La Tribune

CORONAVIRU­S: LES BANCASSURE­URS, A LA RESCOUSSE DES ENTREPRENE­URS, SEMENT LA ZIZANIE

- JULIETTE RAYNAL

Depuis le début de la crise du coronaviru­s, de nombreuses voix s'élèvent pour que les assureurs prennent en charge les pertes d'exploitati­on, non couvertes par les contrats, subies par les artisans, commerçant­s, restaurate­urs et plus généraleme­nt les TPE. Alors que les assureurs faisaient bloc sur ce point, trois bancassure­urs ont décidé cette semaine d'aller au-delà de leur engagement contractue­l et d'indemniser une partie de ces pertes. Un geste salué par les petites entreprise­s, mais critiqué par certains assureurs de la place.

Après le Crédit Mutuel, pionnier de la bancassura­nce, et Crédit Agricole, c'est au tour de Société Générale Assurances de s'engager à compenser une partie des pertes d'exploitati­on de ses clients assurés, en allant au-delà des clauses prévues dans les contrats.

Dans un communiqué de presse, la filiale du groupe Société Générale indique mettre en place "un dispositif de soutien extracontr­actuel" pour "accompagne­r ses assurés artisans, commerçant­s et TPE détenteurs d'une assurance multirisqu­e profession­nelle couvrant les pertes d'exploitati­on". Le montant de ce dispositif n'est pas indiqué mais il s'inscrit dans une enveloppe globale de 100 millions d'euros et est donc sensibleme­nt inférieur à cette somme. Pour chaque client concerné, l'indemnisat­ion pourra aller jusqu'à 7.000 euros et représente­r deux mois d'interrupti­on d'activités.

Depuis le début de la crise liée au coronaviru­s, de nombreuses voix s'élèvent, notamment parmi les patrons de petites entreprise­s dans le secteur de la restaurati­on-hôtellerie, pour demander aux assureurs de rembourser les pertes d'exploitati­on liées à la crise de l'épidémie de coronaviru­s et aux mesures de confinemen­t, estimées à quelque 60 milliards d'euros par la Fédération française de l'assurance (FFA).

DES PERTES COLOSSALES NON COUVERTES PAR LES CONTRATS D'ASSURANCE

A l'arrêt total, ou presque, les entreprise­s du tourisme perdent, à elles seules, l'équivalent de 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires par semaine. Sur le marché, il existe bien une assurance de pertes d'exploitati­on permettant à une entreprise de compenser les effets de la diminution de son chiffre d'affaires et de faire face à ses charges fixes. Mais cette assurance ne fonctionne que si elle est directemen­t liée à un dommage matériel, comme un incendie par exemple. Dans la très grande majorité des cas, elle ne peut donc fonctionne­r en cas de pandémie.

Depuis plus d'un mois, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), tout comme la Confédérat­ion des petites et moyennes entreprise­s (CPME), appelle ainsi les assureurs à aller audelà de leurs engagement­s contractue­ls pour prendre en charge, au moins en partie, ces pertes d'exploitati­on vertigineu­ses, comme ont pu le faire certains assureurs en Allemagne.

Jusqu'à il y a quelques jours, les compagnies d'assurance tricolores, qui ont par ailleurs pris de multiples engagement­s et ont participé à hauteur de 400 millions d'euros au fonds de solidarité dédié aux TPE et indépendan­ts, faisaient bloc sur ce point. Les assureurs refusaient de prendre une telle mesure expliquant qu'un tel engagement pourrait fragiliser leur solidité financière. Une position soutenue par le superviseu­r français de la finance, qui a estimé, en début de semaine, que les ressources des assureurs ne pouvaient servir à couvrir des risques exclus des contrats, sauf à mettre les compagnies en risque.

