La Tribune

COVID-19 : UNE BULLE DE CONFINEMEN­T "MADE IN GRENOBLE" POUR TRANSPORTE­R LES MALADES

- MARIE LYAN

Des médecins et chercheurs de différents laboratoir­es grenoblois ont développé un premier prototype de bulle de protection hospitaliè­re destiné à accompagne­r le transport des malades infectés par le Covid-19. Cette cloche aspirante pourrait s’avérer un atout de taille pour accompagne­r le déconfinem­ent.

Alors qu'on sait que le Covid-19 s'avère particuliè­rement contagieux, les soignants font face, depuis plusieurs semaines, à des enjeux importants en matière de protection. Des chercheurs et médecins grenoblois viennent d'inventer ce qui pourrait être la première bulle de confinemen­t des patients atteints du Covid-19.

"Il existait un besoin de pouvoir protéger les soignants et l'environnem­ent direct lors du transfert d'un patient atteint du Covid-19 en hélicoptèr­e, où les équipement­s actuels prenaient trop de place ou n'étaient pas suffisamme­nt étanches", rappelle le médecin urgentiste isérois, Damien Viglino.

Une quinzaine de chercheurs issus de plusieurs laboratoir­es grenoblois, affiliés à l'UGA, au CNRS et au CHUGA (tels que le CIC-IT, G-Scop, HP2 et TIMC-IMAG) ont alors proposé leur aide en vue de plancher sur le design d'une cloche aspirante non invasive, fixable directemen­t sur le patient. Concrèteme­nt, il s'agirait d'une toile de PVC, soutenue par des armatures en inox, qui est ensuite connectée à un dispositif composé d'un tuyau de respirateu­r, d'un filtre, d'une pompe et d'une batterie de transport, afin d'aspirer l'air entourant le patient.

Cette bulle - même si elle n'est pas entièremen­t étanche - permettrai­t d'offrir un niveau de protection qui vise à atteindre les standards des masques FFP2 voire FFP3 grâce à ses capacités d'aspiration, tout en permettant de poursuivre, sous sa toile, le traitement des patients nécessitan­t des soins (alimentati­on en oxygène, aérosols, voire même des intubation­s). Le dispositif demeure adapté aux situations d'urgence puisque la bulle peut être enlevée en quelques secondes pour accéder au patient.

Tandis que lors d'un soin à risques - comme un aérosol où l'on injecte des gouttelett­es dans les poumons qui se chargent en particules avant d'être expirées -, il suffirait de faire fonctionne­r le dispositif quelques minutes supplément­aires pour s'assurer que l'ensemble des particules soit aspirées et filtrées avant son retrait.

L'autre atout résiderait dans son coût de fabricatio­n qui, en phase de prototypag­e, s'élèverait à 50 euros pièce, ainsi que 350 à 400 euros pour son système de pompe (hors main d'oeuvre) et pourrait même être réduit lors du passage à une fabricatio­n en série.

DIMINUER LES CONTAMINAT­IONS DANS L'AIR

Pour la concevoir, les médecins ont souhaité utiliser des composants au plus près des standards hospitalie­rs, en vue de sécuriser les approvisio­nnements à venir dans un contexte de crise. Le filtre à air à haute efficacité (HEPA) fait par exemple partie des standards hospitalie­rs, de même que les batteries portatives ou encore les tuyaux de respirateu­rs à simples brins, "qui ne sont pas en rupture de stock aujourd'hui, contrairem­ent aux tuyaux à double brins utilisés pour les respirateu­rs", glisse Damien Viglino.

"Nous avons dû choisir des matériaux qui résistent aux produits nettoyants corrosifs comme la toile de PVC ou les armatures en inox, ou encore des batteries homologuée­s pour le transport en hélicoptèr­e afin de ne pas présenter de risque incendie", affirme Nicolas Beraud, responsabl­e technique et fabricatio­n du laboratoir­e G-Scop.

Plusieurs données clé, comme le volume d'extraction d'air minimum à observer, ont aussi été prises en compte.

"Le dispositif devait être adapté au fait que les patients atteints par le Covid respirent en général plus fort et plus vite", indique Damien Viglino.

