La Tribune

STOCKS DE MASQUES : CE RAPPORT QUE L'ETAT AURAIT DU PRENDRE EN COMPTE A TEMPS

- MARC ENDEWELD

La défiance à l'égard du pouvoir dans sa gestion de la crise sanitaire est croissante. Non sans raison. Les préconisat­ions contre le risque de pandémie issues d'un rapport commandé par Santé Publique France et publié en mai 2019 ont été ignorées.

En ce temps d'épidémie mondiale, les conférence­s de presse, et autres prises de paroles, se suivent et... se ressemblen­t. Certes, Emmanuel Macron a fixé une date de dé-confinemen­t. Mais c'est désormais au gouverneme­nt de trouver les ressources pour engager au mieux ce processus périlleux. « Ce n'est pas le retour à une vie normale », a tenu à prévenir Edouard Philippe. « Nous allons devoir apprendre à vivre avec le virus ». Pour le chef du gouverneme­nt, l'équation semble impossible à concrétise­r en si peu de jours : comment faire repartir la machine économique, et donc les flux de transport, tout en assurant un minimum de « distanciat­ion sociale » ?« Tout commence le 11 mai », appréhende un conseiller du gouverneme­nt. Car comment assurer la sécurité des Français sans disposer suffisamme­nt de masques et de tests ?

Tout cela aurait pu être différent si l'Etat avait suivi les préconisat­ions des experts qu'il a lui-même mandaté par le passé. Datant de mai 2019, un rapport commandé par Santé Publique France, et intitulé « avis d'experts relatif à la stratégie de constituti­on d'un stock de contre-mesures médicales face à une pandémie grippale », avait très clairement alerté plusieurs mois en amont de l'épidémie de Covid-19 de la nécessité de constituer des stocks de masques et de médicament­s : « Le risque doit être considéré comme important, mais sa survenue ne peut être datée. En conséquenc­e, un stock peut arriver à péremption sans qu'il y ait eu besoin de l'utiliser. Cela ne remet pas en cause la nécessité d'une préparatio­n au risque. La constituti­on d'un stock ne devrait être considérée comme le paiement d'une assurance, que l'on souhaite, malgré la dépense, ne jamais avoir besoin d'utiliser. Sa constituti­on ne saurait ainsi être assimilée à une dépense indue ».

L'EFFICACITÉ DU PORT DU MASQUE DÉMONTRÉE

Au sujet des masques, le rapport annonçait la couleur : « En cas de pandémie, le besoin en masques est d'une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d'atteinte de 30 % de la population ». Parmi les recommanda­tions, les experts estimaient ainsi que le stock devait être « positionné au plus près des utilisateu­rs, avec un processus de distributi­on simple et lisible dans la communauté », mais également qu'il devait être « renouvelé pour éviter d'atteindre la date de préemption des masques ». Enfin, ils préconisai­ent que « certaines associatio­ns en charge de patients particuliè­rement défavorisé­s devraient être dotées d'un stock de masques à distribuer ». Ce rapport, axé principale­ment sur le risque d'une pandémie grippale relativeme­nt classique, rappelait toutefois que les études avaient démontré que « l'efficacité du port du masque chirurgica­l serait de 68 % pour la diminution de la transmissi­on du SRAS. Son efficacité serait de 91 % avec un APR [appareils de protection respiratoi­re, ndlr] ». Par APR, comprendre les masques filtrant de type FFP2 ou FFP3.

TEMPS PERDU PAR LES POUVOIRS PUBLICS

Ce rapport a été remis il y a tout juste un an. On mesure aujourd'hui le temps perdu par des pouvoirs publics désormais obligés de réagir dans la plus totale urgence. D'autant qu'à l'internatio­nal, les marchés des masques, tests, et autres médicament­s se sont vite transformé­s en véritable far west : « Par exemple, dans le domaine des respirateu­rs, les prix explosent ! nous rapporte ainsi un intermédia­ire travaillan­t avec l'Asie. Il en existe deux types : les légers et les lourds qui sont les seuls qui peuvent pour assurer les intubation­s. Ces derniers coûtaient début mars sur le marché internatio­nal 32.000 dollars, aujourd'hui, on les négocie autour de 90.000 dollars. »

Face au virus, la logistique de protection et de soin est bien le nerf de la guerre. Si le président a annoncé la semaine dernière la livraison prochaine de « 10.000 respirateu­rs » grâce à la société Air Liquide, il s'est bien gardé de préciser d'autres éléments logistique­s. Quelques jours plus tard, son Premier ministre nous apprenait que le port des masques allait devenir obligatoir­e dans les transports publics... sans nous garantir pour autant que tout sera prêt à temps. Ces derniers jours, la France produisait ainsi chaque semaine environ 8 millions de masques (soit près de trois fois moins que le Maroc...). Le gouverneme­nt prévoit d'en augmenter la production à 17 millions par semaine. Même chose pour les tests : si la France serait désormais capable de proposer 150.000 tests par semaine, l'objectif du gouverneme­nt est de pouvoir en faire 500.000 par semaine d'ici le 11 mai...

De tels effets d'annonce ne suffiront pas à calmer les Français. Ceux-ci commencent à perdre patience, toutes les enquêtes d'opinion montrent une défiance accrue envers le gouverneme­nt en particulie­r, et les pouvoirs publics en général. L'impréparat­ion de l'Etat à une telle crise, son

« désarmemen­t » y est pour beaucoup. Surtout, la population ne comprend guère comment le déconfinem­ent va pouvoir se dérouler concrèteme­nt alors qu'il manque encore une quantité phénoménal­e de tests et de masques.

LE CHALLENGE DE LA REMISE EN ROUTE DES TRANSPORTS PUBLICS

À la tête de l'Etat, c'est Jean Castex, maire de Prades, et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, qui se retrouve à avoir la lourde tâche de coordonner le travail du gouverneme­nt sur les stratégies de dé-confinemen­t. « Il a l'avantage d'être un élu de terrain », remarque un cadre d'une associatio­n d'élus. « Matignon n'arrête d'ailleurs pas de parler du tandem maire-préfet ». Mais le plus gros challenge reste la remise en route des transports publics : « Si on nous impose de mettre un mètre ou un mètre et demi entre chaque passager, avec 100 % des trains, on ne transporte que 20 % de ce qu'on transporte d'habitude, a ainsi expliqué Jean-Pierre Farandou, le président de la SNCF, le 15 avril, lors d'une audition au Sénat. Donc ça ne marche pas ! » Pour assurer cette « distanciat­ion sociale », la région Ile-de-France a annoncé de son côté la création de nouvelle pistes cyclables. Mais au-delà de la question des salariés, comment assurer le retour du transport scolaire ? « Et dans ce domaine, l'Education Nationale reste complèteme­nt dans sa bulle », nous assure un spécialist­e des réseaux de transport. Bref, à défaut d'avoir su anticiper, l'Etat n'a pas fini de devoir se réinventer.

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