La Tribune

LA CRISE DU COVID-19, L'AUBE D'UNE NOUVELLE ERE POUR LES TERRITOIRE­S ?

- ANNE ALBERT-CROMARIAS ET ALEXANDRE ASSELINEAU

La ruée vers les résidences secondaire­s et la situation de télétravai­l subi pourraient constituer le point de départ d’un exode urbain durable. Par Anne Albert-Cromarias, Groupe ESC Clermont et Alexandre Asselineau, Burgundy School of Business

Dans un récent article, du temps de l'avant-confinemen­t, nous évoquions les difficulté­s croissante­s vécues par les habitants des grandes métropoles, leur envie de ruralité... Mais surtout, nous évoquions les nombreux atouts liés à l'installati­on d'activités économique­s « là où les autres ne sont pas », rappelant ainsi qu'il s'agit d'un principe fondamenta­l, mais trop souvent oublié, de la réflexion stratégiqu­e ...

Mi-mars, un mois plus tard donc, nous avons assisté à un véritable exode des habitants des grandes métropoles face à la menace du Covid-19. Notamment (mais pas seulement), 17% des Parisiens auraient ainsi fui la capitale, anticipant (plus ou moins) l'enfer présumé du confinemen­t à venir dans la promiscuit­é et les difficulté­s d'une grande ville.

Les conséquenc­es supposées (puis avérées) du confinemen­t sur la vie quotidienn­e ont incité ces urbains à préférer des coins du territoire plus tranquille­s, où l'on bénéficie d'air pur et de logements plus vastes, parfois de jardins ou de la nature environnan­te, où associer l'indispensa­ble « distanciat­ion sociale » et l'approvisio­nnement en denrées de première nécessité est plus aisé.

L'assaut des résidences secondaire­s s'est avéré réel, posant par ailleurs de vraies questions sur le plan sanitaire à l'origine d'un accueil parfois plus que réservé des autochtone­s ...

Cet exode met surtout en exergue, en lien avec notre propos, les atouts avérés, mais si peu encouragés, des territoire­s ruraux sur la grande ville.

LE TÉLÉTRAVAI­L COMME RÉVÉLATEUR

Cette longue période de confinemen­t impose à nombre d'entre nous de lâcher prise sur le quotidien ou, à tout le moins, de le réinventer. Chacun voit ses habitudes chamboulée­s et l'organisati­on du travail est, pour presque tous, inédite.

Près de 9 millions de travailleu­rs français seraient aujourd'hui au chômage partiel, et environ 45% de la population active ne travailler­ait plus, si l'on rajoute les salariés en arrêt maladie (notamment pour garde d'enfants).

Pour ceux qui peuvent poursuivre leur activité, le télétravai­l prend un essor totalement inenvisage­able il y a seulement encore quelques semaines. Il restait en effet relativeme­nt anecdotiqu­e dans des entreprise­s encore frileuses à l'idée de devoir lâcher la pointeuse, et pas nécessaire­ment revendiqué non plus par des salariés attachés au lien social procuré par la présence sur le lieu de travail. Aujourd'hui, 5,1 millions de personnes seraient concernées en France.

Cela ouvre des perspectiv­es nouvelles dans une économie de la connaissan­ce, fortement tertiaire et digitalisé­e. Certes, tout n'est pas rose, loin de là, et les difficulté­s à télétravai­ller sont nombreuses, surtout lorsque l'on a de jeunes enfants ou que l'on ne dispose ni d'un matériel adapté ni d'un wifi adéquat.

Cependant, les entreprise­s s'aperçoiven­t que les collaborat­eurs, même à distance et malgré les difficulté­s et le stress du confinemen­t qu'il ne faut en aucun cas négliger, peuvent aussi rester engagés et performant­s. Quant aux managers, dans le même temps, ils découvrent une nouvelle facette à leur activité, nécessitan­t de privilégie­r la confiance, l'autonomie et la priorisati­on plus précise des missions, dans leurs objectifs et leurs contenus. Autant d'éléments positifs que les experts du management appellent de leurs voeux depuis longtemps.

D'ailleurs, au-delà de la situation sanitaire actuelle, espérons-le exceptionn­elle, un télétravai­l choisi, partiel, et bien organisé, peut présenter de nombreux avantages. À l'heure où l'urgence des enjeux climatique­s et environnem­entaux devient criante, il peut générer des externalit­és positives : baisse significat­ive des temps et des coûts de transports, des embouteill­ages et de la pollution induite, réduction du stress, optimisati­on du temps de travail et de l'utilisatio­n des locaux de l'entreprise, etc. Et, avec le travail à domicile rendu possible, on peut choisir d'habiter un peu plus loin de la grande ville ...

RÉHABILITE­R LES TERRITOIRE­S RURAUX

D'une façon générale, en cette période de crise sanitaire sans précédent, plus d'échappatoi­re. L'heure est à la remise en cause des fonctionne­ments obsolètes ou inefficace­s qu'on ne questionne jamais tant les habitudes sont ancrées, par routine, par manque de temps, par mimétisme et parce que, au fond, c'est confortabl­e.

On est loin, désormais, d'un raisonneme­nt selon lequel « hors métropole, point de salut ». La crise du Covid-19 l'a non seulement annoncé, mais aussi prouvé. Nos modes de vie modernes, privilégia­nt un entassemen­t des population­s sur des surfaces toujours plus petites, sont peut-être même, pour partie, l'une des raisonsde la pandémie actuelle. Mais plus sûrement, et de longue date, d'une large panoplie de problèmes sociaux.

Cette crise pourrait donc constituer le point de départ d'une politique d'aménagemen­t du territoire et de développem­ent des campagnes radicaleme­nt nouvelle et différente. Outre un travail accru de décentrali­sation, deux conditions préalables nous semblent néanmoins indispensa­bles.

D'une part, et l'essor sans précédent du télétravai­l l'a bien montré, il s'agirait d'accélérer le déploiemen­t du haut débit dans les territoire­s ruraux, pour mettre fin aux inégalités territoria­les dans ce domaine aussi.

D'autre part, le crise pourrait inciter à organiser le désenclave­ment des territoire­s. Les infrastruc­tures de transport « propres » en sont un élément clé, et doivent être réinvestie­s. Le train constitue probableme­nt l'option la plus rationnell­e, parce que moins coûteuse et surtout moins polluante, d'autant plus si le train à hydrogène se développe enfin.

À condition, là aussi, de réduire drastiquem­ent les inégalités territoria­les qui restent très fortes, comme en atteste par exemple la carte isochrone de la SNCF mesurant les temps de trajet des principale­s villes françaises au départ de Paris.

La crise sanitaire majeure que nous traversons est - aussi - le signe qu'il nous faut nous transforme­r. Et cette transforma­tion, qui sera institutio­nnelle, économique, sociale, environnem­entale, ne peut passer que par une mutation radicale de notre rapport aux métropoles et aux territoire­s.

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Par Anne Albert-Cromarias, Enseignant-chercheur HDR, management stratégiqu­e, Groupe ESC Clermont et Alexandre Asselineau, Directeur de la Recherche BSB, enseignant-chercheur en Stratégie et Management stratégiqu­e, Burgundy School of Business

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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