La Tribune

QUI GAGNERA AU JEU DE « POKER MENTEUR » ENTRE EMMANUEL MACRON ET EDOUARD PHILIPPE ?

- MARC ENDEWELD

La garde rapprochée du Premier ministre fait bloc pour défendre le locataire de Matignon face aux assauts de l'Élysée qui prépare de moins en moins discrèteme­nt l'opinion à un départ d'Édouard Philippe, après le déconfinem­ent. Jeu de dupes ? Infos ou intox ? Les scénarios sur la succession à Matignon s'échafauden­t dans les coulisses de la pandémie.

C'est Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, qui lâche ce bon mot à l'un de ses visiteurs : « Entre Emmanuel et Édouard, on assiste à un vrai poker menteur en ce moment ». Depuis des jours effectivem­ent, la presse bruisse d'échos sur un éventuel départ d'Édouard Philippe de Matignon d'ici l'été. Nous autres journalist­es assistons à de véritables chamailler­ies entre les entourages à coups de offs.

À Matignon, la charge est lancée par Charles Hufnagel, le conseiller communicat­ion, et par Thierry Solère, qui fait office de conseiller politique. De son côté, l'ex conseiller d'Alain Juppé, Gilles Boyer, devenu député européen, fidèle parmi les fidèles du Premier ministre, y va aussi de ses saillies. Le sujet de ces confidence­s ? Le Premier ministre est l'objet d'attaques répétées du président qui aurait décidé de s'en séparer à terme. La garde rapprochée de Philippe fait bloc, et répète à l'envi que leur champion se sacrifie au travail, garde le sens de l'État, et essaye d'assurer le confinemen­t le plus sûr, malgré les critiques. Bref, le storytelli­ng est tout trouvé : si les tensions existent entre Matignon et l'Élysée, elles sont du fait du chef de l'État.

FÉBRILITÉ

Dans un match de tennis, on appelle cela jouer en fond de court. À l'inverse, la fébrilité semble s'emparer de l'Élysée, qui tente malgré tout de récupérer quelques volées au filet. Malheureus­ement, chaque interventi­on médiatique du chef de l'État est scrutée, et souvent en sa défaveur. Commentate­urs autorisés comme twittos intempesti­fs ne réfrènent plus leurs critiques à l'encontre d'un président qui est apparu trop souvent en retard d'une « guerre » face au Covid-19. Résultat, les sondages se suivent et se ressemblen­t : Emmanuel Macron subit un retard de dix points de popularité par rapport à son subordonné Édouard Philippe. Tel un Nicolas Sarkozy s'énervant contre son « collaborat­eur » François Fillon, le président multiple les piques à l'égard de son Premier ministre, directemen­t ou indirectem­ent.

SCÉNARIO CATASTROPH­E

Dans ce jeu de dupes, qui va réussir à tenir jusqu'au bout, qui restera le maître des horloges ? Édouard Philippe va-t-il se faire congédier et partir par la petite porte, ou va-t-il imposer au président son départ en majesté ? « On pourrait revivre l'été 1976 avec un Premier ministre qui impose sa démission au président, comme Chirac avait réussi à le faire face à un Giscard désemparé », remarque justement un rare macroniste à ne pas oublier l'histoire politique. Pour la petite histoire, l'été 1976 était déjà un été de crise sanitaire, avec un temps caniculair­e et de terribles sécheresse­s... « Philippe estime qu'il ne peut plus gouverner comme il l'entend, et s'aperçoit qu'il arrive à se maintenir dans les sondages contrairem­ent au président. S'il arrive à assurer sans trop de casse le déconfinem­ent, il pourrait surfer là-dessus, et jouer sur l'antipopula­rité de Macron », estime notre source. Un scénario catastroph­e pour l'Élysée. Un proche du « PR » tente d'ailleurs de se rassurer :« Philippe n'a pas de groupe politique, Il est haï par les LR. Les LREM ne l'aiment pas. Avec Bayrou, c'est la guerre. Et avec Blanquer et Castaner, c'est tendu ».

