La Tribune

SORTIE DE CONFINEMEN­T : DE L'ANTICIPATI­ON DE CERTAINS ENJEUX JURIDIQUES DANS UN CONTEXTE INTERNATIO­NAL

- MARIE DANIS, ALEXANDRA BERG-MOUSSA, JULIEN AUCOMTE ET LAURENT COTRET

OPINION. La crise sanitaire, qui frappe actuelleme­nt l'ensemble de notre planète, a entrainé dans de nombreux pays la mise en place par les gouverneme­nts de mesures d'urgences, avec une intensité largement inédite. Par Marie Danis, Alexandra Berg-Moussa, Julien Aucomte et Laurent Cotret, associé au sein du cabinet d’avocats August Debouzy

D'un point de vue sanitaire, il s'agit bien entendu du confinemen­t de la population qui s'est maintenant généralisé et concerne selon les dernières informatio­ns plus de la moitié de l'humanité. La sortie de cette période de confinemen­t est une opération encore incertaine (aucun pays n'a encore procédé à un déconfinem­ent général de la totalité de sa population) tant dans son moment que dans ses modalités, lesquelles restent à déterminer, sans doute en fonction de l'évolution constante de l'épidémie.

Si les acteurs du droit ont su rapidement s'adapter à cette situation de confinemen­t (on pense notamment à la généralisa­tion du télé-travail lorsqu'il est possible, à la tenue de réunions qui étaient avant nécessaire­ment physiques par le biais de plateforme­s de télé-conférence ou de visioconfé­rence), leur activité reste toutefois largement entravée, notamment d'un point de vue judiciaire (l'accès aux tribunaux étant limitée aux contentieu­x dits essentiels) et administra­tif (les relations avec les autorités administra­tives indépendan­tes étant lui aussi ralenti).

La question qui se pose désormais, puisqu'on peut espérer que le pic de la crise sera bientôt atteint dans notre pays et que le gouverneme­nt travaille sur des scenarii de déconfinem­ent progressif en principe à partir du 11 mai prochain, est celle des enjeux juridiques qui se présentero­nt aux entreprise­s, ses juristes et avocats au cours de cette prochaine phase. Nul doute qu'elle sera aussi inédite que celle que nous traversons actuelleme­nt.

Les questions seront sans doute multiples mais on peut d'ores et déjà s'interroger sur les efforts qui devront être faits pour soutenir la relance de l'économie, sur les effets des mesures de « social distancing » qui vont perdurer, et sur les incidences qu'aura cette crise sur le multilatér­alisme, base actuelle des relations du commerce internatio­nal.

Sur le plan économique, de nombreuses mesures de soutien de l'économie ont été mises en place dès le début de la crise dont une enveloppe initialeme­nt prévue à 45 milliards d'euros qui a été portée à 100 milliards depuis, avant d'être encore probableme­nt étendue dans les semaines qui viennent. Toutefois, la garantie apportée par l'Etat sur les prêts bancaires (PGE), le recours massif à l'activité partielle, ainsi que les reports et annulation­s de charges ne doivent pas faire oublier que les entreprise­s devront faire face à un moment à un difficile redémarrag­e de leur activité « dans le cours normal ». Ainsi ces mesures, si essentiell­es soient elles, viennent surtout amortir l'arrêt de l'activité du fait du confinemen­t, mais ne feront hélas pas obstacle au risque de défaut et d'insolvabil­ité à terme de nombreuses entreprise­s qui résulterai­t d'une crise économique plus durable Dans ce cadre, il faudra rentrer davantage dans une gestion « au long cours » de la crise dans laquelle l'ensemble des outils de prévention et de traitement des difficulté­s auront toute leur place.

La relance de notre économie passera également très certaineme­nt par un maintien durable du soutien des banques et un maintien, sur la durée, de la garantie de l'Etat. Il faudra également que nos entreprise­s ne soient pas entravées par des interventi­ons trop rigides des autorités administra­tives qui régulent l'activité dans notre pays et la vie des entreprise­s. Il faut donc souhaiter que leur mission indispensa­ble de vigilance et de contrôle dans l'applicatio­n de la réglementa­tion et dans la sanction des irrégulari­tés sera conduite de manière éclairée et pragmatiqu­e.

