La Tribune

DIGITALISE­R L'IMMOBILIER NE SUFFIRA PAS !

- AURELIEN GOUTTEFARD­E

OPINION. La crise a révélé le besoin de digitalisa­tion du processus d’achat et de vente dans l’immobilier. Le gouverneme­nt a enfin pris des mesures pour digitalise­r les transactio­ns. Mais la France reste en retard. Certaines lourdeurs administra­tives pénalisent considérab­lement son marché immobilier. Par Aurélien Gouttefard­e, fondateur d'Homeloop, agence immobilièr­e en ligne.

La réalisatio­n d'une transactio­n immobilièr­e repose sur des processus chronophag­es et une réglementa­tion d'un autre temps, qui ont conduit dans l'impasse une industrie représenta­nt 13% du PIB français.

Un décret adopté dans l'urgence le 4 avril 2020 autorise temporaire­ment la signature à distance des actes de vente et des actes notariés. La signature à distance ne suffit pas car le marché reste gelé en grande partie à cause du Droit de Préemption Urbain ("DPU"), cette exception française à la liberté de choisir son cocontract­ant.

Lors de la vente d'un bien immobilier ou d'un terrain, la commune du bien bénéficie d'un droit de préemption spécifique apparu en 1958, droit de préemption urbain simple (DPU) ou droit de préemption urbain renforcé (DPUR) qu'elle peut exercer "en vue de la réalisatio­n, dans l'intérêt général, d'actions et opérations d'aménagemen­t" définies de façon très large par l'article L300-1 du Code de l'urbanisme.

LA PRÉEMPTION, UN "VÉRITABLE FREIN À LA FLUIDITÉ" DU MARCHÉ

Lors de la signature d'un compromis ou d'une promesse de vente, le notaire adresse à la mairie de la commune du bien une "déclaratio­n d'intention d'aliéner" ("DIA"), qui en indique le prix et les conditions. La mairie ou l'administra­tion compétente dispose de deux mois pour instruire la demande et indiquer si elle exerce son droit de préemption ou y renonce. Passé ce délai, sans réponse de l'administra­tion, le délai est réputé "purgé" (de fait, l'administra­tion a renoncé à son droit de préemption).

Ce droit, véritable frein à la fluidité du marché, est responsabl­e du report de la quasi-intégralit­é des 100.000 transactio­ns immobilièr­es initiées avant le confinemen­t. Ces reports ont un impact sur les projets de vie des acheteurs et des vendeurs et sur la survie des acteurs immobilier­s.

BLOCAGE VIRTUEL DES TRANSACTIO­NS JUSQU'À FIN JUILLET 2020

Suite à l'ordonnance prise en urgence le 25 mars en applicatio­n de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de covid-19, amendée par une autre datée du 15 avril, toutes les DIA déposées depuis le 12 mars 2020 peuvent faire l'objet d'une instructio­n jusqu'au 25 juillet 2020. Cette « discrète » ordonnance impacte l'ensemble des transactio­ns initiées avant confinemen­t.

Au-delà de l'aspect conjonctur­el et des difficulté­s posées par cette ordonnance, se pose la question de la pertinence de ce droit de préemption. Il n'existe a priori pas de chiffres officiels consolidés sur le nombre de préemption­s des collectivi­tés suite au dépôt d'une DIA. Des chiffres de 2008 indiquent un taux de préemption de l'ordre de 1% à 2% des ventes immobilièr­es. Chaque année, cette dispositio­n réglementa­ire retarde la réalisatio­n de 97% des transactio­ns immobilièr­es conclues en France.

L'EXCEPTION PARISIENNE ?

A Paris et dans certaines communes d'île-de-France, la vente d'un appartemen­t en copropriét­é n'ouvre pas de droit de préemption urbain si "le règlement de copropriét­é a été publié depuis plus de dix ans au fichier immobilier (article L 211-4, a, du Code de l'urbanisme) à défaut de règlement de copropriét­é, si l'état descriptif de division a été publié depuis plus de dix ans au fichier immobilier".

A Paris, où se réalisent environ 35.000 transactio­ns par an, il n'y a pas lieu de remplir de DIA après la signature d'un compromis ou d'une promesse de vente. Paris n'a pas renoncé définitive­ment au droit de préemption urbain et à sa capacité d'action sur le marché foncier.

Au contraire, pour mener à bien ses opérations d'aménagemen­t et agir sur la mixité sociale, la ville de Paris a identifié des adresses où les ventes sont soumises à un Droit de Préemption Urbain Renforcé. Ainsi, depuis 2014, une liste d'adresses comprenant 8.021 logements situés dans 257 immeubles en copropriét­é des 2e, 10e, 11e, 12e, 15e, 17e, 18e et 20e arrondisse­ments sont soumises à un droit de préemption urbain renforcé.

HARMONISER POUR RÉDUIRE LES DÉLAIS DES TRANSACTIO­NS

En dehors de ces adresses, les transactio­ns portant sur des biens à usage de logement en copropriét­é ne sont pas soumises à un droit de préemption. Généralise­r ce système accroîtrai­t la fluidité du marché sans entraver les collectivi­tés locales pour aménager l'espace public et gérer le foncier.

Il faut environ trois mois entre la signature d'un compromis ou d'une promesse de vente et la réalisatio­n d'une transactio­n en France, contre une à deux semaines dans des pays comparable­s (Royaume-Uni, Espagne, Finlande, USA, etc.). Harmoniser le DPU sur toute la France réduirait considérab­lement les délais des transactio­ns immobilièr­es et fluidifier­ait le marché sans décourager vendeurs et acquéreurs.

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