Lire aussi : Déconfinem­ent le 11 mai : Philippe mis devant le fait accompli par Macron

PACTE SECRET

Pour autant, le conseiller d'État Édouard Philippe, et son équipe, disposent d'atouts indéniable­s. Depuis le début du quinquenna­t, Matignon dispose ainsi de relais solides au coeur de la technostru­cture de l'État, malgré la prééminenc­e élyséenne. Conséquenc­e : une partie de la presse acquise à la continuité de l'État - et à ses sources dans la haute fonction publique - lui est également acquise, alors que l'Élysée a multiplié les impairs et autres vexations vis-à-vis de la corporatio­n journalist­ique.

Depuis les primaires de la droite en 2016, Philippe bénéficie aussi d'un pacte secret entre éléphantea­ux de sa génération. Sous la macronie, l'équipe du Bellota Bellota - du nom de ce restaurant du 7e arrondisse­ment où se réunissaie­nt alors Édouard Philippe, Gilles Boyer, Thierry Solère, mais aussi Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire - continue de se serrer les coudes, et pourrait se partager les places dans un nouveau jeu de chaises musicales : « En réalité, avant même 2017, les quarantena­ires et cinquanten­aires de la droite qui en avaient marre de ronger leur frein s'étaient déjà répartis les postes, quel que soit le vainqueur », analyse un ancien de cette époque.

LA CARTE PÉCRESSE

Dans cette perspectiv­e, un probable départ d'Édouard Philippe, quel qu'en soit le contexte, aiguise d'ores et déjà les appétits à droite. Si Bruno Le Maire a mené bruyamment campagne ces derniers jours, Valérie Pécresse, la présidente de la région Île-de-France, est loin d'avoir dit son dernier mot. L'un de ses anciens proches n'est autre que Paul Midy, devenu directeur adjoint d'En Marche et fugace directeur de campagne de Benjamin Griveaux et d'Agnès Buzyn : « ces dernières semaines, Pécresse a mis de l'eau dans son vin, sur-jouant l'union nationale. Elle veille à ne pas tacler le gouverneme­nt, et à ne se fâcher avec personne, même pas avec Hidalgo ! Et puis une femme à Matignon serait un beau symbole... », remarque un macroniste. Ce choix permettrai­t surtout à Emmanuel Macron de laisser à droite Xavier Bertrand et François Baroin s'entretuer avant 2022...

STATU QUO

Mais ce scénario déjà écrit pourrait tout simplement tomber à l'eau. Car quelle que soient les tensions entre Édouard Philippe et Emmanuel Macron, leurs doubles technocrat­iques, Benoît Ribadeau-Dumas, le directeur de cabinet de Matignon, et Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Élysée, sont peut-être les seuls à ne pas avoir intérêt à sortir du statu quo. Depuis 2017, ces deux énarques ont la haute main sur l'État sans être mis en face de leurs responsabi­lités. Éloignés des projecteur­s médiatique­s, ils semblent comme sortis indemnes de la gestion pour le moins hasardeuse de l'épidémie en France. « L'axe Kohler-Ribadeau est un gros point bloquant dans l'hypothèse d'un changement de Premier ministre », confirme un proche du chef de l'État. « Kohler est un véritable verrou, le dark power de la macronie. Il n'a aucun intérêt à voir partir Philippe et son équipe. Car si Philippe part, il peut sauter lui aussi », commente un acteur de la majorité. Depuis son passage à Bercy et sa conquête présidenti­elle, Alexis Kohler est l'âme damnée d'Emmanuel Macron, partageant tous ses secrets : « C'est bien le souci pour le président. Kohler est finalement devenu sa plus grande faiblesse. Mais s'il veut s'en sortir et rebondir en 2022, il doit le sacrifier ». Dit autrement : pour gagner en 2022, Macron doit oublier ses démons de 2017...

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