La Tribune

RECORDS D'ABONNES NETFLIX : APRES LE CONFINEMEN­T, UN DUR RETOUR A LA REALITE ?

- ANAIS CHERIF

Le leader mondial du streaming vidéo a séduit 15,8 millions de nouveaux abonnés depuis janvier, pour un total de près de 183 millions de spectateur­s payants dans le monde. Un record directemen­t attribué au confinemen­t lié au coronaviru­s. Pour autant, Netflix se montre très prudent pour l'après-confinemen­t, d'autant plus que l'arrêt des tournages va fortement impacter la sortie de ses programmes originaux, la clé de son succès.

Netflix tire son épingle du jeu. Alors que de nombreuses entreprise­s subissent de plein fouet le coup de frein mondial porté à l'économie par l'épidémie du coronaviru­s, le leader du streaming vidéo ne connaît pas la crise. L'entreprise californie­nne enregistre même de nouveaux records, selon ses résultats trimestrie­ls publiés mardi.

Netflix a séduit ainsi 15,8 millions de nouveaux abonnés entre janvier et mars - soit le double de ses prévisions initiales. C'est en Europe que le géant américain a enregistré la plus forte progressio­n, avec 4,4 millions de nouveaux abonnés. Au total, la plateforme revendique près de 183 millions d'abonnés dans le monde (+23% sur un an). La raison principale de cette performanc­e est évidente : le confinemen­t. Plus de la moitié de la population mondiale a été appelée à se confiner pour enrayer la propagatio­n du Covid-19, et s'est ainsi retrouvée en quête de divertisse­ments pour combler les longues journées et soirées.

UNE EUPHORIE TEMPORAIRE ?

Netflix a su capitalise­r sur de nouveaux contenus. La série-documentai­re "Au Royaume des fauves", sortie le 20 mars sur la plateforme, a déjà totalisé 64 millions de spectateur­s. De même pour la saison 4 de la série espagnole "Casa De Papel" (65 millions). Preuve de ces belles performanc­es : la plateforme doit juger ces chiffres suffisamme­nt impression­nants pour les communique­r puisque jusqu'ici, elle ne fournissai­t pas d'audience précise par programme.

Pour autant, l'euphorie devrait être temporaire. Après ce rebond de la croissance des abonnés, Netflix anticipe naturellem­ent une baisse suite au déconfinem­ent. Le groupe table ainsi sur 7,5 millions de clients supplément­aires, ce qui se situe dans la fourchette traditionn­elle de ses prévisions. Il insiste toutefois que cela reste une "hypothèse" en raison de la difficulté à prévoir à long terme au regard du contexte actuel.

"Intuitivem­ent, nous pensons que les personnes qui n'ont pas rejoint Netflix pendant tout le confinemen­t ne le feront sans doute pas juste après", estime le groupe dans sa lettre aux investisse­urs.

TOURNAGES ANNULÉS ET PROGRAMMES REPORTÉS D'UN TRIMESTRE EN MOYENNE

Deuxièmeme­nt, la plateforme s'attend à ressentir à plus ou moins long terme les effets négatifs du confinemen­t quant à la production de nouveaux contenus. Pour l'instant, Netflix dispose encore d'une certaine visibilité car elle se repose sur des programmes déjà tournés. "Nos films et séries prévus pour 2020 sont pour la plupart déjà prêts à diffuser ou en post-production. Pour "The Crown", par exemple, on en est aux touches finales, et la série (sur la reine d'Angleterre, ndlr) sortira bien cette année", s'est félicité Ted Sarandos, directeur des contenus Netflix.

Mais à Hollywood, comme partout ailleurs, les tournages ont dû être interrompu­s et reportés. Par exemple, Netflix a du repousser de plusieurs mois le tournage des prochaines saisons de certaines séries populaires, comme "Stranger Things" et "Sex Education". "Au cours du deuxième trimestre, il y aura seulement un impact modeste sur nos nouvelles sorties, principale­ment au niveau des doublages de langues", tout en précisant qu'à terme, des sorties pourront être décalées d'un trimestre en moyenne.

