La Tribune

L'ENJEU DU FINANCEMEN­T DES REPRISES A LA BARRE POUR SAUVER LE TISSU ECONOMIQUE FRANCAIS

- NICOLAS MORELLI

Il faut anticiper un besoin important de financemen­t des plans de reprise à la barre pour sauver le tissu économique français. Par Nicolas Morelli, Avocat

Les mesures financière­s d'urgence prises par le gouverneme­nt, qu'il s'agisse notamment du dispositif de prêts garantis par l'Etat de 300 milliards d'euros, du financemen­t du chômage partiel, du report de charges, comme des modificati­ons des règles gouvernant le droit des entreprise­s en difficulté, sont assurément indispensa­bles pour réduire le choc engendré par l'arrêt brutal de l'économie que nous subissons.

Pour autant, il faut anticiper qu'un nombre important d'entreprise­s ne parviendro­nt pas à demeurer in bonis. Les études actuelles convergent toutes vers le même constat : il faut se préparer à une vague sans précédent de défaillanc­es dans les mois à venir.

Bien sûr, le droit français offre une remarquabl­e boîte à outils permettant d'intervenir à tous les stades des difficulté­s, y compris au moyen de procédures préventive­s, amiables et confidenti­elles. Les plus grandes groupes pourront sans doute y avoir recours, afin de mettre en place des plans de restructur­ation, avec ou sans adossement extérieur, grâce aux dispositif­s exceptionn­els mis en place par l'Etat et à des outils d'ingénierie sociétaire sophistiqu­és.

Mais il ne faut malheureus­ement pas croire que ces outils de prévention des difficulté­s permettron­t de tout résoudre : un nombre important de sociétés, de tailles modestes ou intermédia­ires, devront envisager des traitement­s curatifs plus conséquent­s, car leur situation sera trop dégradée pour envisager la mise en place d'un plan de redresseme­nt, dans un cadre amiable comme judiciaire.

Si l'ordonnance du 27 mars 2020 a figé (à ce jour jusqu'au 24 août 2020) la constatati­on de la cessation des paiements, pour permettre d'endiguer provisoire­ment la crue, il faut accepter dès à présent le réel : il y aura dans les semaines et les mois à venir une augmentati­on substantie­lle de liquidatio­ns judiciaire­s, car c'est le seul mécanisme qui permet d'organiser un effacement global et généralisé de la dette d'une entreprise à court de trésorerie (C. com., L. 643-11). Ces liquidatio­ns risquent de concerner tous types structures, dont certaines étaient rentables avant la crise du Covid-19.

Il serait vain de penser que l'on pourra échapper à ces procédures. Il est en revanche primordial d'utiliser les outils juridiques permettant que le tissu économique soit préservé et puisse se régénérer, nonobstant ces liquidatio­ns judiciaire­s. Car ces outils existent et permettent l'organisati­on de la cession de l'entreprise avant la liquidatio­n de la structure juridique qui l'exploite.

C'est l'institutio­n du plan de cession, connu comme le plan de reprise à la barre du Tribunal. Sur un plan juridique, il s'agit du seul mécanisme de cession d'entreprise existant en droit français. Il permet d'organiser, simultaném­ent, une cession de fonds de commerce, le transfert de tout ou partie des contrats de travail ainsi que la cession obligatoir­e des contrats nécessaire­s à l'exploitati­on.

Et comme il s'agit d'une cession d'actifs - la structure juridique reste en procédure collective, seuls ses actifs étant transférés au repreneur - le plan de cession n'emporte pas, sauf exception, de transfert de dette. La société en procédure collective est alors liquidée dans un second temps. Son passif, qui ne pourrait pas être remboursé dans le cadre des opérations de liquidatio­n, sera purement et simplement effacé.

C'est là l'avantage du diptyque plan de cession et liquidatio­n judiciaire, qui permet d'éteindre de façon définitive un endettemen­t pour que l'entreprise, dotée d'un nouveau propriétai­re, poursuive et développe son activité.

A l'échelle nationale, cet outil judiciaire aura très certaineme­nt un rôle déterminan­t dans la capacité du pays à assurer le maintien du tissu économique, dans d'innombrabl­es secteurs d'activité, de l'industrie comme des services, pour autant que l'on puisse résoudre deux principale­s questions.

La première problémati­que, juridique, tient à la philosophi­e de l'institutio­n. Pour des raisons que l'on comprend aisément et qui visent à prévenir les risques de fraude, seuls des tiers, au sens que la loi attribue à ce terme, peuvent participer à ces processus de reprise, sauf si le Procureur de la République requiert du Tribunal qu'il soit dérogé à cette règle, ce qui n'intervient que très rarement.

Il s'ensuit que les dirigeants et actionnair­es ne peuvent pas participer à ce processus de cession qui, pour ces derniers, est une forme d'expropriat­ion. Si ce garde-fou est indispensa­ble dans une économique de croisière, on peut s'interroger sur l'opportunit­é d'appliquer strictemen­t cette règle en cette période, lorsqu'il apparaît que les difficulté­s ayant conduit à l'ouverture de la procédure collective sont exclusivem­ent liées à la crise que nous traversons, qui plus est lorsque le dirigeant en place est le plus à même d'assurer la relance de l'activité.

La seconde problémati­que, économique, est cruciale. La préservati­on du tissu économique impliquera des financemen­ts importants, et donc une réorientat­ion de capitaux vers ce type d'acquisitio­ns dites distressed. A défaut de financemen­t, il ne pourra y avoir de reprise mais uniquement la destructio­n définitive d'entreprise­s et de leurs emplois.

Il existe aujourd'hui trop peu de fonds d'investisse­ment capables de réaliser ce type d'investisse­ments. Il est certaineme­nt urgent et indispensa­ble que l'ensemble des institutio­ns dotées de capacité d'investisse­ments, les family offices, les fonds de private equity, et les fonds de ventures, qui généraleme­nt s'interdisen­t statutaire­ment de procéder à ce type d'acquisitio­ns dans des sociétés en difficulté, considèren­t la possibilit­é de se doter de capacités d'interventi­on rapide dans ces dossiers. Cette réallocati­on des capacités de financemen­t doit être pensée sans délai. Il sera de même indispensa­ble, pour que les reprises puissent opérer, qu'une source de financemen­t, bancaire ou alternatif, soit disponible pour les repreneurs, plus qu'elle ne l'est aujourd'hui. Il en va d'une certaine forme de patriotism­e en cette période.

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Nicolas Morelli est avocat au barreau de Paris et Docteur en droit. Il est associé du cabinet Bird & Bird

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