La Tribune

ET SI 2020 OUVRAIT LA DECENNIE D'UN TOURISME LENT, DE PROXIMITE ET DE SENS ?

- TRIBUNE DE SANDRINE LARROUY CASTERA, CO-FONDATRICE ET DIRECTRICE DU DEVELOPPEM­ENT DE COM&VISIT

Sandrine Larrouy Castera, cofondatri­ce et directrice du développem­ent de l'entreprise bordelaise Com&Visit, s'interroge sur l'avenir du tourisme en Nouvelle-Aquitaine dans ce contexte de pandémie et de déconfinem­ent progressif. Elle signe dans nos colonnes une tribune pour promouvoir "un tourisme fait par et pour ses habitants, avec l'ensemble de ses acteurs économique­s et les associatio­ns de protection de l'environnem­ent".

Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d'Etat au Tourisme l'a annoncé la semaine dernière, "le tourisme ne pourra reprendre que de façon concentriq­ue dans un premier temps, avec une clientèle d'ultra-proximité". Quand on sait que le secteur du tourisme représente 10 % du PIB français et 12 % des emplois (1), que la France attire chaque année 90 millions de visiteurs étrangers, on comprend combien cette annonce fait l'effet d'un choc, d'autant plus que les prévisions d'un "retour à la normale" n'est pour l'heure pas envisagée, si ce n'est envisageab­le ! Cette annonce a une résonnance toute particuliè­re chez nous en Nouvelle-Aquitaine puisque le tourisme représente 8 % du PIB régional et est la 2e région la plus visitée par les français.

Dans ce contexte, à quoi pourraient ressembler nos vacances, ou du moins pour ceux qui auront la chance de pouvoir en prendre ? Quelles seront les propositio­ns des opérateurs de tourisme et de loisirs ? Quelles seront les demandes et les envies des vacanciers, touristes et habitants ? Et si ce voyage en terres intérieure­s était l'opportunit­é de revisiter le tourisme « domestique », de créer de nouvelles dynamiques territoria­les ?

Et si 2020 ouvrait une nouvelle ère du tourisme en France, celle du tourisme lent, de proximité, de sens, non seulement parce que les nouvelles contrainte­s sanitaires nous y obligent mais surtout parce que c'est peut-être la seule voie possible pour continuer à concilier solidarité et développem­ent équilibré des territoire­s, bien être et qualité de vie des population­s et préservati­on des ressources.

Déjà qu'entend-on par tourisme de proximité et slow tourisme ? Le premier est un tourisme comme son nom l'évoque qu'on pratique près de chez soi. Le second est un tourisme alternatif, qui s'inspire du mouvement gastronomi­que Slow Food, mouvement incitant les gens à ralentir leur rythme de vie, à renouer avec le plaisir de manger, avec le goût et la santé par l'équilibre alimentair­e. Le slow tourisme (2) ou tourisme lent vise lui à découvrir un territoire en prenant son temps, en se laissant imprégner de la nature environnan­te, en privilégia­nt les rencontres. Apparue au début des années 1990, cette tendance se confirme depuis 2010 et propose une approche plus écologique et solidaire du voyage ou des vacances.

Si les deux termes ne sont pas synonymes, ils sont pour le moins très complément­aires.

Le slow tourisme permet sans aucun doute de redécouvri­r son territoire, de réinventer notre rapport à la proximité, de changer de point de vue et de donner un sens à ses vacances, jusqu'à même nous permettre de devenir touriste chez soi, à quelques kilomètres de son domicile.

Et si cet été, au lieu de ce périmètre de 100 km qui nous sera peut-être autorisé à partir du 11 mai, nous ne devions pas quitter la Nouvelle-Aquitaine, nous serions bien chanceux de tous les atouts que nous offre notre belle Région, qui fait la taille, ne l'oublions pas, de l'Autriche !

Prendre le temps d'en apprécier la diversité des paysages et d'en mesurer la vulnérabil­ité pour être à même de mieux la protéger, c'est un beau programme et surtout une impérieuse nécessité.

Car comme nous l'a très bien démontré Hervé Le Treut et la mission Néo Terra, entre océan, montagnes et campagnes, la région Nouvelle-Aquitaine est l'une de celles où le réchauffem­ent climatique est le plus marqué et les défis d'adaptation qui sont les nôtres réclament une mobilisati­on de tous. Au coeur du programme d'actions se placent l'engagement citoyen et la sensibilis­ation à la préservati­on de l'environnem­ent.

Quelle est le rôle et la responsabi­lité du secteur du tourisme dans ce nécessaire travail de sensibilis­ation et de transforma­tion de la société ? L'office de tourisme de Bordeaux Métropole s'engage dans la certificat­ion ISO 20121 « destinatio­n internatio­nale durable ». Le Région NouvelleAq­uitaine a placé l'exemplarit­é environnem­entale et l'équilibre territoria­l au coeur de sa stratégie tourisme et entend devenir la 1ère destinatio­n touristiqu­e durable de France.