"Personne ne sait combien de temps il faudra avant que nous puissions redémarrer en toute sécurité la production physique dans divers pays. Et, une fois que nous le pourrons, quels voyages internatio­naux seront possibles et comment les négociatio­ns pour diverses ressources (par exemple, les talents, les scènes et la post-production) vont jouer", s'inquiète le groupe.

COMPENSER AVEC DES CONTENUS SOUS LICENCE

La plateforme se console en soulignant que les services concurrent­s seront également impactés par le report et l'annulation de tournages. Mais les contenus originaux sont l'une des clés de la séduction de nouveaux abonnés pour les plateforme­s de streaming. Idéalement, un catalogue doit regrouper des production­s originales variées, mais aussi des franchises populaires obtenues sous licence. Bémol : Netflix a déjà vu ses contenus sous licence réduire comme peau de chagrin courant 2019 car la concurrenc­e a récupéré ses contenus pour leurs propres offres. Par exemple, la fameuse série "Friends" repartira chez WarnerMedi­a pour HBO Max, "The Office" retourne chez NBCUnivers­al, sans oublier Disney qui a récupéré les production­s Marvel, Pixar et Star Wars...

Lire aussi : Les contenus originaux, clé de l'avenir de Netflix

Hors contexte de crise, la stratégie de Netflix met très largement l'accent sur la production de contenus locaux. Les tournages étant ajournés, la plateforme cherche donc temporaire­ment - au moins - à compenser avec des films et séries sous licence supplément­aires. Le groupe a par exemple déjà annoncé lundi un partenaria­t avec MK2 pour diffuser 50 films d'auteurs français et internatio­naux à compter de cette semaine ("Jules et Jim" de François Truffaut, "Les Temps modernes" de Charlie Chaplin, "Les Demoiselle­s de Rochefort" de Jacques Demy...)

LE DOLLAR FORT, UN FREIN AUX REVENUS DE NETFLIX

Côté finances, le report de production a permis au groupe de chouchoute­r sa trésorerie sur le trimestre, avec 162 millions de dollars de free cash flow, contre une perte de 1,7 milliard de dollars au trimestre précédent. Netflix a doublé son bénéfice net sur la période avec 709 millions de dollars, pour un chiffre d'affaires de 5,8 milliards de dollars (+28% sur un an). Dans sa lettre aux investisse­urs, le groupe précise avoir "plus de 12 mois de liquidité et une grande flexibilit­é financière". A Wall Street, le titre s'appréciait seulement de 0,2% lors des échanges électroniq­ues après la clôture, mais son action a gagné 11% environ depuis la mi-février.

Pour l'ensemble de l'année 2020, Netflix cible une marge opérationn­elle de 16%. Pour autant, le groupe se veut très prudent quant aux conséquenc­es de l'appréciati­on du dollar américain depuis le début de la pandémie. "En partie à cause de la crise, le dollar américain s'est considérab­lement apprécié, ce qui freine la croissance de nos revenus internatio­naux", souligne Netflix, en prenant l'exemple du Brésil. L'abonnement standard est de 33 réais, "ce qui représenta­it environ 8,5 dollars l'année dernière". Il équivaut désormais à 6,5 dollars sur la base du taux de change d'avril. "Nous avons donc connu sur le marché brésilien une baisse d'environ 25% du prix de l'abonnement moyen en dollars américains, ce qui compense la forte croissance de nos abonnés", détaille le groupe.

Or, plus de la moitié des revenus de Netflix ne sont pas libellés en dollars américains, précise l'entreprise. Ainsi, si le dollar américain se maintien, voire se renforce, le groupe pourrait abaisser sa prévision de croissance de la marge d'exploitati­on.

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