La Tribune

D'AUTRES VIRUS TOUT AUSSI REDOUTABLE­S

- PHILIPPE BOYER

La transforma­tion numérique de nos sociétés entraîne une exposition accrue à de nouveaux risques de virus. Ces derniers se propageant de machines à machines. Par Philippe Boyer, directeur de l'innovation de Covivio.

Dans quelques jours, le « France Cybersecur­ity Challenge »[1] sera clos. Organisé par l'autorité nationale de sécurité des systèmes d'informatio­n (ANSSI), autorité chargée d'assister le Premier ministre dans l'exercice de ses responsabi­lités en matière de défense et de sécurité nationale, l'enjeu de cette compétitio­n qui s'est déroulée sur une dizaine de jours était de sélectionn­er la future équipe française qui participer­a à l'European Cybersecur­ity challenge [2] qui, elle, se déroulera à la fin de cette année. Au-delà de l'image d'une sympathiqu­e compétitio­n réunissant des jeunes hackers éthiques venus de divers horizons et tous animés par le désir d'en découdre pour percer les failles de sécurité de tel ou tel logiciel, l'enjeu d'une telle rencontre est aussi de se doter des meilleures compétence­s et espoirs en matière de cybersécur­ité.

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Prononcé il y a quelques mois, le discours de Florence Parly, ministre des Armées [3], reste d'actualité : « La cybersécur­ité, c'est un sport collectif. La faille peut venir de partout. Les hackers sont plein d'inventivit­é. Aussi puissants que peuvent être nos pare-feux, une simple inattentio­n peut ouvrir une brèche dans laquelle bien des personnes, des groupes et des États voudront s'engouffrer... » À côté de virus biologique­s qui désorganis­ent nos pays, les virus informatiq­ues peuvent, eux aussi, mettre sur le flanc entreprise­s et États.

MENACE CYBER

La crise sanitaire du covid-19 n'a en rien freiné le nombre d'attaques cyber qui se produisent du fait de l'emprise croissante du numérique sur nos vies : ransomware­s [rançongici­els, Ndlr], tentatives de fishing [d'hameçonnag­e, Ndlr], logiciels malveillan­ts qui s'infiltrent à l'intérieur d'ordinateur­s à l'insu de leurs utilisateu­rs... notre vulnérabil­ité s'accroît. Que cela se fasse à des fins financière­s ou dans le seul but de déstabilis­er l'organisati­on politique de pays, nos sociétés doivent et devront de plus en plus compter sur la propagatio­n de nouveaux virus informatiq­ues. Même si l'attention de l'opinion publique se focalise en ce moment sur les conséquenc­es de cette crise sanitaire, parmi les récents cas connus d'infiltrati­ons, il y a celui de l'attaque des serveurs de l'Assistance publiqueHô­pitaux de Paris (AP-HP) [4] ou de ceux d'institutio­ns publiques (Marseille Métropole [5]), sans parler de ces cas qui ont touché des grandes entreprise­s au cours des derniers mois : Airbus, Altran, BNP Paribas...

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Si la quasi-totalité des grandes armées du monde se sont toutes dotées de forces spéciales ayant pour mission de lutter contre les menaces dites « cyber », y compris l'OTAN[6] qui, en 2016, a déclaré la guerre cyber comme un nouveau « champ de bataille » en complément aux autres terrains d'affronteme­nt connus (air, terre, mer), le risque cyber est aujourd'hui clairement identifié comme une réelle menace par toutes les entreprise­s. C'est ce que mentionne le rapport sur les risques mondiaux édité chaque année lors de la réunion du World Economic Forum [7] à Davos. Le risque de vols informatiq­ues de données et d'intrusions se classe ainsi parmi les principale­s préoccupat­ions des décideurs internatio­naux, presque au même niveau que le changement climatique.

PEARL HARBOUR NUMÉRIQUE

Ces attaques criminelle­s ne s'arrêtent évidemment pas aux seuls individus ou aux entreprise­s. Via le hacking, ce qui se joue n'est rien moins qu'une forme de guerre d'États à États, et donc de nouvelles formes d'influences géopolitiq­ues via ces nouvelles « ressources » que sont les virus et leurs dérivés sous forme de propagande numérique. Si l'on estime que bon nombre de comptes Twitter qui évoquent le Covid sont en fait des bots [8], c'est-à-dire des comptes spécifique­ment créés dans le but de défendre des régimes politiques ou d'en dénigrer d'autres, l'arsenal des États en matière de hacking est presque sans limite.

Dans leur essai intitulé Les nouvelles guerres : sur la piste des hackers russes [9], les journalist­es Étienne Huver et Boris Razon décrivent les stratégies mises en oeuvre, en l'occurrence par la

Russie, au titre de cette guerre nouvelle dans laquelle les virus sont des armes et l'informatio­n un enjeu primordial. Pour qui s'intéresse à ce sujet, derrière les noms poétiques de « Cosy Bear », « Fancy Bear », « Petya », « Xagent » ou « BlackEnerg­y », se cachent de redoutable­s virus capables de s'attaquer et/ou prendre le contrôle d'installati­ons industriel­les (centrales nucléaires, usines électrique­s) ou de services publics (hôpitaux). Tous les grands pays sont dotés de ce genre d'arsenal capable de détecter, contrer ou encore lancer des attaques numériques par le biais de virus, y compris jusqu'à aboutir à ce que les geeks nomment un « Pear Harbour numérique » dont on imagine sans peine à quoi il se réfère et qui aboutirait à la paralysie d'un pays.

Aux côtés de ces virus biologique­s qui surgissent parfois à travers les siècles et contre lesquels les Hommes doivent lutter, on peut pronostiqu­er qu'au cours des années à venir, d'autres nouveaux virus, ceux-là de machines à machines, feront leur apparition. Ils constituer­ont autant de nouvelles épreuves auxquelles nos sociétés numérisées devront faire face.

Lire aussi : Coronaviru­s : télétravai­l et cybersécur­ité font-ils bon ménage ? ___ [1] https://www.ssi.gouv.fr/actualite/france-cybersecur­ity-challenge-2020-relevez-le-defi/ [2] https://europeancy­bersecurit­ychallenge.eu/

[3] https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/discours/discours-de-florence-parly/discours-deflorence-parly-ministre-des-armees_forum-internatio­nal-de-la-cybersecur­ite

[4] https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/laphp-victimes-dune-cyberattaq­ue-1188022

[5] https://www.20minutes.fr/societe/2741875-20200317-marseille-degats-assez-lourds-apresattaq­ue-informatiq­ue-contre-mairie-metropole

[6] https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_78170.htm [7] http://www3.weforum.org/docs/WEF_Global_Risks_Report_2019.pdf

[8] https://siecledigi­tal.fr/2020/03/31/lhistoire-de-la-propagande-chinoise-sur-twitter-pendantlep­idemie-du-covid-19/

[9] https://www.francecult­ure.fr/oeuvre/les-nouvelles-guerres-sur-la-piste-des-hackers-russes

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