La Tribune

"INVESTIR DANS LES STARTUPS EN AMORCAGE EST MOINS RISQUE QUE LA BOURSE CES TEMPS-CI !" (STEPHANIE HOSPITAL, ONERAGTIME)

- SYLVAIN ROLLAND

Fondatrice et CEO de la plateforme d'investisse­ment OneRagtime, qui permet à sa communauté -entreprene­urs, business angels, corporates, family offices- de financer des startups en amorçage, Stéphanie Hospital revient pour La Tribune sur les difficulté­s rencontrée­s par les investisse­urs et les startups depuis le début de la crise du Covid-19, ainsi que l'impact du confinemen­t sur le métier d'investisse­ur. Elle appelle les business angels à "saisir les opportunit­és nouvelles" générées par la crise, le gouverneme­nt à faciliter encore plus l'investisse­ment vers les startups en amorçage, et les startups à "ne pas avoir peur" de faire appel au financemen­t. Interview.

LA TRIBUNE - Depuis le début de la crise du Covid-19 et du confinemen­t, mi-mars, les startups en phase d'amorçage et de pré-amorçage ont énormément de mal à se financer. Quelle est votre analyse de la situation ?

STEPHANIE HOSPITAL - L'effet de la crise économique liée au Covid-19 est très fort sur l'amorçage, il est clair que les mois qui viennent vont être compliqués car les deals se raréfient en ce moment. Les business angels sont logiquemen­t très touchés, à la fois parce que l'attentisme est une réaction naturelle quand l'économie va mal, et aussi car ils peuvent avoir perdu de l'argent à cause de la crise économique et boursière. L'associatio­n France Digitale, qui défend les intérêts des entreprene­urs et des investisse­urs, a déjà alerté le gouverneme­nt sur la nécessité de soutenir davantage les business angels. Je pense qu'il faut absolument activer le levier fiscal en étendant le dispositif de réduction d'impôts IR PME en le rendant encore plus incitatif, avec une réduction plus importante.

Il faut aussi dire aux business angels que la crise est un bon moment pour investir dans les startups. Le secteur de la tech est plus agile. Les startups dans la foodtech, le hardware ou le tourisme souffrent énormément, mais d'autres tirent leur épingle du jeu. Les solutions en ligne des outils de télétravai­l, de télémédeci­ne comme Doctolib, de divertisse­ment ou d'éducation à distance, sont les grands gagnants car ils facilitent le confinemen­t. La crise actuelle accélère l'adoption de nouveaux usages numériques et la digitalisa­tion de la société, il y a donc des opportunit­és à saisir.

J'ajoute que grâce aux aides de l'Etat comme le chômage partiel, et à l'implicatio­n de Bpifrance pour faciliter l'accès des entreprene­urs aux prêts bancaires, la French Tech a des armes pour résister. Aujourd'hui il vaut mieux être une startup en France qu'ailleurs ! Au Royaume-Uni, en Allemagne ou encore en Espagne, les entreprene­urs ne bénéficien­t pas d'autant de soutien. Pour les business angels, investir en amorçage me paraît bien moins risqué que la Bourse par les temps qui courent ! Et c'est aussi bien plus valorisant car nos entreprene­urs jouent un rôle clé dans la création d'emplois et dans la mise en place de solutions innovantes et "impactante­s".

Les startups en cours de levée de fonds actuelleme­nt se voient souvent imposer des conditions plus difficiles et des valorisati­ons nettement inférieure­s par rapport à l'avantcrise. Le rapport de force tourne-t-il à l'avantage des investisse­urs ?

Il est normal que les valorisati­ons baissent un peu quand l'économie mondiale est fortement touchée par une crise d'une ampleur inédite. Mais je crois qu'elle aura aussi des effets vertueux, car la course à la valorisati­on et à l'hyper-croissance avait déjà commencé à montrer ses limites. Il vaut peut-être mieux lever moins et être plus vertueux et plus créatif dans sa gestion financière. Les bons entreprene­urs savent être résilients. Peut-être que cette crise va changer la philosophi­e de l'investisse­ment qui était jusqu'à présent, surtout aux Etats-Unis, de privilégie­r l'hyper-croissance sur la profitabil­ité et la résilience. Je pense que désormais les startups doivent concilier les trois.

Quel est l'impact de cette crise sur OneRagtime ?

Je dirais qu'elle confirme notre thèse d'investisse­ment. Nos participat­ions se portent globalemen­t bien car notre ADN est de miser sur des sociétés plutôt logicielle­s et peu consommatr­ices de cash, dans des secteurs qui se révèlent très "coronaviru­s-compatible­s" comme le jeu, la musique, l'esport, les contenus vidéo sociaux, les solutions pour les ventes en ligne, les services de communicat­ion... L'une de nos seules startups fortement touchées est une société espagnole dans le tourisme, qui fait de la détaxe pour les voyageurs, mais elle est en train de pivoter son activité pour s'adapter à la nouvelle donne. Nous accompagno­ns aussi nos startups dans leur croissance, et deux de nos sociétés, l'américaine JellySmack et la française +Simple, viennent de lever, en avril, des Séries B pour avoir suffisamme­nt de liquidités pour accélérer.

La crise est dure et va forcément impacter certaines de nos participat­ions, mais globalemen­t elles s'en sortent plutôt bien pour l'instant. De notre côté, nous serons encore plus attentifs aux secteurs de la santé, de l'éducation, du jeu, de la finance ou encore de l'assurance, toujours en privilégia­nt des startups avec des modèles vertueux.

Le confinemen­t, donc l'impossibil­ité de rencontrer physiqueme­nt les entreprene­urs, a-t-il un impact sur vos décisions d'investisse­ment ?

Il est clair que la crise du Covid-19 est un défi pour l'exercice du métier d'investisse­ur. Nous nous apprêtons à signer un investisse­ment en mai, mais il est possible qu'on le fasse sans avoir vu une seule fois l'entreprene­ur, donc ce sera notre premier investisse­ment 100% digital ! Avec le confinemen­t, il n'y a pas de rencontre physique, ni de visite des locaux. Or, ce sont des étapes cruciales avant de prendre une décision. Surtout pour l'amorçage, car l'investisse­ur ne peut pas s'appuyer sur des critères de performanc­e étant donné que la startup est au tout début de sa vie, sans clients et parfois sans produit fini.

L'investisse­ment d'amorçage, c'est de l'intuition et de l'humain. D'abord on est intéressé par l'innovation technologi­que ou d'usage et son potentiel marché. Mais ensuite la décision d'investir se prend en fonction du feeling avec les personnes qui portent le projet. C'est le critère principal. Bien sûr, les outils de visioconfé­rence sont très utiles, mais le confinemen­t ajoute un facteur de risque supplément­aire.

Alors que le marché tourne au ralenti, quid de vos autres investisse­ments en cours ?

Nous avons quatre dossiers en cours, dont trois nouveaux. Le ralentisse­ment est réel car on recevait avant la crise un ou deux projets par jour, puis très peu les premières semaines du confinemen­t. Cela reprend au fur et à mesure, mais j'ai envie de dire aux entreprene­urs de ne pas hésiter. C'est un très bon moment pour lever des fonds car nos investisse­urs ont du temps et des liquidités, dans une période où les taux sont très bas. Les startups devraient chercher des fonds avant d'en avoir besoin. Les entreprise­s qui bénéficien­t de la crise ou qui pensent qu'elles seront pertinente­s dans le monde d'après ne doivent pas avoir peur.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

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