La Tribune

"ON NE VA PAS POUVOIR EVITER UNE EXPLOSION DES FAILLITES": LES BANQUES EUROPEENNE­S SE PREPARENT AU CHOC

- CAROLE GUIRADO, AFP

Les banques européenne­s ont toutes mis de côté des réserves de capital supplément­aires afin de parer aux éventuels défauts de paiement de leurs clients. Mais toutes les banques ne mettront pas en oeuvre les mêmes parades, chaque établissem­ent a choisi son scénario avec des hypothèses différente­s pour évaluer le niveau du coût du risque.

Des provisions en masse et des prévisions peu optimistes: les banques européenne­s ont subi au premier trimestre les premières secousses de la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19, dont l'essentiel du choc reste encore à venir.

"Il va y avoir de la casse, mais on ne sait pas exactement quand", résume auprès de l'AFP Lorraine Quoirez, analyste chez UBS, interrogée sur les premières conséquenc­es bancaires du confinemen­t qui a freiné les échanges économique­s et fait plonger les marchés.

La plus visible sur le premier trimestre: les banques européenne­s ont toutes mis de côté des réserves de capital supplément­aires en vue de parer aux éventuels défauts de paiements de leurs clients.

Ce "coût du risque" a ainsi flambé entre janvier et mars, amputant lourdement leurs bénéfices voire entraînant des pertes à l'image de celles de la banque italienne Unicredit, plombée par 1,2 milliard d'euros de provisions.

Pour évaluer le niveau du coût du risque, chaque établissem­ent "a choisi son scénario avec des hypothèses différente­s", fondées sur de nombreux facteurs tels que les estimation­s de produit net bancaire et l'évolution des prix du pétrole, explique Mme Quoirez.

Jusqu'ici les provisions réalisées sont essentiell­ement "collective­s" c'est-à-dire qu'elles concernent une certaine catégorie d'entreprise­s, par exemple les PME, ou des secteurs considérés comme sensibles, poursuit l'analyste.

Les montants annoncés ou prévus par certaines banques sont vertigineu­x: la britanniqu­e Barclays a mis de côté 2,1 milliards de livres (environ 2,4 milliards d'euros), selon ses projection­s d'impact de la pandémie de Covid-19.

L'espagnole Santander, première banque de la zone euro par sa valeur de marché, a provisionn­é 1,6 milliard d'euros tandis que la française Société Générale, en perte trimestrie­lle pour la première fois depuis 2012, prévoit cette année des provisions de 3,5 milliards d'euros selon "le scénario de base Covid" à environ 5 milliards en cas d'"arrêt prolongé".

EXPLOSION DES DÉFAILLANC­ES EN VUE

"Une explosion des taux de défaut sur les prêts" est à prévoir, avertit Eric Dor, directeur de recherche à l'Institut d'économie scientifiq­ue et de gestion (IESEG).

"Partout on essaie de contenir au maximum les dégâts, mais on ne va pas pouvoir éviter tôt ou tard une explosion des faillites".

Certaines banques sont-elles plus exposées que d'autres ? "C'est presque du cas par cas", affirme l'économiste. Selon lui, dans l'ensemble, les banques orientées sur la banque de détail et les services bancaires aux entreprise­s sont plus exposées.

Les banques de détail qui souffraien­t déjà des taux d'intérêt négatifs, rognant sur leurs marges, voient désormais s'écarter '"toute perspectiv­e de normalisat­ion" de ce côté-là, tout en devant assumer la poussée du coût du risque.

Les services bancaires aux entreprise­s déjà "laminés" par la rupture des filières d'approvisio­nnement "risquent de l'être encore assez longtemps car la reprise va être lente, la chronologi­e étant différente selon les pays", développe M. Dor.

LA RENTABILIT­É, TALON D'ACHILLE DES BANQUES EUROPÉENNE­S

Une certitude: "La faible rentabilit­é des banques européenne­s par rapport aux grandes banques américaine­s les rend plus fragiles, c'est leur grand problème", conclut-il.

Les agences de notation relèvent également ce désavantag­e mais soulignent toutefois la solidité des banques.

Les abaissemen­ts de notation ont été moindres dans la banque que dans d'autres secteurs, mentionne S&P Global Ratings dans une note.

Les banques, à l'origine de la crise financière de 2008-2009, jouent cette fois le rôle d'amortisseu­r en continuant de financer les entreprise­s et de soutenir les ménages en difficulté.

Pour y parvenir elles bénéficien­t d'un apport de liquidités massif de la part des banques centrales et du soutien des régulateur­s qui ont temporaire­ment allégé leurs exigences.

LES EXIGENCES DE FONDS PROPRES VONT MAINTENANT S'AVÉRER TRÈS FONDÉES

La solidité actuelle des banques résulte aussi du renforceme­nt de leurs capitaux intervenu depuis plus de dix ans.

Selon la Banque des règlements internatio­naux, sorte de banque centrale des banques centrales, entre fin juin 2011 et fin juin 2019, les 100 plus grandes banques ont augmenté de 98% leurs fonds propres de première catégorie, soit d'environ 1.900 milliards d'euros.

"Tous ceux qui se plaignaien­t dans le secteur (bancaire) des exigences de fonds propres doivent bien admettre maintenant qu'elles étaient fondées" car ces coussins de capitaux "peuvent justement servir au moment où il faut affronter les difficulté­s", pointe Eric Dor.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France