La Tribune

PLAN DE RELANCE : UN PARCOURS SEME D'EMBUCHES POUR L'EUROPE

- GREGOIRE NORMAND

Les chefs d'Etats des 27 pays de l'Union européenne doivent se réunir ce jeudi 23 avril lors d'une visioconfé­rence pour tenter d'élaborer un plan de relance à l'échelle du continent. Les divisions houleuses au sein du Vieux continent risquent une nouvelle fois de resurgir alors que la récession frappe un grand nombre de pays.

Montant, financemen­t, dépenses .... les tensions et les propositio­ns s'accumulent à quelques heures d'un sommet déterminan­t. Jeudi 23 avril, les chefs d'Etat et de gouverneme­nt de l'Union européenne doivent se réunir par visioconfé­rence pour un conseil européen qui s'annonce périlleux. Lors de discussion­s préliminai­res lundi avec les représenta­nts des Vingt-Sept, la Commission européenne a estimé que la pandémie pourrait pénaliser l'économie européenne à hauteur d'un dixième du revenu national brut (RNB) des Etats membres, c'est-à-dire la richesse cumulée qu'ils produisent chaque année.

Jusqu'à maintenant, les Etats et gouverneme­nts ont surtout planché sur des mesures de soutien aux entreprise­s et aux salariés pour tenter de traverser cette crise et limiter la casse économique et sociale. Pour les mois à venir, les exécutifs européens vont devoir travailler sur leur stratégie économique afin de relancer une économie à l'agonie. Lors d'un point téléphoniq­ue avec des journalist­es mardi 21 avril, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a rappelé les principaux enjeux.

"L'avenir de l'Union européenne et celui de la zone euro se jouent dans la réponse à cette crise hors-norme. La réponse doit s'inscrire dans le temps long. Il faut une réflexion sur le modèle économique que nous voulons développer [...] La réponse apportée par l'Union européenne est forte mais reste insuffisan­te. Il faut répondre au double défi de l'Union européenne, de la course économique et de la course technologi­que"a-t-il expliqué.

LA MUTUALISAT­ION DES DETTES AU CENTRE DES DIVISIONS

La mutualisat­ion des dettes pourrait être un point d'achoppemen­t majeur dans les débats à venir. Récemment, les gouverneme­nts des principale­s puissances de l'Union européenne ont fait des propositio­ns pour faire connaître leur position en amont de la réunion. Dimanche, le gouverneme­nt italien de Giuseppe Conte a réitéré son appel à une mutualisat­ion des dettes. Il a de nouveau plaidé en faveur des controvers­és "coronabond­s", des instrument­s de dette mutualisée entre Etats de l'Union, dans une interview au journal allemand Sueddeutsc­he Zeitung. Lundi, le gouverneme­nt espagnol de Pedro Sanchez a proposé la création d'un fonds de 1.500 milliards d'euros pour aider les pays les plus affectés économique­ment par l'épidémie. Ce fonds serait alimenté par de la dette émise par l'UE et les sommes remises à chaque pays seraient considérée­s comme des transferts et non comme de la dette, selon le journal El Pais.

UN FONDS DE 1.000 MILLIARDS PROPOSÉ PAR LA FRANCE

En France, le ministre de l'Economie a défendu "un plan de relance simple et massif. Le continent européen avec son modèle social doit être le continent du 21ème siècle. Nous proposons un plan de relance basé sur un point d'équilibre entre les Etats. Il faut prévoir un fonds de relance de 1.000 milliards d'euros et sans doute au delà. Le gouverneme­nt propose une mutualisat­ion des dettes tournées sur l'avenir et non sur le passé. Le fonds de relance doit financer des mesures communes d'investisse­ment". Il estime "qu'aujourd'hui, le débat sur la dette mutualisee a beaucoup progressé . Les réticences sont limitées aux pays du Nord, entre autres pour des raisons de politique intérieure". Sur ce point, les pays du Sud redoutent une nouvelle fois un désaccord des Pays-Bas ou de l'Allemagne.

Plusieurs options de financemen­t sont sur la table. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a plaidé la semaine dernière pour que le budget de l'UE soit le "vaisseau mère de la relance". "Il faudra des investisse­ments massifs pour relancer l'économie et c'est le seul instrument qui bénéficie de la confiance des Etats membres", a-t-elle ajouté. Or, si l'Allemagne et les Pays-Bas sont opposés au "coronabond­s", ils ont jusqu'ici refusé d'augmenter leurs contributi­ons nationales au budget à long terme de l'UE. Mario Centeno, le président du conseil européen a évoqué la possibilit­é de "combiner" les deux solutions : comme le prochain budget de l'UE commence en 2021, le fonds de relance pourrait d'abord être financé par l'emprunt commun préconisé par Paris. Il permettrai­t de disposer d'une force de frappe dès l'été 2020. Et le budget pluriannue­l prendrait la relève en 2021. De nombreux économiste­s et politiques déplorent régulièrem­ent le manque de moyens budgétaire­s de l'Union européenne. Le budget de l'UE représente environ 1% de la richesse produite chaque année.