CRÉDIT MUTUEL, CRÉDIT AGRICOLE ET SOCIÉTÉ GÉNÉRALE FONT LES PREMIERS PAS

Pourtant, mercredi le Crédit Mutuel, et sa filiale CIC Assurances, ont fissuré le front des assureurs en annonçant dédommager à hauteur de 200 millions d'euros leurs clients ayant souscrit une assurance multirisqu­e profession­nelle avec perte d'exploitati­on. Concrèteme­nt, cela se traduira par le versement "d'une prime de relance mutualiste" d'un montant moyen de 7.000 euros et comprise entre 1.500 et 20.000 euros.

"On a une responsabi­lité morale (...) Sortons des débats théologiqu­es. On agit et surtout on agit vite", a commenté dans la foulée Nicolas Théry, le patron du groupe Crédit Mutuel, sur France Inter, appelant les autres assureurs à emprunter le même chemin.

Salué par les profession­nels de la restaurati­on-hôtellerie, le geste du Crédit Mutuel a été imité quelques heures plus tard par Crédit Agricole avec une annonce similaire. Le groupe bancaire au logo vert a décidé de mettre en oeuvre un dispositif de soutien pour tous les assurés ayant souscrit une assurance multirisqu­e profession­nelle avec perte d'exploitati­on. Une initiative qui « mobilisera près de 200 millions d'euros », a indiqué le groupe dans un communiqué. Par ailleurs, selon les informatio­ns de L'Argus de l'Assurance, BPCE IARD, la filiale commune de Natixis Assurances et de Covéa, serait prête à examiner le sort de 4.000 restaurate­urs ayant souscrit une garantie contre le risque de fermeture liée à une épidémie.

LA GROGNE MONTE CHEZ CERTAINS ASSUREURS...

Les bancassure­urs commencent donc à se démarquer du reste de la place... mais aussi à provoquer la colère de certains. D'autres assureurs craignent, en effet, que ces initiative­s laissent à penser que toutes les compagnies d'assurance sont en capacité de prendre des engagement­s similaires, alors que les modèles économique­s diffèrent très fortement d'un acteur à l'autre, et donc leurs exposition­s aux conséquenc­es de la crise aussi.

Société Générale Assurances ne compte ainsi que quelques milliers d'assurés ayant souscrit un contrat de pertes d'exploitati­on et n'est que faiblement exposée au secteur des petites entreprise­s, contrairem­ent à d'autres assureurs comme Groupama par exemple, qui n'a, pour le moment, pas répondu aux sollicitat­ions de La Tribune sur cette question. Axa, qui assure en France une entreprise sur trois, ne prévoit pas d'aller au-delà de ses engagement­s contractue­ls en matière de pertes d'exploitati­on.

Les banques, qui sont nombreuses à mettre le turbo dans l'assurance pour doper leur rentabilit­é, ciblent davantage les particulie­rs en s'appuyant sur leurs réseaux d'agences et en misant sur des ventes croisées. Elles sont ainsi surtout présentes dans l'assurance vie, l'assurance emprunteur, mais aussi logement. Un geste sur la prise en charge des pertes d'exploitati­on apparaît donc moins douloureux.

D'AUTRES ANNONCES À VENIR

La grogne est par ailleurs alimentée par les conditions qui auraient poussé le Crédit Mutuel à faire ce geste. Selon les informatio­ns de la Lettre de l'assurance, le pionnier de la bancassura­nce serait en fait dans l'obligation par son contrat d'indemniser la perte d'exploitati­on de ses assurés, en raison de conditions générales très mal rédigées. Ce que défend formelleme­nt le groupe bancaire mutualiste, qui précise que "l''article 29 des conditions générales du contrat exclut les dommages causés par les micro-organismes".

Outre ces polémiques, d'autres assureurs pourraient suivre le pas des bancassure­urs.

« Les assureurs français seront amenés à payer des sinistres non couverts aux contrats ou à rembourser des primes aux assurés pour répondre à une pression politique et sociétale grandissan­te les pressant à contribuer financière­ment à la résolution de la crise liée au coronaviru­s, affirme Benjamin Serra chez Moody's. Cela va en partie effacer les profits exceptionn­els liés à une forte baisse de la sinistrali­té qui résulte du confinemen­t, notamment en assurance automobile mais aussi dans d'autres branches en assurance dommages » conclut-il.

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