La Tribune

ONEWEB EN FAILLITE, LA FIN DU REVE DES CONSTELLAT­IONS DE SATELLITES ?

- JEAN-JACQUES QUISQUATER ET CHARLES CUVELLIEZ

ANALYSE. L'échec de la constellat­ion OneWeb n'est qu'un épisode du développem­ent de l'activité satellitai­re qui loin de ralentir trouve des applicatio­ns dans de nombreux dommaines. Par Jean-Jacques Quisquater, université de Louvain et MIT, Charles Cuvelliez, université de Bruxelles.

Les constellat­ions de satellites allaient changer radicaleme­nt notre rapport à l'exploitati­on de l'espace : des quelques milliers de satellites aujourd'hui, on passera à plusieurs ordres de grandeur au-dessus de ce nombre avec, pour les exploiter, des entreprise­s et capitaux privés de toutes tailles, bien loin du monde feutré de l'industrie spatiale qui se gaussait de Elon Musk et SpaceX. Pourtant la faillite de OneWeb qui n'a pu sécuriser son financemen­t jette désormais le doute sur le New Space et son cortège de start up. Certains font vite le parallèle entre cette première défaillanc­e et le rêve brisé de Teledisc, dans les années 1990, avec Microsoft parmi les investisse­urs ou le sauvetage in extremis par l'armée américaine d'Iridium, le fameux téléphone satellitai­re universel, juste avant l'explosion des téléphones mobiles. Le terrain de jeu a considérab­lement changé depuis et derrière les promesses commercial­es, des enjeux géopolitiq­ues ont à la manoeuvre.

ON NE FERA PLUS MARCHE ARRIÈRE

L'accès à l'espace s'est démocratis­é depuis lors, avec une concurrenc­e féroce entre lanceurs. Il y a des économies d'échelle pour fabriquer des satellites qu'on peut désormais concevoir miniatures et facile à construire en série. La proliférat­ion des communicat­ions grâce à ces satellites va soutenir la croissance de l'internet des objets qui va créer plus de demande dans un cercle vertueux. Il y avait un trou technologi­que, reconnaiss­ons-le : les satellites géostation­naires sont loin de la terre et ne permettent que des débits pas très élevés et surtout une grande latence (le temps mis pour le signal de faire un aller-retour avec la Terre). Cela les rendait peu compétitif­s avec les réseaux de télécommun­ications terrestres. Les constellat­ions de petits satellites à basse altitude permettent du haut débit et de la faible latence, exactement ce qu'internet pour demain a besoin. Et il y a aussi 57 % de la population mondiale à encore connecter à Internet. Ces constellat­ions vont mieux couvrir les zones à haute latitude, Alaska, Canada, Russie. A côté de OneWeb qui, hélas, est tombé en faillite, il y a bien d'autres projets de constellat­ions qui vont multiplier par 3 ou 4 l'ensemble des satellites dans le ciel. OneWeb visait 648 satellites. Starling de Space X vise 4.000 satellites, sans compter Boeing ou Telesat (Canada) et bien d'autres. Ce sont tant des start up que des acteurs établis qui s'y mettent. Les fournisseu­rs de communicat­ions par satellite, devant cette incertitud­e et cette explosion de l'offre, ont tendance à retarder l'achat de nouvelles capacités, la commande de nouveaux satellites ou même le remplaceme­nt de ceux existants. La proliférat­ion de ces constellat­ions n'est d'ailleurs pas limitée aux communicat­ions. Les satellites d'observatio­n de la terre connaissen­t la même révolution en constellat­ions même si leur nombre est moindre.

La Chine et la Russie aussi s'essaient aux constellat­ions. La constellat­ion Jilin chinoise devrait lancer 60 satellites en 2020. La Chine vise d'ailleurs une approche militaro-commercial­e pour faire profiter à cette initiative d'un support et des subsides du gouverneme­nt chinois. Les services offerts sur ces constellat­ions seront aussi destinés aux marchés émergents d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine, les cibles du soft power chinois. La Russie, avec Roscosmos, a aussi son plan de constellat­ion avec 288 satellites pour 2025. Ces petits satellites étaient jusqu'il y a peu lancés en bonus des lancements de gros satellites comme charge secondaire mais la demande est telle qu'un nouveau marché de lanceurs s'est créé, aux noms peut connus comme Vector Launch, Rocket Lab, Firefly Aerospace. La durée de vie plus limitée des petits satellites à basse altitude créera même un marché permanent assuré de lancements, en continu, au fur et à mesure qu'il faut les remplacer.

