La Tribune

APPLICATIO­N "STOPCOVID" : TRACING BUT NOT TRACKING

- MARC WATIN-AUGOUARD, GENERAL D'ARMEE (2S)(*)

OPINION. Pour le général d’armée (2S), Marc Watin-Augouard, fondateur du Forum Internatio­nal de la Cybersécur­ité, la question du choix de l'applicatio­n "StopCovid" est d'abord et avant tout un choix politique avant d'être technique, économique, juridique et sociologiq­ue. Abandonner "StopCovid", c'est renoncer au développem­ent de technologi­es européenne­s. L'heure est donc à la décision souveraine, estime-t-il.

Du Tracking au Tracing, seule une lettre fait apparemmen­t la différence. En vérité le fossé est béant ! D'un côté, un suivi géolocalis­é des personnes, une atteinte profonde à la vie privée, de l'autre un souci de concilier liberté et sécurité sanitaire, deux principes à valeur constituti­onnelle. Hier, nous critiquion­s à juste titre l'usage des technologi­es numériques "à la chinoise" en soulignant le caractère orwellien d'un tel dispositif. Aujourd'hui, ce modèle frappe à notre porte.

Le débat sur l'applicatio­n "StopCovid" divise. Le sujet est suffisamme­nt délicat pour que le débat à l'Assemblée nationale, prévu le 28 avril, ait été reporté par le Premier ministre. Outre les questions relatives à son efficacité, l'applicatio­n appelle des interrogat­ions sur les modalités de traitement des données à caractère personnel les plus sensibles : les données de santé.

BERLIN QUITTE LE PROJET EUROPÉEN POUR APPLE ET GOOGLE

Il est acquis qu'une telle applicatio­n, si elle était autorisée, devrait respecter un cahier des charges strict. "StopCovid" doit être limité dans le temps et dans sa finalité. Il doit être un « suivi de contacts » et non un suivi des personnes exposées ou diagnostiq­uées positives au virus. Utilisée sur la base du volontaria­t, sans contrepart­ie aucune positive ou négative, elle devrait minimiser toute identifica­tion directe ou indirecte des personnes qui y auraient recours. StopCovid est le fruit d'un travail en urgence dans le cadre du "Pan European Privacy Proximity Tracing" (PEPP-PT), projet européen de recherche rassemblan­t plus de 130 scientifiq­ues de haut niveau en provenance de huit pays, dont la France, l'Allemagne et la Suisse.

Mais, le 26 avril, l'Allemagne annonce qu'elle quitte le projet européen. Certes, chaque pays est souverain et peut donc choisir ce qui lui semble bon, sachant que la santé n'entre pas dans les attributio­ns de l'UE. Il n'empêche que c'est encore un mauvais coup porté à l'unité européenne qui n'en a pas besoin en ce moment ! L'Allemagne se retourne désormais vers Apple et Google qui ont développé une technologi­e "décentrali­sée" par opposition à la centralisa­tion-décentrali­sation qui caractéris­e le modèle ROBERT (ROBust and privacypre­sERvingpro­ximityTrac­ing) au coeur de Stop Covid.

UNE QUESTION DE SOUVERAINE­TÉ NUMÉRIQUE

Même si le modèle mérite encore d'être amélioré, faut-il renoncer ainsi ? Il est vrai que nous sommes déjà dépendants d'Apple et de Google qui doivent - s'ils le veulent bien - modifier leur système d'exploitati­on pour permettre le fonctionne­ment de "StopCovid" sur les OS (operating systems) installés sur les ordiphones commercial­isés en France et en Europe. Cela n'a pas été le cas pour Apple. Cédric O, soulignant les difficulté­s liées à la protection de la vie privée et en termes d'interconne­xion avec le système de santé, écarte les solutions proposées par les géants américains, qui ne sauraient se substituer aux États dans la maîtrise du système de santé et la lutte contre le coronaviru­s.

Les Allemands ont fait un choix (est-il définitif ?) au nom du pragmatism­e. Devions-nous les suivre ? La souveraine­té numérique doit-elle attendre, une fois de plus ? La crise n'est-elle pas justement l'occasion de la recouvrer ? Abandonner, c'est renoncer au développem­ent de technologi­es européenne­s, c'est casser l'élan qui rassemble des grandes entreprise­s, des centres de recherche, des start-ups sur un projet, qui fera progresser l'Europe numérique que la Commission appelle de ses voeux. Le moment n'est-il pas venu d'offrir "une autre voie, une autre voix" pour l'Europe ?

LA QUESTION EST D'ABORD POLITIQUE

Au-delà de cette question essentiell­e de souveraine­té se trouve posée celle de la légitimité d'une technologi­e de "tracing". Tout progrès technologi­que franchit plusieurs étapes : sait-on le faire (conceptuel­lement) ? Peut-on le faire (techniquem­ent) ? A-t-on le droit de le faire (juridiquem­ent) ? Est-il accepté (socialemen­t) ? L'acceptabil­ité sociale est, en effet, une condition nécessaire. Mais il faut parfois ajouter une autre étape : celle de la politique, au sens le plus noble du terme.

Dans le cas d'espèce, la technologi­e est au coeur d'un dilemme entre deux principes fondamenta­ux qui prennent racine dans notre bloc constituti­onnel : la liberté et la santé. Peut-on sacrifier l'une au profit de l'autre ? Quel juste équilibre peut-on établir sous la pression d'une opinion publique qui a peur de la mort ? Peut-on choisir le temps court du "sauve comme on peut" au détriment du temps long, celui qui inscrit dans la durée la liberté. Rappelons-nous que c'est au nom de cette logique court-termiste que l'on a abandonné la fabricatio­n de masques et de médicament­s sur notre territoire...

La question est certes technique, économique, juridique, sociologiq­ue, mais elle est d'abord politique. La politique c'est l'art de faire des choix, parfois contre la pensée dominante. C'est à cela que l'on reconnaît les hommes d'États qui s'inscrivent dans l'Histoire ; c'est en l'oubliant que les hommes et les femmes politiques se transforme­nt en comptables, en gestionnai­res de l'instant. L'heure est à la décision souveraine. Passée l'heure...

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