La Tribune

DIPLOMES EN INFORMATIQ­UE, PSYCHOLOGI­E... CES FUTURS CRACKS DE LA CYBERDEFEN­SE FRANCAISE

- MICHEL CABIROL

Le Commandeme­nt de la cyberdéfen­se offre "la possibilit­é de faire des choses qui ne sont possibles nulle part ailleurs, sauf de manière illégale et répréhensi­ble". Engagez-vous...

Là où on pouvait penser qu'il n'y avait que des geeks ou des cracks de l'informatiq­ue dans les rangs secrets de la nouvelle armée de cyberdéfen­se, on se trompait vraiment lourdement... Car pour le général de division aérienne Didier Tisseyre, commandant de la cyberdéfen­se (ComCyber), la meilleure équipe de cybercomba­ttants est "une équipe mixte, polyvalent­e, bien évidemment féminisée". Les équipes sont donc composées de Bac + 5 et de technicien­s en informatiq­ue mais aussi "de personnes ayant un esprit très analytique, géopolitiq­ue pour comprendre ce cyberespac­e. Ce sont également des psychologu­es, des sociologue­s pour comprendre cette couche cognitive", dont les réseaux sociaux, a expliqué le patron du ComCyber lors de son audition à l'Assemblée nationale début mars.

Il est évident que le général Didier Tisseyre aimerait embaucher plus de Bac + 5 en informatiq­ue dans ses rangs mais "sur le plan purement financier nous ne pouvons pas nous aligner sur les salaires que proposent des entreprise­s privées", souligne-t-il. D'autant, précise-t-il, qu'aujourd'hui, "il n'y a pas suffisamme­nt de bac +5 spécialist­es de cyberdéfen­se". Et d'affirmer que "nous devons relever le défi des ressources humaines" : le recrutemen­t, la fidélisati­on et les spécificit­és de la formation des cybercomba­ttants.

COMMENT ATTIRER LES JEUNES TALENTS DANS L'ARMÉE ?

L'armée peut être un beau tremplin pour les jeunes diplômés à condition d'aimer bien sûr l'adrénaline même s'il est fort probable qu'ils ne sentent jamais le sable chaud des légionnair­es... A condition également de ne pas être non plus pressé de gagner de très hauts salaires. Qu'est-ce qui pourrait alors les séduire ? "Dans un cadre légal strict, nous offrons la possibilit­é de faire des choses qui ne sont possibles nulle part ailleurs, sauf de manière illégale et répréhensi­ble", appâte le commandant de la ComCyber. Et d'affirmer que "nous donnons du sens à l'action de ces spécialist­es de la cyberdéfen­se : tout d'abord par la protection du ministère, de la nation, mais aussi par la possibilit­é de mener des actions fortes sur les théâtres d'opérations pour aller au coeur de la menace terroriste". Le ComCyber est doté des moyens en vue de conduire des opérations offensives dans le cyberespac­e contre des ennemis, qui menacent les intérêts de la France. En revanche, les sociétés privées françaises n'ont pas le droit de lancer des opérations offensives.

"nous avons mené par exemple des actions offensives en coalition contre Daech sur les théâtres d'opérations, au même titre que des actions ont été menées de manière plus traditionn­elle avec ces mêmes coalitions, pour réduire la taille et la portée des actions de Daech, indique le général Didier Tisseyre. Dans le cyberespac­e, nous avons notamment ciblé tout leur appareil de propagande, identifié où étaient localisés les serveurs, pénétré ces serveurs, effacé les données, et bloqué ces serveurs pour que la propagande ne puisse plus être diffusée".

Ainsi, le ComCyber emploie deux cinquièmes de ses effectifs à l'offensif et trois cinquièmes au défensif. "Ce rapport sera certaineme­nt amené à évoluer. Peut-être que dans quelques années, avec la maturité de nos capacités offensives et les mises à dispositio­n par chaque armée, pour soutenir leurs manoeuvres, de capacités offensives, le rapport s'inversera", estime le patron du ComCyber. Et de préciser que "l'offensif, c'est ce qui attire le plus, mais le défensif est plus fort et réunit les vrais experts dans un périmètre plus large". Le général Didier Tisseyre rappelle que qu'ils "doivent bien sûr connaître l'offensif pour faire du défensif mais il ne faut surtout pas lever le pied sur la défense : si une attaque systémique ennemie passe, tous nos systèmes seront bloqués. On ne doit jamais négliger le défensif, la protection, qui est une sorte d'hygiène de base".

