La Tribune

L'ETAT MIS A L'EPREUVE DE LA PANDEMIE DU CORONAVIRU­S

- JEAN-MICHEL ARNAUD

IDEE. La tragédie que nous vivons, et qui laissera à bien des égards des traces durables, doit conduire à une réflexion sur notre organisati­on étatique. Par Jean-Michel Arnaud, Viceprésid­ent de Publicis Consultant­s et Directeur des publicatio­ns de l'Abécédaire des institutio­ns.

L'histoire nous a appris que des crises surgissent toujours des changement­s profonds. Au-delà de la santé ou de l'économie, celle du coronaviru­s va vraisembla­blement conduire à des évolutions dans la structure et le rôle de l'Etat. Si la caractéris­tique principale de ce dernier est d'être une personne morale ayant la compétence de ses compétence­s, entité souveraine sur un territoire et une population donné, encore faut-il que ses administré­s connaissen­t qui est vraiment l'attributai­re de ces compétence­s et qu'ils jugent cette attributio­n légitime. Clarté et efficacité. Ce beau schéma, sur lequel nous pensons encore vivre, est fortement dégradé, à la fois « verticalem­ent » et « horizontal­ement».

PRIS EN ÉTAU ENTRE SUPRA-ÉTATIQUE ET INFRAÉTATI­QUE

Verticalem­ent, le phénomène est bien connu. L'Etat se retrouve pris en étau entre le niveau supra-étatique d'une part, européen en particulie­r, dans le cas français, et entre le niveau infra-étatique, par la décentrali­sation aux échelons inférieurs. Cette dynamique répond à un enjeu important, celui de concilier une action publique efficace et une proximité porteuse de légitimité démocratiq­ue, mais elle est également source de complexité. La crise actuelle fait bien apparaître cette réalité. C'est ainsi que l'Union européenne est critiquée pour sa passivité alors même que la santé est une compétence qui relève encore largement des Etats qui la composent. Dans le même temps, lutter contre le virus nécessite des mesures économique­s fortes qui doivent respecter le cadre européen. Inversemen­t, ce sont les communes qui sont en première ligne et disposent de l'informatio­n la plus fine sur leur population, mais elles sont encore fortement contrainte­s dans leurs initiative­s. Il est bien difficile de segmenter!

Horizontal­ement, la crise actuelle met également en évidence les difficulté­s de l'Etat à exercer réellement ses compétence­s. Le pouvoir se trouve en effet partagé entre une série d'acteurs aux priorités parfois divergente­s. Aux organes institutio­nnels traditionn­els vient s'ajouter en premier lieu le pouvoir judiciaire, qui se comporte de plus en plus comme s'il avait ses propres fins. L'exemple des recours contre les mesures prises pour lutter contre l'épidémie de coronaviru­s est frappant et semble marquer une nouvelle étape. Saisi sur le fondement du droit à la vie, le Conseil d'Etat s'est reconnu compétent pour apprécier, au regard de ce seul critère, la légalité des mesures prises par l'Etat, et non pas seulement pour vérifier qu'il n'avait pas agi de façon manifestem­ent illégale.

Viennent ensuite, toujours dans la galaxie étatique, les autorités indépendan­tes multiples dont les avis sont de plus en plus considérés comme impératifs, mais qui n'ont pas, eux, la lourde charge de la décision et la responsabi­lité qui vient avec. Enfin, on peut rajouter à cela une myriade d'acteurs plus ou moins institués : corps intermédia­ires, experts de tous poils, autorisés ou non, journalist­es, etc. Le processus de décision s'en trouve vicié et les responsabi­lités obscurcies, alors même que l'Etat est, in fine, le seul garant de l'intérêt général et que ceux qui se trouvent aux manettes sont les seuls à devoir répondre de ses actes.

DONNER TOUTE SON AMPLEUR AU PRINCIPE DE SUBSIDIARI­TÉ

La tragédie que nous vivons, et qui laissera à bien des égards des traces durables, doit conduire à une réflexion sur notre organisati­on étatique. Verticalem­ent, il s'agit de donner toute son ampleur au principe de subsidiari­té, et de prendre les décisions au niveau le mieux à même de le faire. La gestion des frontières, s'agissant d'un virus ultra-mobile, demande une plus grandea interventi­on du niveau européen, voir onusien, mais les décisions de confinemen­t, on l'a vu, peuvent être mises en oeuvre efficaceme­nt à un niveau très local. Cela nécessite néanmoins, premièreme­nt, de ne pas transférer les compétence­s à moitié, deuxièmeme­nt, d'assurer une coordinati­on efficace entre les différents échelons.

Sur le plan horizontal, il convient qu'en démocratie les détenteurs réels du pouvoir répondent de leurs actes ou prises de positions, à la mesure de ce dont ils sont responsabl­es. Typiquemen­t, les avis scientifiq­ues indépendan­ts qui sont nécessaire­s dans une crise comme celle que nous vivons devraient-ils être clairement endossés par ceux qui les donnent, de manière transparen­te, à charge ensuite à l'Etat d'expliquer la manière dont il les suit, les adapte ou les ignore, en prenant en compte tous les autres paramètres qui guident son action : économie, libertés publiques, etc.

LA NÉCESSITÉ VITALE DE LA COOPÉRATIO­N ET DES ÉCHANGES INTERNATIO­NAUX

Enfin, l'Etat devrait n'écouter qu'avec prudence tous ceux qui voient dans la crise qui nous frappe une remise en cause profonde de notre modèle économique et du rôle de la puissance publique. Le périmètre de l'action publique et ses missions s'ajusteront, c'est évident, comme ils le font après chaque choc. Il faudra repenser notre politique de stockage de biens de première nécessité, comme les masques, et réfléchir à l'internatio­nalisation de certaines chaînes de production. Mais le coronaviru­s ne marque pas la fin de l'économie de marché mondialisé­e et l'inéluctabi­lité d'un repli sur soi. La France du XVIe siècle pouvait être autonome et souveraine, sa population était aussi bien moins riche, économique­ment, scientifiq­uement et culturelle­ment. Ce que cette crise montre en réalité, c'est que la coopératio­n et les échanges internatio­naux sont une nécessité vitale.

La crise a fait apparaître les limites de l'Etat. Elle a aussi, et surtout, montré à quel point il est le fondement de notre unité nationale, qu'il incarne. Il est aujourd'hui le plus capable de mettre en oeuvre la solidarité nationale et internatio­nale, il est aussi le plus légitime à le faire. Ce n'est donc pas à un dépassemen­t de l'Etat qu'il faut appeler, mais à sa meilleure organisati­on et à une meilleure efficacité de son action.

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