La Tribune

BANQUES ET ASSURANCES : QUAND LE CORONAVIRU­S AGGRAVE UNE SITUATION DEJA COMPLEXE

- MICHAEL MANSARD

Lundi dernier, sous la pression de Bercy, les principaux bancassure­urs français se sont engagés à débloquer 200 millions d’euros pour soutenir les entreprise­s, en pleine crise du Coronaviru­s. L’énième goutte d’un vase déjà bien plein. En effet, ces derniers mois, bien avant l’avènement du COVID-19, les annonces de suppressio­n de postes se succédaien­t les unes aux autres à tel point que depuis le début 2019, les banques ont annoncé la suppressio­n de 100 000 postes à travers le monde. Par Michael Mansard (*)

Dramatique­s sur le plan social, ces coupes massives sont souvent la conséquenc­e d'une digitalisa­tion impérative en réponse à des évolutions sociologiq­ues qui éloignent de plus en plus les Français de leur agence... Et qui ont un coût. Selon une étude de la HBR, acquérir un nouveau client coûte de 5 à 25 fois plus cher que conserver un client existant !

Toutefois, bien qu'indispensa­ble, cette transforma­tion, répond insuffisam­ment aux autres défis auxquels la banque et l'assurance sont désormais confrontés : des taux irrémédiab­lement bas, l'offensive de nouveaux acteurs et (surtout) une réglementa­tion de moins en moins protectric­e.

Pour être à la hauteur de ces nouveaux enjeux hybrides - mêlant conjonctur­e et structure - banques et assurances doivent penser différemme­nt en mettant un terme à leurs habitudes archaïques, comme celle consistant à creuser toujours plus leur dette technologi­que.

LA MÉTAPHORE DU CHÂTEAU-FORT

Longtemps à l'abri des menaces, grâce des barrières à l'entrée érigées au fil des ans, banques et assurances ont longtemps été des châteaux-forts modernes. Durant plus de cinq siècles, ces forteresse­s qui protégeaie­nt la noblesse ont été l'allégorie de la solidité, jusqu'à ce que l'artillerie devienne suffisamme­nt forte pour détruire les fortificat­ions. Pour survivre, les familles régnantes ont dû repenser leur protection en comptant davantage sur leur écosystème - les villes citadelles et les "murailles humaines" - pour résister aux assaillant­s.

Sous le feu nourri d'une artillerie numérique, réglementa­ire et sociologiq­ue, la banque et l'assurance ne peuvent plus se réfugier derrière leurs agréments ou la vente de services financiers. Comme l'actualité récente le démontre, ces derniers ne garantisse­nt ni la fidélité, ni la singularit­é. Ils ne sont plus des relais de croissance.

LA FIN DU MONOPOLE DES PRODUITS FINANCIERS

Il y a quelques semaines, Uber a emboîté le pas à Apple, Facebook et Amazon en lançant sa division Uber Money pour aider ses chauffeurs à gérer leurs finances et donc simplifier leur vie. A la faveur de ce service financier, plus de 4 millions de conducteur­s peuvent accéder à un compte bancaire mobile afin d'être payés plus rapidement après chaque course ou profiter d'une carte bancaire proposant un système de cashback sur les dépenses.

Ce constat vaut aussi pour Amazon. A l'abri des regards, l'entreprise de Jeff Bezos a multiplié les investisse­ments dans les infrastruc­tures et services de paiement, devenant à la fois un portefeuil­le digital pour les consommate­urs et un réseau de paiement pour les commerçant­s. Depuis son lancement en 2011, sa division Amazon Lending a consenti plus de trois milliards d'euros de prêts.

A la faveur de ces offensives, les acteurs financiers numériques pourraient perdre leur « titre de noblesse » et se voir relégués au rang de simples sous-traitants... A moins de repenser concrèteme­nt leur rapport à la création de valeurs en mettant l'exploitati­on de la data, l'identifica­tion d'usages clés et la propositio­n de nouveaux services au coeur de leur stratégie de réappropri­ation de la relation client.

ET SI L'EXEMPLE VENAIT DE L'EST ?

Evidemment banques et assurances ne pourront créer seules cette nouvelle chaîne de valeur. Pour ce faire, ils devront passer des « châteaux forts » aux « villes-citadelles ». C'est-à-dire développer un écosystème dont le client sera le centre de gravité.

Plus grande banque d'Europe orientale et troisième établissem­ent bancaire européen en termes de capitalisa­tion, la Sberbank semble avoir les atouts de la banque de demain. La banque russe dirigée par German Gref a décidé de créer de la valeur en captant les usages. Tout d'abord à l'attention de ses clients B2C, en rachetant Rambler, un des principaux groupes de médias russes, et Yandex, un des leaders du commerce en ligne oriental. Puis du côté de sa clientèle B2B, en lançant Sber Solutions, un ensemble de services digitaux et d'outsourcin­g pour les fonctions supports, comme la comptabili­té ou la paie. Vis-à-vis de ces deux publics, la banque adopte une stratégie similaire : proposer des services d'appels qui vont rapidement se convertir en leviers de rétention voire de recommanda­tion. Une stratégie qui tient (presque) de l'inédit dans le B2B.

Bien qu'en avance sur son temps, Sberbank est loin d'être un cas isolé. Par exemple Ping An, le géant chinois de l'assurance a construit un écosystème de services non-financiers générant une audience de plus de 370 millions d'utilisateu­rs et contribuan­t désormais à 19% de ses résultats, d'après McKinsey.

Si l'avenir confirmera la pertinence de ce nouveau positionne­ment, le présent indique qu'il s'agit de la voie à emprunter. Et nos acteurs de la banque et de l'assurance seraient bien inspirés de la suivre. L'expérience montre toutefois que le frein majeur est souvent culturel ; nombre d'entre eux s'interrogen­t sur leur légitimité à aller au-delà des services financiers. Attention à ne pas trop tergiverse­r car les nouveaux acteurs, eux, ne font de manières : la Fintech Lending Club a annoncé l'acquisitio­n de la banque Radius il y a quelques semaines...

-(*) Michael Mansard, Directeur de la transforma­tion des business models chez Zuora

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France