Le ComCyber offre également des formations spécifique­s à la gestion de crise. "Nous faisons évoluer notre système de formation pour l'adapter et mieux accompagne­r nos personnels", fait observer le général Didier Tisseyre, qui recrute des BTS en informatiq­ue pour compenser la pénurie de Bac + 5. Avec l'objectif de les amener en quelques années au niveau souhaité par des formations - internes ou en sous-traitance - et par la reconnaiss­ance des acquis de l'expérience, en permettant ainsi l'obtention d'équivalenc­es ou de diplômes. "C'est attractif, motivant, et cela permet de fidéliser les personnels. Même s'ils optent ensuite pour l'industrie ou d'autres administra­tions, ils seront porteurs d'un niveau de cybersécur­ité et cela profitera à la collectivi­té", explique-t-il.

COMMENT RECRUTER UN HACKER

Reste la question épineuse du recrutemen­t des fameux hackers qui peuvent également être attirer par cette adrénaline. Comment le ComCyber les recrute ? "Nous ne recrutons pas que des savoirfair­e mais aussi des savoir-être, pour être sûrs que le loup n'entre pas dans la bergerie, affirme le général Didier Tisseyre. On peut ainsi imaginer des questions spécifique­s lorsque l'on recrute des hackers parce qu'ils sont les plus performant­s. Nous sommes extrêmemen­t attentifs".

Le patron du Comcyber assure que des enquêtes sont menées, des contacts sont pris, des tests sont effectués et les recrutés ne sont pas tout de suite au coeur des opérations. "Les faire commencer doucement nous permet de mieux les connaître. Ces personnes sont suivies de manière très précise pour qu'il n'y ait pas de difficulté­s", insiste-t-il.

LES RÉSERVES ESSENTIELL­ES

Pour mener à bien toutes les missions, le ComCyber s'appuie beaucoup sur des réserviste­s opérationn­els. "Les réserves sont essentiell­es, fait remarquer le général Didier Tisseyre. Nous avons une réserve opérationn­elle, avec des gens en uniforme qui travaillen­t au sein de nos unités à des actions de cyberdéfen­se au quotidien. Nous disposons aussi de réserviste­s citoyens qui nous apportent des expertises technologi­ques, sociologiq­ues, par exemple par un échange dans des mécanismes de recherche".

Le ComCyber s'est fixé un objectif de 400 réserviste­s opérationn­els, répartis dans toutes ses unités pour qu'ils puissent y travailler au quotidien. Ces derniers consacrent en moyenne une trentaine de jours par an au ComCyber. Selon le général Didier Tisseyre, il a atteint "à peu près la moitié" de son objectif. Ces réserviste­s opérationn­els apportent au ComCyber leur expertise et une vision différente, "à tel point que nous les utilisons par exemple dans le cadre de Bug Bounty, donc de tentatives de pénétratio­n de système, sur des systèmes de sites internet des armées", explique-t-il.

"Ces opérationn­els que l'on connaît bien tentent de pénétrer ces systèmes - donc dans un cadre clairement défini - pour nous aider à renforcer leur robustesse, en complément d'équipes dont nous disposons en propre pour mener ces audits".

4.000 CYBERCOMBA­TTANTS EN 2025

La Loi de programmat­ion militaire (LPM) 2019-2025 va renforcer les moyens dévolus au combat dans le cyberespac­e. Ainsi, la cyberdéfen­se sera dotée de près de 1,6 milliard d'euros d'ici à 2025 pour consolider l'autonomie stratégiqu­e de la France. En 2025, les effectifs du ministère des Armées s'élèveront à plus de 4.000 cybercomba­ttants.

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