CORONAVIRUS: LES BANCASSUREURS, A LA RESCOUSSE DES ENTREPRENEURS, SEMENT LA ZIZANIE
Depuis le début de la crise du coronavirus, de nombreuses voix s'élèvent pour que les assureurs prennent en charge les pertes d'exploitation, non couvertes par les contrats, subies par les artisans, commerçants, restaurateurs et plus généralement les TPE. Alors que les assureurs faisaient bloc sur ce point, trois bancassureurs ont décidé cette semaine d'aller au-delà de leur engagement contractuel et d'indemniser une partie de ces pertes. Un geste salué par les petites entreprises, mais critiqué par certains assureurs de la place.
Après le Crédit Mutuel, pionnier de la bancassurance, et Crédit Agricole, c'est au tour de Société Générale Assurances de s'engager à compenser une partie des pertes d'exploitation de ses clients assurés, en allant au-delà des clauses prévues dans les contrats.
Dans un communiqué de presse, la filiale du groupe Société Générale indique mettre en place "un dispositif de soutien extracontractuel" pour "accompagner ses assurés artisans, commerçants et TPE détenteurs d'une assurance multirisque professionnelle couvrant les pertes d'exploitation". Le montant de ce dispositif n'est pas indiqué mais il s'inscrit dans une enveloppe globale de 100 millions d'euros et est donc sensiblement inférieur à cette somme. Pour chaque client concerné, l'indemnisation pourra aller jusqu'à 7.000 euros et représenter deux mois d'interruption d'activités.
Depuis le début de la crise liée au coronavirus, de nombreuses voix s'élèvent, notamment parmi les patrons de petites entreprises dans le secteur de la restauration-hôtellerie, pour demander aux assureurs de rembourser les pertes d'exploitation liées à la crise de l'épidémie de coronavirus et aux mesures de confinement, estimées à quelque 60 milliards d'euros par la Fédération française de l'assurance (FFA).
DES PERTES COLOSSALES NON COUVERTES PAR LES CONTRATS D'ASSURANCE
A l'arrêt total, ou presque, les entreprises du tourisme perdent, à elles seules, l'équivalent de 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires par semaine. Sur le marché, il existe bien une assurance de pertes d'exploitation permettant à une entreprise de compenser les effets de la diminution de son chiffre d'affaires et de faire face à ses charges fixes. Mais cette assurance ne fonctionne que si elle est directement liée à un dommage matériel, comme un incendie par exemple. Dans la très grande majorité des cas, elle ne peut donc fonctionner en cas de pandémie.
Depuis plus d'un mois, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), tout comme la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), appelle ainsi les assureurs à aller audelà de leurs engagements contractuels pour prendre en charge, au moins en partie, ces pertes d'exploitation vertigineuses, comme ont pu le faire certains assureurs en Allemagne.
Jusqu'à il y a quelques jours, les compagnies d'assurance tricolores, qui ont par ailleurs pris de multiples engagements et ont participé à hauteur de 400 millions d'euros au fonds de solidarité dédié aux TPE et indépendants, faisaient bloc sur ce point. Les assureurs refusaient de prendre une telle mesure expliquant qu'un tel engagement pourrait fragiliser leur solidité financière. Une position soutenue par le superviseur français de la finance, qui a estimé, en début de semaine, que les ressources des assureurs ne pouvaient servir à couvrir des risques exclus des contrats, sauf à mettre les compagnies en risque.
CRÉDIT MUTUEL, CRÉDIT AGRICOLE ET SOCIÉTÉ GÉNÉRALE FONT LES PREMIERS PAS
Pourtant, mercredi le Crédit Mutuel, et sa filiale CIC Assurances, ont fissuré le front des assureurs en annonçant dédommager à hauteur de 200 millions d'euros leurs clients ayant souscrit une assurance multirisque professionnelle avec perte d'exploitation. Concrètement, cela se traduira par le versement "d'une prime de relance mutualiste" d'un montant moyen de 7.000 euros et comprise entre 1.500 et 20.000 euros.
"On a une responsabilité morale (...) Sortons des débats théologiques. On agit et surtout on agit vite", a commenté dans la foulée Nicolas Théry, le patron du groupe Crédit Mutuel, sur France Inter, appelant les autres assureurs à emprunter le même chemin.
Salué par les professionnels de la restauration-hôtellerie, le geste du Crédit Mutuel a été imité quelques heures plus tard par Crédit Agricole avec une annonce similaire. Le groupe bancaire au logo vert a décidé de mettre en oeuvre un dispositif de soutien pour tous les assurés ayant souscrit une assurance multirisque professionnelle avec perte d'exploitation. Une initiative qui « mobilisera près de 200 millions d'euros », a indiqué le groupe dans un communiqué. Par ailleurs, selon les informations de L'Argus de l'Assurance, BPCE IARD, la filiale commune de Natixis Assurances et de Covéa, serait prête à examiner le sort de 4.000 restaurateurs ayant souscrit une garantie contre le risque de fermeture liée à une épidémie.
LA GROGNE MONTE CHEZ CERTAINS ASSUREURS...
Les bancassureurs commencent donc à se démarquer du reste de la place... mais aussi à provoquer la colère de certains. D'autres assureurs craignent, en effet, que ces initiatives laissent à penser que toutes les compagnies d'assurance sont en capacité de prendre des engagements similaires, alors que les modèles économiques diffèrent très fortement d'un acteur à l'autre, et donc leurs expositions aux conséquences de la crise aussi.
Société Générale Assurances ne compte ainsi que quelques milliers d'assurés ayant souscrit un contrat de pertes d'exploitation et n'est que faiblement exposée au secteur des petites entreprises, contrairement à d'autres assureurs comme Groupama par exemple, qui n'a, pour le moment, pas répondu aux sollicitations de La Tribune sur cette question. Axa, qui assure en France une entreprise sur trois, ne prévoit pas d'aller au-delà de ses engagements contractuels en matière de pertes d'exploitation.
Les banques, qui sont nombreuses à mettre le turbo dans l'assurance pour doper leur rentabilité, ciblent davantage les particuliers en s'appuyant sur leurs réseaux d'agences et en misant sur des ventes croisées. Elles sont ainsi surtout présentes dans l'assurance vie, l'assurance emprunteur, mais aussi logement. Un geste sur la prise en charge des pertes d'exploitation apparaît donc moins douloureux.
D'AUTRES ANNONCES À VENIR
La grogne est par ailleurs alimentée par les conditions qui auraient poussé le Crédit Mutuel à faire ce geste. Selon les informations de la Lettre de l'assurance, le pionnier de la bancassurance serait en fait dans l'obligation par son contrat d'indemniser la perte d'exploitation de ses assurés, en raison de conditions générales très mal rédigées. Ce que défend formellement le groupe bancaire mutualiste, qui précise que "l''article 29 des conditions générales du contrat exclut les dommages causés par les micro-organismes".
Outre ces polémiques, d'autres assureurs pourraient suivre le pas des bancassureurs.
« Les assureurs français seront amenés à payer des sinistres non couverts aux contrats ou à rembourser des primes aux assurés pour répondre à une pression politique et sociétale grandissante les pressant à contribuer financièrement à la résolution de la crise liée au coronavirus, affirme Benjamin Serra chez Moody's. Cela va en partie effacer les profits exceptionnels liés à une forte baisse de la sinistralité qui résulte du confinement, notamment en assurance automobile mais aussi dans d'autres branches en assurance dommages » conclut-il.