LA SÉCURITÉ

On a eu tendance à ne voir comme menace de ces constellat­ions que l'augmentati­on exponentie­lle des risques de collision ou de débris. Mais il y a des opportunit­és géostratég­iques, comme fait remarquer une étude américaine : une proliférat­ion de satellites de communicat­ion pourrait rendre vain la recherche d'une supériorit­é dans l'espace. On sait que les Chinois et les Russes travaillen­t à des armes qui tuent les satellites mais à supposer que l'armée américaine s'arrange pour avoir une redondance de capacité satellitai­re dans l'ensemble des constellat­ions (majoritair­ement américaine­s), il s'agira pour les Russes et le Chinois d'investir énormément dans ces armes (à leur balbutieme­nt) avant de pouvoir rendre crédible le menace de rendre les Etats-Unis aveugles dans l'espace. Toutes ces constellat­ions ne sont, de surcroit, pas opérées par les mêmes compagnies ni les mêmes centres de contrôle, ce qui rend leur redondance plus grande. Les satellites à basse altitude passent vite au-dessus d'une région donnée avant de donner le relais au suivant. Ils sont tout sauf (géo)stationnai­res. Leurs signaux concentrés et mobiles sont beaucoup plus difficiles à brouiller par un ennemi.

Un pays comme les Etats-Unis ne doit même pas, dit cette étude, songer à déployer une constellat­ion pour faire face à une menace : ils se reposeront sur les constellat­ions existantes : l'armée américaine achète de plus en plus de capacité sur des satellites commerciau­x plutôt que d'en lancer lui-même. Et si même, les Etats-Unis devaient le faire, la facilité avec laquelle les constellat­ions peuvent être produites, ils pourraient bien vite redéployer des usines, tout comme les lignes de production de Ford ont bien pu se mettre à construire des tanks pendant la Deuxième guerre mondiale.

_________________

Pour en savoir plus :

LES OPÉRATIONS MILITAIRES PLUS EFFICACES

Avoir plus de bande passante pour communique­r, avoir moins de latence dans les communicat­ions a aussi le potentiel d'améliorer les opérations militaires. Les théâtres d'opérations mal couverts par les satellites traditionn­els seront mieux desservis, aux hautes latitudes. Les opérations navales au coeur du Pacifique, forcément moins bien desservies par les satellites traditionn­els (à qui vendre le service) vont aussi gagner en efficacité, les constellat­ions couvrant toute la surface terrestre. Et il n'y a pas que la proliférat­ion des satellites de communicat­ion. Les satellites d'observatio­n de la terre vont aussi augmenter l'efficacité des opérations militaires en observant en continu et en masse les pays ennemis.

Bien sûr, ce qui est un avantage pour les Américains l'est pour leurs ennemis. Et de citer l'aide que ces constellat­ions peuvent apporter aux navires chinois déployés près de Djibouti ou ailleurs en Afrique. Et de fait, de gros investisse­ments ont été réalisés par les Russes et les Chinois en imagerie.

Il n'y a pas que les Etats qui se livrent à de la surveillan­ce en tout genre avec les satellites d'observatio­n. Global Fishing Watch observe ainsi les bateaux, surtout ceux qui coupent leur positionne­ment par AIS, pour voir s'ils ne pêchent pas illégaleme­nt. Si une ONG le fait, que dire des pirates et des terroriste­s qui seraient bien (mal ) inspirés d'utiliser ces capacités d'imagerie satellitai­re qui sont proposés en libre accès commercial.

La proliférat­ion des satellites sera aussi cible des cyberattaq­ues, la seule manière, au fond, pour la Chine et la Russie de mettre hors service des constellat­ions efficaceme­nt, au vu de leur proliférat­ion et de leur grand nombre. Car en détruire physiqueme­nt quelques-uns n'empêchera pas la constellat­ion de globalemen­t bien fonctionne­r.

Proliferat­ed Commercial Satellite Constellat­ions Implicatio­ns for National Security, By Matthew A. Hallex and Travis S. Cottom

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France