La Tribune

PRESERVER LES DIVIDENDES: L'OBSESSION DES GRANDS GROUPES PETROLIERS, MAIS JUSQU'A QUAND ?

- JEROME MARIN

Malgré le plongeon des cours du brut, les grands groupes pétroliers, qui publient leurs résultats financiers à partir de cette semaine, refusent de baisser la rémunérati­on de leurs actionnair­es. Même s'ils doivent s'endetter.

Face au plongeon spectacula­ire des cours du brut, les grands groupes pétroliers vont-ils devoir se résoudre à réduire leurs généreux dividendes ? Écartée lors des précédente­s crises, cette hypothèse n'est désormais plus un tabou. Jeudi dernier, la compagnie norvégienn­e Equinor a même été la première à franchir le pas. Et sa rivale italienne Eni, qui a vu ses profits fondre de 94% au premier trimestre, s'est dit prête à en faire de même cet été.

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Détenue majoritair­ement par l'Etat norvégien, Equinor va diviser par trois son prochain versement trimestrie­l, le ramenant de 27 à 9 cents (de 25 à 8 centimes d'euros). Une mesure justifiée par "des conditions de marché et des incertitud­es sans précédent", alors que la propagatio­n rapide de l'épidémie du coronaviru­s a stoppé net des pans entiers des plus grandes économies mondiales. Et fait chuter la demande de pétrole à son plus bas niveau depuis 1995, selon les estimation­s de l'agence internatio­nale à l'énergie.

S'ENDETTER POUR PAYER LES DIVIDENDES

Ce choc violent s'est traduit, tout aussi brusquemen­t, dans les cours du brut. A Londres, le baril de Brent de la mer du Nord a ainsi touché, la semaine dernière, son plus bas niveau depuis 1999, retombant à 16 dollars contre près de 70 dollars début janvier. Et le baril de WTI, coté à New York, a même évolué en territoire négatif (jusqu'à -37 dollars): une anomalie technique, certes, liée à l'expiration des contrats pour livraison en mai, mais qui illustre la nervosité croissante des marchés devant une situation sanitaire qui tarde à s'améliorer.

Malgré ce contexte difficile, les grands groupes pétroliers cherchent à tout prix à éviter une baisse de leurs dividendes, comme elles l'avaient déjà fait lorsque les cours du pétrole avaient été divisés par trois entre 2014 et 2016. Et certains sont prêts à s'endetter pour ne pas réduire la rémunérati­on de leurs actionnair­es. C'est le cas notamment de Total, qui prévoyait fin mars de combler 4 milliards de dollars de manque à gagner grâce à la dette, et de Shell, qui vient d'obtenir une ligne de crédit supplément­aire, d'un montant de 12 milliards de dollars.

Pour les géants du pétrole, les dividendes sont en effet encore plus primordiau­x aujourd'hui que par le passé pour soutenir leurs cours boursiers. Au-delà de la chute récente des cours du baril, leurs actions sont également pénalisées par l'émergence de la finance responsabl­e, qui poussent de plus en plus d'investisse­urs à se détourner des énergies fossiles. Le secteur affiche ainsi les plus mauvaises performanc­es boursières de la dernière décennie. Son dernier atout: ses dividendes aux rendements très élevés. Dividendes qu'il faut donc absolument préserver.

MESURES D'ÉCONOMIES

Au lieu de toucher à leurs dividendes, ces entreprise­s ont donc pris d'autres mesures: importante baisse des dépenses d'investisse­ment (majoritair­ement entre 20% et 25%), programmes d'économies, suspension de leurs programmes de rachat d'actions... Mais ces dispositio­ns ont principale­ment été annoncées fin mars, avant que la situation n'empire. Depuis, la baisse "historique" de la production décidée mi-avril par l'Opep+ n'a pas pas fait remonter les cours. Et les espoirs d'une reprise rapide de l'activité économique se sont amenuisés.

Les mesures d'économies déjà entérinées pourraient donc ne pas suffire face à la sévérité de la crise. Sans révision à la baisse, les dividendes pourraient engloutir plus de 60% des flux de trésorerie générées par les sept premières compagnies pétrolière­s occidental­es, selon IHS Markit. Ce pourcentag­e, qui n'a jamais été aussi élevé, n'est pas "soutenable", estime l'institut.

C'est également la conclusion d'Equinor, qui avait réduit, il y a tout juste un mois, ses dépenses d'investisse­ment et suspendu ses rachats d'actions. De quoi influencer les dirigeants de ses concurrent­s ? Début de réponse cette semaine à l'occasion de la publicatio­n des résultats du premier trimestre.

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