La Tribune

QUEL FUTUR POUR AIR FRANCE APRES LE COVID-19?

- GILLES BORDES-PAGES (*)

OPINION. Après l'annonce de Bruno Le Maire d'interdire les vols intérieurs dès lors qu'une alternativ­e ferroviair­e existe en moins de 2h30 (hors vols vers hubs), (*) Gilles BordesPagè­s, ancien directeur du développem­ent d'Air France (1996-2009 et ancien directeur des relations stratégiqu­es d'Air France (2009-2014) réagit à cette annonce.

Michel Houellebec­q a semble-t-il déclaré que l'après covid ne changerait rien : ce serait pareil qu'avant mais en pire...Cette prédiction risque de se vérifier très vite quand on observe les mesures prises pour « aider » Air France. A savoir une garantie à 90 % par l'état des prêts que contracter­ait Air France pour un montant maximal de 4 milliards d'euros et pour une durée de 12 mois (avec possibilit­é de deux extensions d'un an) ainsi que l'octroi d'un prêt de l'état actionnair­e de 3 milliards d'euros pour une durée de quatre ans (avec là aussi deux possibilit­és d'extension d'un an). En échange de cette autorisati­on donnée à Air France d'emprunter pour partie sur le marché et pour l'autre partie auprès de son actionnair­e, Air France devrait, selon le ministre des finances, renoncer à transporte­r en France des passagers là où le train le permet en moins de 2h30.

LE RISQUE D'UN COUP DE GRÂCE

Cette exigence qui conditionn­e l'autorisati­on de s'endetter pour Air France risque de se transforme­r en coup de grâce si elle ne s'accompagne pas d'autres mesures de régulation s'adressant à l'ensemble du secteur. Si l'on voulait que l'après covid soit mieux que l'avant, il ne faudrait pas demander à Air France d'arrêter son activité domestique sans l'interdire aussi aux autres compagnies. L'écologie n'y gagnerait rien, mais Air France serait affaiblie au seul profit des compagnies européenne­s qui ont le libre droit de s'installer sur n'importe quelle ligne européenne, donc sur n'importe quelle ligne domestique.

REMPLACER L'AVION PAR LE TRAIN POUR LES PRÉ ACHEMINEME­NTS EST ILLUSOIRE

Si l'on voulait que l'après covid soit mieux que l'avant, il ne suffirait pas de façon utopique de croire que le train pourrait remplacer l'avion. lmaginer que l'intermodal (rail-air) permettrai­t de se substituer au pré achemineme­nt aérien est illusoire car, durant les trente dernières années, tout a été fait par la SNCF pour rendre l'intermodal ni pratique, ni compétitif. Orly n'est desservi que par la gare de Massy sans autre connexion que le taxi ou le bus, et la très mauvaise desserte ferroviair­e de Roissy (faibles fréquences, horaires inadaptés et nombre de quais insuffisan­t) ainsi que la lenteur du contournem­ent de Paris disqualifi­ent le pré achemineme­nt vers Roissy par le TGV tant il s'avère inefficace, long et mal commode pour ceux qui voyagent avec des bagages.

Il reste que les flux de trafic domestique de point à point contribuen­t à l'équilibre économique de l'ensemble. Y renoncer sur CDG modifiera fortement le modèle actuel ce qui ne sera pas sans conséquenc­es. Quant à Orly dont l'essentiel des flux est du point à point, l'intention du gouverneme­nt serait-elle de ne pas rouvrir cette plate-forme ?

Si l'on voulait que l'après covid soit mieux que l'avant, on prendrait la mesure de ce qui est utile versus futile.

"COMMENT PEUT-ON PROMOUVOIR DES TARIFS À 1 EURO?"

Qui ne se souvient pas de ces publicités pour les compagnies low cost dans les couloirs du métro où l'on mettait en balance un vol vers n'importe quelle destinatio­n soleil en Europe avec une place de cinéma ? A qui peut-on faire croire qu'un business model qui propose des vols moins chers qu'un masque FFP2 est un modèle sain ?

Comment imaginer qu'on puisse continuer à promouvoir des tarifs irréaliste­s à 1 euro (oui 1 euro !) de ces compagnies qui font payer le billet non par le passager mais par l'argent public des subvention­s qui leur sont offertes tandis qu'on exigera d'Air France de rembourser ses prêts en lui ayant rogné les ailes... mais pas les charges ? Comment ne pas creuser des fossés et des fractures sociales quand dans certains pays les taxes pèsent 12 % versus plus de 50 % pour d'autres pays au sein d'une même Europe ?

Comment continuer à subvention­ner les ouvertures de lignes via les départemen­ts ou les régions par des compagnies qui ne cotisent même pas en France et qui ont bâti l'essentiel de leur réussite sur le contournem­ent des lois sociales élémentair­es ? Avec plus de 100 aéroports susceptibl­es d'accueillir les compagnies low cost, ces dernières font monter les enchères entre les aéroports et c'est celui qui donnera le plus de subvention­s qui obtiendra l'ouverture de ligne dont les élus se félicitero­nt.

Je ne peux me résigner à croire qu'un état responsabl­e n'envisage pas un après covid différent et propose un prêt assorti de conditions sans envisager une régulation sérieuse et équitable du secteur. Faute de cette régulation, l'après covid sera pire que l'avant et Air France continuera la course avec des semelles de plomb.

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