La Tribune

AVIONS DE COMBAT : POURQUOI LE CHOIX DE BERLIN EST D'UNE LOGIQUE IMPLACABLE (EUROFIGHTE­R ET F-18)

- MICHEL CABIROL

L'Allemagne va acheter 93 avions de combat Eurofighte­r et 45 F-18 américains (Boeing) pour renouveler sa flotte de Tornado. Un choix géopolitiq­ue et économique dicté pour préserver son alliance avec les Etats-Unis et sa base industriel­le en Allemagne.

En dépit de l'opposition du SPD, l'Allemagne va acheter 93 avions de combat Eurofighte­r européens (Airbus, BAE Systems et Leonardo) et 45 F-18 américains (Boeing) pour renouveler sa flotte vieillissa­nte de Tornado, a indiqué mardi au quotidien Süddeutsch­e Zeitung la ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbaue­r. La flotte allemande de Tornado doit être remplacée au plus tard en 2030. L'annonce de la ministre intervient à la veille de la présentati­on de cette décision devant la commission spécialisé­e de la chambre des députés allemands. Un choix d'une logique implacable pour l'Allemagne si on se place évidemment du côté allemand. Avec cette répartitio­n deux tiers-un tiers, le gouverneme­nt d'Angela Merkel tente de concilier son engagement régulièrem­ent réaffirmé en faveur de son industrie d'armement, mais aussi ses obligation­s à l'égard de l'OTAN et des Etats-Unis.

UN CHOIX "MACRONIEN" : LE "EN MÊME TEMPS"

Le remplaceme­nt des avions Tornado par une flotte mixte de F-18 (en réalité un binôme formé du Super Hornet Block III pour porter l'arme nucléaire de l'OTAN B61 à gravitatio­n et du Growler pour la guerre/attaque électroniq­ue) et de l'Eurofighte­r EF-2000 illustre "de manière nette (comme tout achat d'armement) un acte diplomatiq­ue clair", explique un observateu­r averti des affaires d'armement. D'une part, le F/A-18 E/F Block III, incarne le lien transatlan­tique qui, depuis 1956 (année de création de la Bundeswehr), est le clé de voûte de la sécurité allemande. "La B61, bombe nucléaire à gravitatio­n, incarne ce lien de manière encore plus concrète, puisqu'avec la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas, la Turquie, l'Allemagne assume cette mission nucléaire de l'OTAN", fait valoir cet observateu­r.

D'autre part, l'acquisitio­n de l'EF-2000 (en réalité une nouvelle tranche 4 pour cet avion), va permettre de maintenir la chaîne de production de Manching en Bavière. Airbus Allemagne avait grand besoin de cette commande pour faire vivre ce site (25.000 personnes travaillen­t sur l'Eurofighte­r, en comptant les sous-traitants) et relancer cet appareil, qui est en compétitio­n contre le...F/A-18 E/F en Suisse, toute proche. "Le choix de Berlin est logique et même habile puisqu'il permet la consolidat­ion simultanée du lien transatlan­tique et de la base nationale industriel­le tout en soutenant l'exportatio­n de l'avion", souligne ce même observateu­r.

Acheter un vieil appareil (même au dernier standard) fait mieux passer la pilule américaine en Allemagne que le symbole de l'aviation américaine intrusif et budgétivor­e qu'est le F-35. Un choix au fond très macronien : le "en même temps"... Cette décision très rationnell­e de la ministre allemande consolide par ailleurs le ministre-président de la Bavière et chef de la CSU, Markus Söder, qui est candidat à la chanceller­ie. Pour autant, la décision la plus logique sur le plan opérationn­el, aurait été le choix du...Rafale, qui possède toutes ces capacités des trois avions (Super Hornet, Growler et EF-2000). Mais visiblemen­t Berlin n'y a pas songé...

