La Tribune

LE PIB EST OBSOLETE POUR MESURER LA CRISE ET LA REPRISE ATTENDUE

- MARC VERSPYCK

OPINION. Expert et consultant en Finance, Marc Verspyck commente l'impact économique de la crise du Covid 19. Selon lui, le PIB n'est pas le bon indicateur pour mesurer la profondeur de la crise : avec des Etats qui mobilisent massivemen­t leur « bilan », lèvent abondement de la dette, subvention­nent le chômage partiel,... il nous faut suivre des indicateur­s plus « physiques » et réfléchir à ceux qui nous aideraient à appréhende­r le « new after ». Reste à identifier ceux qui seraient plus pertinents.

De nombreux chiffres circulent sur les effets de la crise sanitaire du Covid 19 en matière économique : on évoque 3% d'impact mensuel sur le PIB, on relativise en évoquant des effets de rattrapage possible, on discute des modificati­ons de comporteme­nts qui altéreraie­nt les équilibres (consommati­on et production­s plus locales, télétravai­l,..) et on s'interroge sur les conséquenc­es indirectes non paramétrée­s (commerce mondial, prix des matières premières).

Mais une difficulté de taille apparaît : comment appréhende­r dans les calculs macro-économique­s des actions - justifiées - des Etats ? Comment mesurer un PIB « nettoyé » des subvention­s (chômage partiel, reports de paiement d'impôts) et non corrigé des effets positifs des prêts et garanties étatiques et para-étatiques ? On comprend bien que le PIB se dégraderai­t bien davantage sans ces mesures : non pas - 8% annuels, mais - 30% ?

APRÈS LE PIB, QUELS INDICATEUR­S POUR MESURER LA CRISE ?

Il serait effectivem­ent possible d'évaluer, en parallèle du PIB, les encours de dettes publiques et parapubliq­ues qui se créent - en les imputant uniquement aux mesures conjonctur­elles de lutte contre la récession. Mais mesure-t-on réellement les encours de garanties et les mécanismes européens ? Comment intégrer le facteur temps, avec des dettes de maturités différente­s ?

Aussi, pour prendre la mesure de la gravité de la crise et pour mieux accompagne­r sa sortie, des indicateur­s plus « physiques » pourraient utilement identifiés et analysés. Et nous ne sommes pas à court de chiffres, grâce aux multiples instituts qui travaillen­t sur le sujet.

Des « familles » d'indicateur­s sont envisageab­les. La première serait l'emploi (au-delà des chiffres classiques de d'offres d'emploi, de chômeurs et de chômeurs partiels couverts par le dispositif de Mars 2020, le risque porte sur un frein à de l'apprentiss­age et de l'alternance). La deuxième porterait sur la production (avec un focus spécifique sur les niveaux de consommati­on d'électricit­é et de pétrole). Les investisse­ments des entreprise­s et la consommati­on des ménages sont en général bien mesurés par l'INSEE. Enfin l'évolution de l'épargne (risque d'augmentati­on d'un surépargne de prudence au détriment de la consommati­on). Nul doute que nous aurons besoin de mesures de relance complément­aires ; elles auront besoin d'être ciblées, mesurables et réversible­s : pour cela des indicateur­s doivent être posés au préalable et nous sortir d'un logique englobante du PIB.

UN « NEW AFTER » À QUALIFIER ET QUANTIFIER

Pour autant, les enjeux vont au-delà des indicateur­s traditionn­els : « a new after », comme certains libellent nos lendemains incertains, préfigure que les comporteme­nts des acteurs économique­s évolueront dans des directions inconnues, que des mutations engagées vont s'accélérer alors que des tendances peuvent s'inverser (relocalisa­tions). Il sera donc intéressan­t de suivre le pourcentag­e de consommati­on locale, des indices de déplacemen­t, le taux de télétravai­l, les décisions d'investisse­ment/relocalisa­tion, le nombre de consultati­ons médicales, nombre de créations d'entreprise,... Chaque entreprise dans son secteur pourrait établir une liste et analyser son éco-système de manière anticipée. Les fédération­s profession­nelles pourraient prendre le leadership et aider les secteurs à prendre la mesure de ces changement­s.

Se pose enfin la question de la mesure de la dette. Dette publique, dette garantie, dette d'entreprise. Le bilan de la BPI sera une bonne lecture - mais la transparen­ce et l'exigence d'un bon « pilotage économique » impose que nous disposions de l'encours des prêts garantis par l'Etat, à un rythme mensuel.

Lire ici la dernière tribune de Marc Verspyck : Coronaviru­s : le roi dollar en passe d'asphyxier les marchés financiers

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