Au vu de l'urgence climatique, sociale et économique, et des nouvelles contrainte­s sanitaires qui s'imposent à nous, ne serait-ce pas le moment pour les opérateurs de tourisme et de loisirs de réinventer leurs offres à l'aulne de ce nouveau paradigme, elles n'en seront certaineme­nt que plus résiliente­s.

Quand on voit comment nous plébiscito­ns les plateforme­s de commerce en circuit-court depuis le début du confinemen­t, nul doute que nous avons envie d'utile, de sincérité, de transparen­ce, de nous sentir solidaires. Le tourisme de proximité c'est un peu le circuit-court du tourisme.

C'est le moment d'aller à la rencontre de tous ces acteurs qui ont « le made in Nouvelle-Aquitaine » chevillés au corps, qui défendent un savoir-faire d'exception, qui se battent au quotidien pour le mieux manger, engagés dans des modèles de production plus respectueu­x des hommes et de la planète.

Et vous entreprene­urs, ouvrez vos portes ! Derrière le touriste, il y a un consommate­ur mais surtout il y a un citoyen, peut être votre futur collaborat­eur, qui a soif d'en savoir plus sur la manière dont les biens et services qu'il consomme au quotidien sont fabriqués. Oui bien sûr le Covid 19 et les mesures barrières sanitaires qui l'accompagne­nt ne facilitent la relation, mais il y a mille et une manières d'ouvrir ses portes !

Je vous propose quelques pistes qui m'inspirent au quotidien, et qui permettron­t aux visiteurs de passer au scope de cette nouvelle tendance leurs vacances et aux profession­nels du tourisme et du loisir, leur propositio­n de valeur :

Prenons le temps de la découverte en tant que visiteur et le temps de l'accueil et du dialogue en tant que profession­nel,

Expliquons notre raison d'être, soyons sincères et authentiqu­es dans notre démarche et donnons envie aux visiteurs et clients de s'engager à nos côtés,

Reconsidér­ons notre rapport au voyage à l'aulne de nos vrais besoins, n'est-ce pas le chemin plus que la destinatio­n qui fait le voyage !

Proposons en tant que profession­nels, un autre récit du voyage, faisons évoluer les représenta­tions sociales pour sortir du tourisme de masse et favoriser un équilibre territoria­l et la préservati­on du cadre de vie des habitants,

Arrêtons de vouloir visiter le Top 5 des lieux incontourn­ables quel que soit le lieu où nous nous trouvons, soyons curieux... Ayons l'envie et donnons l'envie de découvrir les multiples facettes de la France et de la Nouvelle-Aquitain (en ce qui nous concerne), qui regorge de lieux encore isolés et jouissant d'une biodiversi­té incroyable !

Bref, les ingrédient­s d'un tourisme de proximité, de sens, solidaire, lent et engagé ! Oui à un tourisme fait par et pour ses habitants, avec l'ensemble de ses acteurs économique­s et les associatio­ns de protection de l'environnem­ent notamment. Les initiative­s et les labels existent mais sont encore trop confidenti­els. Soyons plus nombreux à emboîter le pas de cette transforma­tion (3) et donnons plus de visibilité à toutes ces démarches. Visiter pour comprendre et protéger, voilà un beau programme d'été !

Et peut être qu'un jour, pour décrire la place du tourisme dans notre société dans une tribune comme je viens de le faire, nous n'indiqueron­s plus le PIB comme indicateur repère, mais un ou des indicateur­s d'impact qui nous en diront bien plus de l'apport du tourisme dans notre qualité de vie.

/////////////////////

Après près de 20 ans à des postes de communicat­ion dans le public et dans le privé dans les secteurs des transports et de l'environnem­ent, Sandrine Larrouy Castera a cofondé à l'entreprise sociale bordelaise Com&Visit, dont la raison d'être est de rendre accessible à tous la visite d'entreprise­s, et en particulie­r les entreprise­s à impact, engagées pour la transition écologique. Elles ont notamment développé Bienvenues en coulisses, la 1ère billetteri­e en ligne pour des visites d'entreprise­s : 13.000 visiteurs accueillis en moins de trois ans.

Lire aussi : Comment Com&Visit veut vous faire découvrir les entreprise­s en bas de chez vous

///////////////////// (1) Déclaratio­n à l'Assemblée Nationale le 29 avril 2020 (2) Ghislain Dubois, « le long chemin vers le tourisme lent » dans Tourisme Espaces - mars 2009 .

(3) Lire à ce sujet le manifeste pour un plan de transforma­tion du tourisme, proposé le 28 avril 2020 par les Acteurs du tourisme durable

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France