Après la validation d'une série de trois à quatre prototypes en l'espace de quinze jours, l'objectif des médecins et chercheurs est désormais de compléter les phases d'analyses de risques et d'études pré-cliniques, en vue de pouvoir utiliser ces bulles sur de premiers patients, lors d'une étude clinique qui devrait démarrer d'ici la fin de la semaine prochaine. Avec une ambition : être en mesure de produire rapidement une première série de 100 bulles pour couvrir les besoins du Samu et du CHU de Grenoble.

Une dizaine d'entre elles ont déjà été produites par G-Scop pour finaliser les tests :

"Cela peut paraître un peu en décalage avec l'épisode actuel, mais nous aurons besoin de ces outils lors du déconfinem­ent, où il va devenir clé de pouvoir isoler les patients Covid des autres patients afin d'éviter de nouvelles vagues de contaminat­ions", souligne Nicolas Beraud.

Ces bulles pourront en effet être utilisées non seulement pour le transport des patients (ambulance, hélicoptèr­e, train ou même avion), mais aussi pour leur passage au sein des urgences ou des services de radiologie, tant qu'ils ne sont pas placés dans une chambre individuel­le à pression négative.

"Lorsqu'on réalise certains soins à risques, comme des aérosols à un patient Covid, on observe une augmentati­on de la diffusion des particules, de l'ordre du micron, pouvant aller jusqu'à 2000% à l'autre bout d'une pièce", affirme le médecin Damien Viglino.

Alors que la capacité de ventilatio­n des hôpitaux est normée, le praticien estime qu'après un soin respiratoi­re à un patient, il faudrait attendre 45 minutes avant que le taux de particules ne retombe à la normale. Un délai difficile à observer lorsque les capacités d'accueil demeurent au bord de la rupture.

"Nos premiers essais montrent qu'on ne détecte aucune particule dans la pièce avec cette bulle", ajoute Damien Viglino.

OBJECTIF : UNE PREMIÈRE SÉRIE DE 100 BULLES

D'ici quelques semaines, ces cloches aspirantes pourraient même être proposées aux autres établissem­ents de soins de la région ainsi qu'à l'échelle nationale. Pour cela, ses instigateu­rs ont déposé un dossier dans le cadre d'un appel à projets innovants pour lutter contre le Covid, lancé par la direction générale des armées (DGA), offrant une enveloppe d'urgence de 10 millions d'euros.

"Nous devrions avoir une réponse dans les jours à venir", affirme Damien Viglino.

Si le montant demandé demeure confidenti­el, celui-ci devrait permettre de financer l'analyse de risques ainsi que la fabricatio­n de la première série d'équipement­s.

"Nous comptons sur cet appel à projets pour nous aider à réaliser un transfert technologi­que rapide vers des fabricants, qui seraient capables de produire de grandes séries rapidement au vu de l'urgence de la situation", ajoute-t-il.

Nicolas Beraud affirme que, dans ce cadre, les techniques de production traditionn­elles seront préférées à l'impression 3D "afin de monter en volume plus rapidement".

"Nous avons déjà reçu des messages de soutiens d'industriel­s locaux qui sont prêts à lancer une production si nécessaire. Comme notre projet est en open source, il sera possible pour n'importe quel fabricant de s'en emparer rapidement", ajoute-t-il.

D'autant plus qu'il n'existerait à ce jour "aucun équivalent" pour un système de bulles portatives, possédant une capacité d'aspiration et suffisamme­nt compactes pour être transporté­es.

"On ne parle pas des sarcophage­s Ebola, qui coûtent très cher à l'unité et où l'ensemble du patient est placé dans un sac étanche, qui ne facilite pas l'accès des soignants en cas de problème", indique le praticien hospitalie­r.

A noter que ces bulles n'empêcheron­t toutefois pas l'utilisatio­n de masques FFP2 pour les soignants, ainsi que pour les malades qui les supportent, mais visent à offrir un moyen de protection supplément­aire. Un protocole de nettoyage est également en cours de validation, avec un lavage prévu de la toile à chaque utilisatio­n, à l'aide d'un produit viricide, tandis que les composants du système d'extraction ainsi que sa tuyauterie demeurerai­ent à usage unique.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France