée le 30 juillet 1969 à l'initiative du Professeur J. Dausset, Prix Nobel de médecine, et par M. Magniez, Docteur en pharmacie. Le but de cette associatio­n qui regroupe médecins, futurs donateurs et anciens greffés est de sensibilis­er tous les publics à l'idée du don d'organes, mais aussi du don de moelle osseuse, de tissu humain et de cellules. À l'opposé d'une odieuse marchandis­ation poussant les plus démunis à vendre leurs corps pour nourrir leur famille, il s'agit bien d'oeuvrer à la gratuité, consciente et éclairée, d'un don de soi qui soit post mortem (don d'organes) ou entre vivants (don de moelle osseuse).

EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LA FRACTURE SOCIALE, LES CITOYENS NE RESTENT PAS INACTIFS.

Les associatio­ns d'insertion par l'activité économique par exemple, cherchent à réduire les inégalités en favorisant le retour à l'emploi des exclus et s'inscrire dans des projets de développem­ent durable à l'image des ressourcer­ies.

De même, des initiative­s comme les réseaux d'échanges de savoirs ou les systèmes d'échanges locaux permettent à ceux qui sont exclus de l'accès à la monnaie de rentrer dans des dynamiques d'échanges réciprocit­aires qui leur permettent d'échapper à une logique caritative qui, trop souvent, emprisonne la personne aidée dans une situation de dépendance symbolique (Laville, 2010).

Dans le même esprit, certaines monnaies locales développen­t un projet solidaire en créant des dispositif­s donnant plus de pouvoir d'achat aux plus démunis (par exemple en offrant 60 unités de monnaies locales pour 50 euros donnés aux bénéficiai­res d'un minimum social), tandis que les zones de gratuités sont aussi des moyens de lutter contre la concentrat­ion inégale des richesses.

POUR PRÉSERVER LA BIODIVERSI­TÉ DE NOMBREUSES INITIATIVE­S CITOYENNES AGISSENT EN MILIEU RURAL.

Un exemple est donné par l'une des premières « couveuses » agricoles dédiées au bio. Il s'agit d'aider des néo-ruraux en recherche d'un projet profession­nel porteur de sens à s'installer en tant que maraîcher biologique. Pour cela, les futurs paysans sont embauchés pendant trois ans par la couveuse sous la forme d'un "contrat d'appui de projet d'entreprise" ce qui leur permet de tester grandeur nature leur activité. Le projet est soutenu par le réseau francilien des AMAP (les futurs clients) et par Terre de liens, un mouvement citoyen qui récolte de l'épargne solidaire pour acheter des terres agricoles dans le double but d'enrayer la disparitio­n des terres et de faciliter l'accès au foncier agricole pour de nouvelles installati­ons paysannes, qui met à dispositio­n ses terrains. Créée en 2009, la structure porteuse de cette couveuse, Champs des possibles, est devenue, en 2016, une Société Coopérativ­e d'Intérêt Collectif (SCIC). Son objectif solidaire est très clairement opposé au productivi­sme dominant : "Redéployer une agricultur­e de proximité, paysanne, biologique et en circuits courts, encouragea­nt des dynamiques collective­s."

Ainsi, nous le voyons à travers ces quelques exemples, au sein même de nos sociétés capitalist­es, il existe déjà un monde solidaire, écologique et démocratiq­ue. Penser le monde d'après c'est aussi prendre en compte la diversité économique d'aujourd'hui.

.......................................................................................................................................

Dernier ouvrage paru : Défaire le capitalism­e, refaire la démocratie. Les enjeux du délibérali­sme, ERES, 2020.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France