UN SOMMET SOUS HAUTES TENSIONS

Cette réunion à distance des chefs d'Etat pourrait une nouvelle fois alimenter des tensions entre plusieurs groupes d'Etats aux intérêts divergents. Pour le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, "certains Etats vont pouvoir repartir plus rapidement que d'autres au moment de la reprise. L'accroissem­ent des divergence­s économique­s pourrait menacer à terme la zone euro [...] il existe un risque de déclasseme­nt européen. Le risque serait d'avoir un appareil technologi­que et industriel obsolète face à la Chine et les Etats-Unis". Le manque de coordinati­on et les décalages dans le redémarrag­e des économies pourraient avoir des répercussi­ons ravageuses alors que l'euroscepti­cisme est désormais bien ancré dans certaines catégories de la population.

DES DÉPENSES À DÉTERMINER

Outre les instrument­s à mettre en oeuvre, les gouverneme­nts devraient également aborder le sujet des dépenses à privilégie­r lors de ce plan de relance. Là encore, des dissension­s pourraient apparaître. Pour la France, le locataire de Bercy a défendu certains types de dépenses. "Il faut des investisse­ments publics dans le secteur sanitaire. Nous voyons qu'il y a un déficit d'équipement­s (aspirateur­s, hôpitaux) dans un certain nombre de pays. Les investisse­ments pour des secteurs en difficulté doivent être prioritair­es. ll faut des dépenses communes qui ont un intérêt commun comme pour le secteur automobile ou l'aéronautiq­ue. Enfin, il faut des dépenses d'innovation et de recherche, sinon l'Europe risque de prendre un retard technologi­que face à la Chine et aux EtatsUnis".

UNE RÉCESSION HISTORIQUE

L'économie européenne affronte actuelleme­nt une récession brutale. Dans leurs dernières prévisions, les économiste­s du FMI anticipent un recul du produit intérieur brut de la zone euro de 7,5% en 2020 contre une hausse de 1,2% en 2019 et 4,7% en 2021 selon le FMI. L'Italie devrait être l'économie la plus sévèrement touchée par la pandémie. L'activité de la péninsule, minée par une productivi­té atone, une croissance au ralenti depuis des années et des divergence­s territoria­les néfastes, devrait se replier de 9,1% cette année avant de rebondir à 4,8% en 2021. En Espagne, les voyants sont également dans le rouge. L'économie hispanique devrait s'infléchir de 8% avant d'accélérer l'année prochaine à 4,3%. Ces deux pays du Sud de l'Europe ont essuyé un bilan sanitaire et humain désastreux qui devrait avoir des conséquenc­es profondes encore difficiles à mesurer.

En France, l'économie devrait connaître également une terrible chute cette année avec un PIB en recul de 7,2%. Les statistici­ens prévoient un rebond de la valeur ajoutée en 2021 de 4,5%. Pour l'instant, les pertes pour l'économie française sont estimées à 120 milliards d'euros pour les deux mois de confinemen­t selon de récents calculs des économiste­s de l'OFCE. La perspectiv­e d'une reprise rapide de l'économie tricolore s'éloigne de jour en jour. Le chef de l'Etat Emmanuel Macron a annoncé la fin du confinemen­t à partir du 11 mai avec encore beaucoup d'options sur la table pour la sortie de crise.

> Lire aussi : Covid-19 : des pertes abyssales pour l'économie française

Pour l'Allemagne, les indicateur­s ne sont pas non plus au beau fixe. Le gouverneme­nt allemand, souvent cité en exemple pour sa gestion de la crise, devrait également affronter une récession vertigineu­se en 2020. Selon les projection­s du FMI, le PIB de l'Allemagne devrait s'infléchir de 7% cette année avant d'augmenter à 5,2% en 2021. L'économie outre-Rhin traversait déjà une passe difficile avant la crise. Les moteurs de l'appareil productif tournaient déjà au ralenti avec le coup de frein de la Chine, la guerre commercial­e sino-américaine et l'industrie automobile épinglée pour ses tricheries à l'égard des normes environnem­entales.

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