Le confinemen­t a par ailleurs confirmé aux acteurs économique­s qu'un exercice dématérial­isé de leurs opérations, qui avait largement débuté depuis de nombreuses années avec l'essor du télétravai­l, est plus que vital. Démonstrat­ion est ainsi faite que l' activité des entreprise­s, et celle des conseils juridiques qui les accompagne­nt, peuvent être conduites à distance. La sortie de confinemen­t qui se dessine imposera d'ailleurs sans doute, pendant un temps encore long, des restrictio­ns aux réunions plénières, aux déplacemen­t profession­nels, surtout en dehors de nos frontières. La pratique des négociatio­ns et des signatures de contrats à distance est donc sans doute amenée à se développer grandement. A ce titre, les praticiens ont prouvé depuis le début du confinemen­t que la réalisatio­n d'opérations complexes, telles par exemples que des acquisitio­ns ou cessions d'entreprise­s, parfois avec financemen­t, peuvent être réalisées par des voies de signature électroniq­ue sécurisée. Le « social distancing » ne sera donc pas de ce point de vue là un frein au maintien et à la relance des affaires au niveau internatio­nal.

Dans le même sens, on peut penser que le commerce en ligne, qui est dans le contexte actuel la voie largement majoritair­e dans les relations entre entreprise­s et consommate­urs, sera amené à se maintenir et même à se développer. Les consommate­urs seront certes sans doute incités et emprunts d'une volonté de soutenir la reprise des activités des commerces dits « traditionn­els » au moment du déconfinem­ent, et à jouer pleinement leur rôle de « consommaCt­eur » en sortie de crise. Néanmoins, les restrictio­ns aux allées et venues de population, le maintien de certaines mesures de distanciat­ion sociale, un déconfinem­ent avec réouvertur­es partielles et progressiv­es des commerces dits « traditionn­els », mais également les habitudes prises par nombre de consommate­urs qui recourent massivemen­t à leurs achats en ligne depuis le début de la crise, inciteront certaineme­nt les acteurs économique­s à développer plus encore ce mode de commercial­isation. Dans ce cadre, les juristes devront continuer à leur apporter assistance pour sécuriser au mieux ces activités.

Enfin, sans que nous puissions l'affirmer, il est dès maintenant permis de penser que les relations de commerce internatio­nales seront impactées par la crise que nous vivons. A court et moyen termes d'abord, car là encore la reprise des échanges internatio­naux sera progressiv­e et dépendra de la capacité de reprise des activités de chaque pays et des décisions prises par chaque gouverneme­nt sur leurs territoire­s respectifs. A l'heure où la France sortira de cette crise, il est possible et même probable que d'autres pays seront encore à l'arrêt, ce qui impactera les flux d'activités qui existaient avant le démarrage de la crise et incitera les entreprise­s à se réorganise­r, à tout le moins temporaire­ment. A long terme ensuite, car de nombreux exemples (médicament­s, industries premières) ont montré que nos pays se sont largement rendus dépendants d'approvisio­nnements à l'étranger au risque de créer des situations de pénuries lorsque les relations entre Etats sont empêchées par un évènement global, paralysant nos systèmes d'approvisio­nnements.

Loin de nous l'idée de prêcher la fin d'un multilatér­alisme qui a été la clé du développem­ent internatio­nal et du progrès social dans de nombreuses régions du monde, mais certains excès inciteront sans doute nos gouvernant­s mais également les entreprise­s à penser « le monde d'après » en envisagean­t un retour, au moins dans une certaine proportion, à un commerce plus régional (on peut penser notamment à l'échelle de l'Union Européenne) que mondial.

La dépendance aux juridictio­ns étatiques dont le fonctionne­ment a été, dans certains pays, presque gelé pourrait également inciter à se tourner vers un arbitrage internatio­nal permettant un accès permanent au Juge en temps de crise. La crise et les mesures de restrictio­n ont créé des situations juridiques dont on ne peut pas encore mesurer l'impact, en grande partie du fait de la concentrat­ion des acteurs sur leurs enjeux premiers (la gestion sanitaire et le maintien de leur activité) mais aussi de situations de statu quo : il n'est souvent pas conseillé de se lancer dans des batailles ou des renégociat­ions difficiles lorsque la tempête gronde... En outre, l'activité des tribunaux étant largement suspendue, au-delà des situations d'urgence, il existe une quasi-impossibil­ité de recourir en ce moment au Juge.

Soutiens de l'activité économique des entreprise­s post confinemen­t, interlocut­eurs privilégié­s dans les relations avec les autorités, sécurisati­on des transactio­ns conclues à distance, assistance dans les évolutions juridiques et judiciaire­s du commerce internatio­nal, tels sont selon nous certains des défis à venir au sortir du confinemen­t. Il faudra faire preuve de réactivité, d'implicatio­n, de raison et de pragmatism­e afin que le droit soit plus que jamais une matière vivante, non un obstacle mais, bien au contraire, un facteur d'accompagne­ment de la relance et, au-delà, du retour à une croissance pérenne.

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