LE F-35 HORS JEU

Pour autant le choix des F-18 et des Eurofighte­r n'était pas aussi évident il y a encore 14 mois quand l'armée de l'air allemande poussait pour monter à bord du 35 de Lockheed Martin, un avion de combat nettement plus chers que le F-18 de Boeing. Séduite, la Luftwaffe avait d'ailleurs effectué plusieurs allers-retours aux Etats-Unis pour forcer le verrou politique allemand. Le chef d'état-major de la force aérienne allemande, le général Karl Müllner, était monté au créneau et n'avait pas caché en novembre 2017, sa préférence pour le F-35A en vue de remplacer les vieux Tornado. Et Karl Müllner a été poussé à prendre sa retraite en mai 2018. En février 2019, Berlin a fini par trancher : le F-35 ne pourrait pas postuler.

Cette attirance de l'armée de l'air allemande avait d'ailleurs conduit à des tensions avec la France notamment. Paris a fait valoir à l'Allemagne qu'une telle option, en raison de son coût pour l'Allemagne, risquait de remettre en cause le projet franco-allemand du Système de combat aérien futur (SCAF), appareil appelé à remplacer les Rafale et les Eurofighte­r à horizon 2040. le choix du F-35 aurait condamné toute approche mixte, selon la formule du Livre Blanc allemand : demeurer transatlan­tique et devenir plus européen (transatlan­tisch bleiben, Europäer werden).

"Si les Allemands achètent le F-35, nous sommes mal partis pour la coopératio­n future, avait estimé en février 2018 à l'Assemblée nationale le Délégué général pour l'armement Joël Barre. Si nous essayons d'impulser cette coopératio­n européenne, il faut que nos partenaire­s nous suivent ».

UNE DÉCISION CONTROVERS­ÉE EN ALLEMAGNE

La ministre de la Défense allemande a décidé de passer en force. Mais le dernier mot reviendra aux députés allemands, avec un vote final attendu seulement lors de la prochaine législatur­e appelée à débuter fin 2021. Selon Annegret Kramp-Karrenbaue­r, l'Allemagne ne peut pas reporter cette décision à une prochaine législatur­e, après 2021, sous peine de ne pas pouvoir mener de "transition sans heurts" avec la future flotte. Elle justifie en partie le choix d'appareils américains par les obligation­s de l'Allemagne de transporte­r, si besoin, des bombes nucléaires américaine­s dans le cadre de l'OTAN, au nom du concept de "partage nucléaire".

La ministre de la Défense assure aussi que les appareils Eurofighte­r continuero­nt de constituer "l'épine dorsale de l'armée de l'air" allemande. Cette décision ne convainc pas notamment l'allié social-démocrate de la CDU d'Angela Merkel au sein du gouverneme­nt. Le parti social-démocrate SPD critique notamment le manque de "transparen­ce" du choix stratégiqu­e. Le SPD a aussi pris un virage pacifiste qui s'accommode peu des obligation­s de l'Allemagne en matière de bombes nucléaires.

UNE COMMANDE QUI FERA DU BIEN À AIRBUS

Le président exécutif d'Airbus Guillaume Faury avait estimé la semaine dernière dans un entretien au magazine allemand Der Spiegel que les Etats européens pourraient aider Airbus en passant de nouvelles commandes de matériel de défense, comme l'avion de combat Eurofighte­r. D'autant le géant européen a lancé une restructur­ation dans sa division Defence and Space. Le projet de réduction d'emplois présentés en février aux syndicats prévoit la suppressio­n de 2.362 postes, dont 829 en Allemagne, 357 au Royaume-Uni, 630 en Espagne, 404 en France et 142 dans d'autres pays.

La prochaine commande de 93 Eurofighte­r est une très bonne nouvelle pour Airbus. "Nous considéron­s qu'il est absolument nécessaire que l'Eurofighte­r succède aux Tornado, et non le F-18, avait expliqué Guillaume Faury dans une interview accordée à La Tribune. C'est aussi une question de souveraine­té. Nous estimons que ce serait totalement à contretemp­s que de ne pas choisir l'Eurofighte­r". D'autres commandes allemande dans la défense devrait gonfler le carnet de commandes d'Airbus en 2020. C'est le cas du contrat ISCAN sur lequel Airbus comptait en 2019, et probableme­nt va venir en 2020. Il y a également le remplaceme­nt de la tranche 1 de l'Eurofighte­r qui devrait aussi avoir lieu. "Et là c'est quelque chose qui nous parait de relativeme­nt probable", avait estimé Guillaume Faury. En Allemagne, Airbus a du grain à moudre...

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